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Pourquoi étudier la Bible?

Tribune rédigée par Michel Goldberg en Décembre 2021

Ma conception de l’homme est pessimiste. Pour dire les choses en peu de mots, je pense que l’homme est fou, ou bien, il est en danger de sombrer dans la folie [1]. Je vois donc l’homme comme un être psychologiquement fragile.

Moi-même, et vous (cher lecteur), nous en sommes là. Je pense que je ne dévoile rien : au fond de nous-mêmes, il nous reste souvent assez de lucidité pour avoir conscience de notre fragilité, et nous nous efforçons d’y faire face par nos choix éducatifs, politiques, sociaux, et nos actions collectives.

La folie dont je parle ici se rapporte principalement aux relations de pouvoir entre les hommes, et je la définis comme une tendance à agir qui cause une grande souffrance. L’une des causes tient aux conditions dans lesquelles nous vivons, mais aussi à une particularité répandue notre espèce : à l’homme, rien ne suffit [2]. Dans sa folie, l’homme n’est jamais assez riche, ou bien il n’a jamais assez de pouvoir, ou de femmes (ou de partenaires sexuels), ou de biens, ou de reconnaissance. De plus, l’homme est aussi souvent cruel en ce qu’il tire une satisfaction du mal qu’il peut faire. Comme si cela ne suffisait pas, sa folie est contagieuse dans certaines conditions sociales. Et les technologies en démultiplient les effets désastreux. 

Et cela depuis fort longtemps. C’est pourquoi on peut dire que l’Histoire n’est pas autre chose que l’histoire de la folie des hommes et l’histoire des hommes contre leur propre folie [3].

Pourtant, dans nombre d’Etats ou d’empires, l’histoire officielle a masqué cette folie. Selon l’autorité qui la commanditait, elle s’est travestie en une histoire de la grandeur des dieux, des rois, des puissants, du peuple ou du prolétariat, bref une histoire glorieuse qui voit la folie des hommes comme un accident et non comme une constante. L’histoire officielle n’était donc, le plus souvent, qu’un mensonge et un outil de propagande.

Venons-en à la Bible. Elle est constituée de 24 livres qui étaient, avant que l’histoire ne devienne une discipline rigoureuse, le livre d’histoire du peuple juif. Elle est écrite pour l’essentiel plus de quatre siècles avant notre ère. Sa lecture impressionne d’abord en ce qu’elle ne correspond pas du tout à une histoire glorieuse, et qu’elle se concentre sur la folie des hommes, mais aussi sur la lutte des hommes contre leur folie.

On peut piocher dans la Bible d’innombrables exemples. Ainsi, la première fratrie de l’histoire finit par un meurtre ; et quelques générations plus tard, l’Eternel est déjà tellement contrarié par sa création qu’il décide d’en éliminer l’essentiel. 

A l’époque des Patriarches, Abraham nous montre un mélange de folie et de sagesse. Par exemple, il plaide courageusement devant Dieu la cause de Sodome et Gomorrhe.  Mais par la suite, il est prêt à sacrifier son propre fils. Deux générations plus tard, les fils de Jacob vendent leur frère Joseph comme esclave. Juda, l’un de ces frères, couche avec sa belle-fille Tamar, qu’il prenait pour une prostituée. Par la suite, il l’accuse de débauche et pour cela, il la fait condamner à mort… Ensuite de quoi, et c’est sans doute là que l’on peut aussi parler de sagesse, il se repent sincèrement.

Quelques siècles plus tard, le roi David montre un courage exemplaire pour combattre la force brute. Mais il utilise son pouvoir pour envoyer à la mort le mari de Bethsabée, la femme dont il est le secret amant. Un fils de David, Amnon, viole sa propre sœur (une autre Tamar). Un autre fils, Absalon, tue Amnon pour la venger. Par ailleurs, il couche avec les femmes de David. Et plus tard, il mènera une armée contre son propre père. 

Un autre fils du roi David, Salomon, lui succède. Il montre une volonté de faire régner la justice. Mais il est, comme son père, atteint de la folie des grandeurs, de la puissance et de la jouissance. Il fait peser de lourds impôts sur son peuple et impose de durs travaux qui suscitent une révolte, qui conduira à un schisme. 

Par la suite, d’autres rois commettent d’innombrables crimes. L’un tue tous ses frères, l’autre tue des prophètes, un autre encore s’empare d’une vigne qu’il convoite, et fait condamner à mort son propriétaire à la suite de faux témoignages. Etc. Je m’arrête là pour ne pas lasser. 

La Bible ne raconte pas seulement les méfaits des ennemis du peuple juif, ou les méfaits des Juifs sur lesquels elle porte d’emblée un jugement sévère (les adversaires de Moïse, les rois du royaume du Nord, etc.). Mais elle est aussi sans complaisance à l’égard des personnages qui constituent des figures majeures de la foi en Dieu : Abraham, le premier des Patriarches ; Juda, dont les juifs d’aujourd’hui seraient majoritairement les descendants ; David et Salomon, les deux plus grands rois… Bref, la Bible n’est pas, loin s’en faut, une hagiographie…

Comme l’écrit Adin Steinsaltz, « Selon nos sages, bien des livres du canon biblique n’auraient jamais dû être écrits, sinon que les fautes d’Israël les rendirent nécessaires » [4]. Et en se plaçant du point de vue du lecteur, l’historien Yosef Hayim Yerushalmi qui écrit que « beaucoup de récits de la Bible semblent n’avoir, pour ainsi dire, d’autres fins que de rabaisser l’orgueil de la nation »[5].

Et face à toute cette folie qui s’empare si souvent du peuple et des puissants, on voit ça et là se lever des hommes et des femmes qui semblent entendre la parole de Dieu. Certains d’entre eux sont probablement fous à lier, tel Josué, le successeur de Moïse, qui ordonne des massacres qui peuvent être assimilés à des génocides (pour parler comme aujourd’hui). 

Mais dans la Bible, on peut aussi lire les paroles de prophètes courageux, et le plus souvent incompris de leurs contemporains. Certes, ils sont parfois écoutés par les rois ou par le peuple pendant une brève période. Mais ensuite, les hommes recommencent leurs folies cruelles et effrayantes. Ces prophètes qui apparaissent tout au long de l’histoire biblique sont régulièrement humiliés, battus, torturés, affamés, jetés aux lions ou assassinés. Et une constante s’observe : quoi qu’ils disent ou fassent, ils ne changent rien à cette donnée : l’homme est fou, ou menacé de sombrer dans la folie.

Ni les prophètes, ni les sages, ni (plus tard) Jésus, ni le prolétariat, ni la démocratie, ni la science, ni la psychanalyse, ni la foi n’y changent rien, et chaque génération doit faire face aux folies du moment pour éviter le pire, comme des marins qui tout au long d’un voyage, passent leur temps à colmater les brèches de leur bateau pour qu’il ne sombre pas.

Si j’étale ici quelques échantillons des folies contées dans la Bible, c’est pour soulever une question qui permet de comprendre pourquoi l’étude de la Bible me semble intéressante [6] : pourquoi le peuple juif raconte-t-il son histoire en mettant sous nos yeux les crimes et les turpitudes du peuple et de ses dirigeants ? Pourquoi la Bible nous entraîne-t-elle jusque dans le lit de ses rois pour nous faire assister à leurs bassesses et pourquoi nous fait-elle découvrir tant d’actes monstrueux ? Pourquoi ne masque-t-elle pas d’un voile d’ignorance tout ce qui pourrait susciter notre désapprobation, comme le font encore au XXIe siècle tant d’histoires officielles ? Une hypothèse personnelle pour expliquer cela : les sages qui ont fixé le canon biblique considéraient peut-être que l’Histoire n’était pas autre chose que l’histoire de la folie des hommes. Si la Bible est intéressante, c’est précisément parce qu’elle nous raconte ce que sont les hommes, et non pas ce que nous aimerions qu’ils soient.

Certes, il existe aujourd’hui de nombreux historiens sérieux et sans complaisance pour leurs dirigeants. Pensons par exemple à de nombreux historiens allemands après la seconde guerre mondiale. Mais ce qui m’impressionne ici, c’est la précocité dans la Bible, plusieurs siècles avant notre ère, de cette volonté de nous présenter les hommes comme ils sont. 

Nous savons que la Bible n’est pas un livre d’historiens : elle contient de nombreuses erreurs et inexactitudes. Elle contient sans doute aussi des falsifications rédigées dans un but politique. Nous ne devons donc pas lire la Bible comme un livre d’historiens.  Il est par contre intéressant de la lire et de nous inspirer de ses commentaires. Elle constitue un document d’une importance incomparable en ce qu’elle nous montre des hommes tels qu’ils sont, même si tous les faits qu’elle rapporte ne sont pas avérés. De plus, elle bénéficie de l’étude et du commentaire de milliers de penseurs, de rabbins, de prêtres, de sages de toutes les nations, de philosophes, d’artistes, qui ont écrit et transmis leurs conceptions du juste, de l’éthique, du pouvoir, de la guerre. Ces exégètes vivaient à toutes les époques, dans de nombreux pays, dans des cultures variées, dans des périodes calmes ou tourmentées. Certains étaient richissimes, d’autres extrêmement pauvres. Certains fréquentaient les allées du pouvoir, d’autres étaient prisonniers. Certains étaient de grands intellectuels, d’autres pas… 

Certains de ces penseurs s’intéressaient à l’éducation, d’autres à la vie familiale, d’autres encore à la sexualité, à la vie sociale, à la vie de la cité, à la science, à la guerre, à la vieillesse, à la mort… Dans cette diversité de périodes historiques, d’origines sociales, de cultures, de centres d’intérêt, on trouve aussi les courants de pensée les plus opposés, les plus affirmés ou au contraire les plus nuancés. 

Et par leurs commentaires, ces milliers d’exégètes ont tissé un réseau de discussions, de thèses, d‘opinions, de croyances, de valeurs d’une immense richesse qui nous plongent dans ce grand débat qui devrait être au centre de notre réflexion : « qu’avons-nous à faire pour lutter contre la folie des hommes » ?

Michel Goldberg

La Rochelle, décembre 2021.

Notes:

[1] Je parle ici du genre humain (hommes et femmes).

[2]Pour paraphraser La Fontaine dans la fable Les deux chiens et l’âne mort (Mais rien à l’homme ne suffit)

[3] L’historien Edward Gibbon disait que « L’histoire n’est guère plus que l’histoire des crimes, des folies et des malheurs de l’humanité » (Le déclin et la chute de l’empire romain)

[4] Adin Steinsaltz (1990) Hommes et femmes de la Bible. Albin Michel (99-100).

[5] Yoseph Hayim Yerushalmi (1984) Zakhor. La Découverte (27)

[6] Bien entendu, je ne pense pas que l’étude de la Bible soit plus intéressante que bien d’autres études (en histoire, en philo, en littérature, en arts, en sciences humaines, …). Je ne pense pas non plus que l’étude de la Bible constitue une étude religieuse.

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