Shemot – 21 Teveth 5776 – 2 janvier 2016
Shabath dernier s’est terminé la lecture de Bereshit et aujourd’hui commence la lecture de Shemot : La première lettre du premier mot de shemot est un vav conjonctif…. « Ve’élé shemot…. Et voici les noms…Ainsi Shemot relié par le vav signifie son unité avec Bereshit.
Bereshit, c’est le déroulé de l’histoire de la création du monde suivie de l’apparition des peuples. Et Shemot, c’est l’histoire juive, avec la sortie d’Egypte et la traversée du désert, racine de l’existence juive.
Pour cette drasha, je me suis laissée inspirée par un livre qui vient d’être écrit par un catholique, Raniero Fontana, à l’occasion du centenaire d’André Neher : Il s’intitule : André Neher philosophe de l’Alliance. Je n’ai nulle intention de vous en faire un compte rendu. Au regard du temps octroyé, j’ai seulement tenté de tirer « le début » d’un fil conducteur qui met en relief une question fondamentale : l’identité juive.
Pour André Neher, l’identité juive s’affaiblit ou se renforce selon le degré de fidélité de chacun à l’observance de la loi, transmise par Moïse, au Sinaï. Et c’est à la lueur de cette certitude qu’il repère dans Shemot, une histoire de la découverte du prochain. Et cela lui permet de rechercher la racine du lien qui relie originellement Israël à toute l’humanité.
Une première évocation en ex12, 38. Dans le Sinaï, les beneï israël sont partis de Ramsés, en direction de Soukkot. Ils étaient environ six cent mille « hommes de pied » sans compter les enfants. Les femmes ne sont pas nommées ! On peut penser que leur apparente absence signifie qu’elles ne participent pas à la guerre. Donc, on retient six cent mille hommes plus les femmes et les vieillards et les enfants. Imaginez…. Quelle foule dans le désert ! Eh bien, aux plus de six cent mille beneï israël… s’était joint un ramassis de gens de toutes sortes, avec du petit et du gros bétail, en troupeaux très considérables dit le Deutéronome.
Qui étaient ces personnes ? On sait seulement qu’elles avaient suivi les beneï israël…Dans le désert, se trouvent à toutes les époques, des hommes qui ont quitté leur terre pour toutes sortes de raisons : hommes bannis ou révoltés, fuyant un régime ou à la recherche d’une aventure, personne ne sait. Le texte donne une seule indication : « des gens de toutes sortes ont suivi Israël »
Quelle expérience en ont retiré les beneï israël ? Ce fut peut-être une approche inattendue pour Moïse, lui qui avait arraché son peuple à l’esclavage pour le faire vivre en liberté ! Cependant, c’était et c’est toujours un devoir d’accueillir ceux qui expriment le désir de se joindre à la marche d’un groupe car dans le désert, la mort guette chacun. L’accueil de ces « réfugiés », demandait en contre- partie, une adhésion à la loi du groupe qui les avait acceptés. Adhérer à la loi d’Israël, c’était quitter l’idolâtrie pour vivre la foi au Dieu unique. Il demeure évident que ces mêmes individus ne se sont pas privés de récriminer avec et comme les beneï israël, tout au long du parcours vers la terre de Canaan, terre sur laquelle vivront leurs descendants, devenus partie intégrante d’Israël. Nous avons des attestations qui prouvent qu’aux alentours du 12éme siècle avant notre ère, vagabondaient dans le Sinaï différentes petites entités, constituées en clans, comme par ex les Hapirou. Des historiens s‘interrogent toujours sur cette éventuelle origine du peuple hébreu. Certains pensent aussi que seraient issues de ces terreaux très divers, les tribus d’Israël. Quant à la tradition rabbinique elle voit dans « ces personnes de toutes sortes » les ancêtres des convertis. A l’époque de la rédaction du Talmud, la question des conversions était vraisemblablement d’actualité….
A partir de cet événement, rapporté dès le début de l’histoire juive A. Neher résume l’ensemble du livre en écrivant : « Shemot, c’est l’histoire de la découverte du prochain, … et par elle, la découverte du proche lointain… du nouveau voisin…. »
Et cela oblige Israël à une incessante re-signification du rapport entre les hommes. Comment vivre en proximité avec des frères ? Et parallèlement comment développer la fraternité entre les peuples ? … et c’est bien là, la directive du vivre ensemble dont l’origine remonte à Moïse avec l’Alliance entre Dieu et Israël par la loi des dix paroles.
Par ailleurs, Neher est convaincu que ruah, l’esprit et davar, la parole, n’ont jamais disparu avec les prophètes mais ils se prolongent en une transmission continue à travers l’histoire d’Israël. Il écrit : « De Moïse aux beneï israël d’hier et d’aujourd’hui, la vocation prophétique ne change pas ».
Si Neher voit en Abraham, une préfiguration de la communion de tous les peuples, en Moïse il voit la réalisation de l’irréductible vocation du peuple juif.
Pourquoi l’intervention de Moïse auprès de ses frères a-t-elle eu une portée, non seulement pour les beneï Israël, mais pour toute l’humanité ? Neher répond que l’événement de la sortie d’Egypte est né d’une prise de conscience de Moïse : A la vue de la souffrance qui accable l’homme hébreu, il découvre que cet homme, c’est son frère ! Se révèle alors à Moïse sa propre identité : il est hébreu ! C’est alors qu’habité d’une insondable énergie Moïse va sortir son peuple de la mort en l’entraînant dans la marche au désert. Shemot est le début d’une histoire à affronter ensemble, l’un pouvant compter sur l’autre, tout en demeurant lui-même, car en cette histoire, Dieu ne devient pas homme ni l’homme ne devient Dieu mais en réponse à l’action de Moïse Dieu se fait prochain.
Et Neher écrit : En ouvrant une brèche dans la misère humaine, Moïse a ouvert une brèche pour Dieu. Par cette brèche, Dieu entre à nouveau dans l’histoire et dans la vie des hommes. Et Raniero suivant la pensée de Neher écrit : « l’intervention de Moïse …a une portée salvifique, non seulement pour les fils d’Israël mais pour l’humanité tout entière, comme l’atteste la présence d’une grande masse humaine en ex 12 et NB 11 ».
André Neher voit dans la rencontre de Dieu avec Israël une volonté divine de rencontrer tous les peuples. Il affirme, avec l’emploi d’un vocabulaire qui fait sursauter, que dans l’histoire particulière d’Israël, et l’histoire collective des peuples, Israël est le SACREMENT de la rencontre. L’expression est tirée du vocabulaire de la théologie chrétienne. Qu’est-ce qu’un sacrement ? Un sacrement- c’est un acte religieux qui opère une transformation de la matière en invisible. Comme par exemple, le pain et le vin dans le sacrement de l’Eucharistie (action de grâces) Le prêtre (seul le prêtre a le pouvoir de consacrer) qui célèbre ce sacrement prononce des paroles rituelles, qui sont une reprise des paroles du Christ dans les Evangiles : Prenez et mangez-en tous car « ceci est mon corps ». De même, avec le vin, « ceci est mon sang… » … Le pain que l’on voit, hostie ou pain ordinaire, et le vin sont reconnus par le croyant, présence du Christ ressuscité, partagée à l’assemblée au cours de la communion.
« Israël, sacrement de la rencontre ? » …La pratique de la loi des dix paroles par le peuple juif, est-elle « la matière » qui permet à Dieu de devenir présent dans l’Humanité ? La Cabbale le pense. Ce mot « sacrement » pour identifier la vocation juive est des plus inattendu…il faut l’entendre comme un clin d’œil aux chrétiens. Pourquoi ? ….
Parce que tout au long de son étude, Neher s’efforce de démonter le mythe de Moïse. Moïse n’est qu’un homme, totalement homme. Un homme enraciné en verticalité, dans sa responsabilité humaine qui le rend porteur d’une transfusion de vie humaine, par la loi du Sinaï. Et ce, pour le peuple juif et au-delà du peuple juif, pour toute l’humanité. Or, le christianisme qui a gardé les textes de la Bible hébraïque, Alliance de Dieu avec son peuple, interprète le personnage de Jésus comme le nouveau Moïse. Ainsi le christianisme cache la vocation de Moïse aux chrétiens. Mohamed en islamisant Moïse le cache aussi aux musulmans, pourtant ils se nomment tous deux, disciples de Moïse. C’est pourquoi, en son temps, Neher a demandé aux chrétiens et aux musulmans de se redimensionner par rapport à la personnalité juive de Moïse. Etre disciples de la Bible dit-il, n’est pas encore être disciple de la Tora. Et c’est ainsi qu’il insiste sur la nécessité de respecter l’altérité de chacun, particulièrement dans les relations judéo et islamo-chrétiennes, alors que la tendance est à la recherche des ressemblances. On retrouve la même insistance chez Benjamin Gross.
Avec ISRAËL sacrement de la rencontre avec Dieu, dans l’histoire des hommes et des peuples, Neher affirme que le désert porte en lui un sens prophétique qui ouvre la mission particulière d’Israël à sa compréhension universelle. Israël a un lien viscéral avec l’existence humaine. Et il aborde le « mystère d’Israël » expression tirée de l’épître aux Romains (texte de Paul) très employée dans le milieu des Amitiés judéo- chrétiennes depuis le Concile Vatican II. Mystère qui ne peut se comprendre qu’avec la figure de Moïse. Pour Neher, Le mystère évoque l’élection. Le « mystère » de l’élection juive a pour les juifs, un sens que ne canalise aucun christianisme. Où se trouve sa source ? Non en Jésus mais en Moïse, non sur le Golgota, où se confirma pour les chrétiens la nouvelle ALLIANCE. Mais dans le désert, où naquit l’Ancienne, l’unique Alliance pour les juifs.
Mais Neher n’hésite pas à interpeller aussi les juifs, car ceux-ci témoignent d’un judaïsme qui n’adhère à Moïse que nominalement. Il déclare que « c’est à l’ombre d’Auschwitz que les juifs se sont rapprochés de Moïse car l’explosion de violence contre le peuple juif a fait rejaillir la question de l’identification juive dans une urgence existentielle …. Car les juifs du vingtième siècle vivaient dans l’illusion d’être comme tout le monde ». On pourrait reprendre toutes les discussions autour de « qui est juif ? » soulevées lors de la création de l’Etat d’Israël Et aujourd’hui encore ! « Qui est juif ? Qu’est-ce qu’un juif ? Quelle est la responsabilité du peuple juif dans le développement de l’humanité ?………questions qui persistent à travers le temps de notre histoire.
L’exode, dit encore Neher, « c’est le début d’une histoire à affronter ensemble, l’un pouvant compter sur l’autre tout en restant lui-même. C’est pourquoi Dieu ne devient pas homme ni l’homme ne devient Dieu » Et Neher en déduit que « c’est sur le respect réciproque de l’altérité de chacun que se fonde l’intimité de la rencontre et la proximité de la relation entre Dieu et l’homme et l’homme et Dieu, avec cette impossibilité de renoncer à la tension entre particulier et universel, entre Israël et les nations. »
J’ai annoncé au début de la parasha que je n’avais tiré que le début d’un fil conducteur sur la réflexion qui tourne autour de l’interrogation sur le sens de l’identité juive…. Il en reste beaucoup à découvrir (en lisant par exemple, le livre Raniero Fontana) Je pense aussi que chacun a sa propre réponse. Comme souhait en cette nouvelle année civile, une dernière phrase d’André Neher :
C’est l’homme accomplissant la Tora, qui détient dans ses quatre coudées l’efficience cosmique ; c’est de lui que Dieu a besoin pour créer, planifier, charpenter, édifier, parachever l’univers.
Je ne résiste pas au plaisir de vous laisser ce petit midrash inventé par Manitou :
Au moment du Jugement dernier quand il faudra préparer le jugement de l’humanité tout entière, on s’apercevra qu’un seul peuple peut être jugé : le peuple d’Israël qui est le seul à avoir accepter la Loi ; on ne peut juger les autres puisqu’ils ne l’ont pas acceptée. Révolution chez les anges. Ils vont interroger Dieu « Que faut-il faire ? On ne peut juger qu’Israël ? » Dieu répond : » C’est très simple, on jugera Israël d’après la loi et les nations d’après leur juifs »
Et le judaïsme ajoute qu’aucun de nous ne sera canonisé car ce n’est que tous ensemble que nous pouvons devenir saints…….
« Soyez saints car je suis Saint » dit Dieu à Israël ! »
Jeanne Favrat
Références
- Raniero Fontana : André Neher,philosophe de l’Alliance.Ed Albin Michel. Juin 2015.
- Du même auteur : André Neher Le Penseur et le Passeur Ed Elkana Juin 2014