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Paracha Behar: sommes nous les esclaves de Dieu?

La paracha Behar par B. à l'occasion de sa Bat Mitsvah à Adath Shalom le 21 mai 2022

Alors comme ça nous sommes les esclaves de Dieu?

C’est en tout cas ce que nous venons de lire à plusieurs reprises dans la paracha de cette semaine, Behar.

Au dernier verse,  il est écrit :

כִּי לִי בְנֵי יִשְׂרָאֵל עֲבָדִים עֲבָדַי הֵם אֲשֶׁר הוֹצֵאתִי אוֹתָם מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם: אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם

Car à moi les enfants d’Israël sont esclaves ; ce sont mes esclaves que j’ai fait sortir de l’Egypte ; moi l’Éternel, votre Dieu (Traduction de Samuel Cahen)

Personne ne réagit? Personne ne s’offusque?

En tout cas, moi, lors de l’étude de cette paracha, ça m’a révolté: je ne suis esclave de personne, pas même de Dieu !

Esclaves ou serviteurs?

Si on regarde de plus près le texte, le mot “esclaves” est traduit du mot “avadim” ayant pour racine עובד “oved” et que l’on utilise aujourd’hui pour parler du travail ou du service. 

En effet, on retrouve cette idée dans la traduction de John Darby :

Car les fils d’Israël me sont serviteurs; ils sont mes serviteurs que j’ai fait sortir du pays d’Egypte. Moi, je suis l’Eternel, votre Dieu.

Je suis déjà plus à l’aise avec cette traduction. 

Mais allons voir maintenant les commentaires existants sur ce passage afin d’en affiner la compréhension.

Yonathan ben Uziel un sage premier siècle, a fait le commentaire suivant qui me paraît particulièrement éclairant :

Car ils sont à Moi, les enfants d’Israël, au service de Ma Torah, ce sont Mes esclaves que j’ai fait sortir et rachetés d’Egypte, Je suis l’Eternel, votre Dieu.

Cela signifie donc qu’être au service de Dieu c’est être au service de la Torah. Ici on parle de la Torah en tant que loi émancipatrice. Cela paraît paradoxal et pourtant c’est la même chose que l’on retrouve en poésie. Des règles qui peuvent de premier abord paraître contraignantes, comme par exemple le nombre de pieds des alexandrins, offrent en réalité une plus grande liberté de création. 

Rappelons que les tables de la loi ont été acceptées par les Hébreux librement. En choisissant l’obéissance aux lois de la Torah, l’humain devient acteur de sa propre création et n’est plus une créature dépendante de son créateur. Il s’élève et devient son partenaire.

Avec Dieu, il n’y a pas un rapport de soumission mais un projet commun de création de soi et d’un peuple; établi avec des lois et une éthique. C’est justement ce don de la Torah qui fait de ce groupe d’Hébreux un peuple. 

J’aimerais faire un rapprochement avec l’éducation des parents. Non pas que mes parents soient Dieu mais ce sont eux qui m’ont pro-créée. Et en célébrant ma Bat mitsva aujourd’hui je m’approprie une indépendance religieuse. Je m’empare librement et activement de ma religion. 

Revenons à la notion d’esclave qui m’avait perturbée.  

Servir Pharaon ou servir Dieu

Recemment, à l’occasion de Pessah nous avons beaucoup parlé de ces notions de liberté et d’esclavage. Chaque année, nous nous rappelons la douleur que cela a été d’être esclaves de Pharaon, c’est-à-dire être soumis à un chef tyrannique.

Le travail forcé des Hébreux en Egypte servait à construire des villes, Ramsès et Pitom, décrites comme “villes  entrepôts”. Ce  n’était donc pas des lieux de vie mais destinés simplement à stocker du matériel. Raphaël Draï, dans son livre La sortie d’Egypte, l’invention de la liberté, donne une précision intéressante à ce sujet : 

Le midrash et les commentateurs juifs insistent sur cette dernière particularité. Pi-Atom signifierait Pi-Hatehoum : la bouche de l’abîme, et Ramsès aurait reçu son nom du verbe ratsats, qui signifie s’effondrer, se désagréger. “ (p.80)

L’objectif premier n’était donc pas de construire mais à l’inverse de faire souffrir les hébreux, les conduire à la mort individuellement et en tant que peuple. L’intention était de les écraser, les casser pour qu’ils n’aient plus d’énergie pour créer et pro-créer, rappelez vous la Haggada souligne la “dislocation des relations conjugales”.

Toute l’action de Pharaon vise à enlever leur dignité humaine aux Hébreux en les empêchant de s’accomplir.

A l’inverse, le Dieu créateur nous a façonné à son image, s’il donne à l’humanité la Torah c’est pour qu’elle s’en empare et l’imite en travaillant à l’amélioration du monde.

Je résume: le mot “oved” relié à Dieu désigne un service volontaire, libérateur et créateur.

À l’inverse “oved” lié à Pharaon fait référence à un état d’esclave soumis qui conduit à la dissolution de soi. 

On retrouve ce parallèle entre Dieu et Pharaon dans l’histoire de Pessah à travers leurs interactions respectives avec Moïse : 

Lors des visites de Moïse à Pharaon pour négocier la libération des Hébreux, un langage de force se met en place, Pharaon malgré les dix plaies ne fléchit pas. Il est rigide, figé comme une idole…

A l’opposé, Dieu semble plus à l’écoute, ses jugements sont régulièrement infléchis ou adoucis en particulier par l’intervention de Moïse. 

Moïse est une sorte de médiateur qui négocie régulièrement avec Dieu. Par exemple après l’épisode du veau d’or où lorsque les hébreux ont perdu confiance en Dieu au moment de l’épisode des explorateurs. Lorsque l’on relit ces passages, on se dit que Moïse se positionne en fait comme un véritable psy dans une thérapie de couple entre Dieu et le peuple d’Israël!

L’attitude et les projets de Dieu et de Pharaon sont totalement opposés.

Alors pourquoi utilise t-on le même mot, “oved” , lorsqu’on parle de les servir?

La signification du mot évolue avec la condition des hébreux : lorsqu’ils sont en Egypte “oved” fait référence à une condition avilissante puis après la sortie d’Egypte et le don de la Torah,  il est lié au service de Dieu, ce qui transcende le concept et l’élève.

De façon générale, le judaïsme ne donne pas une vision binaire du bien et du mal mais une vision plus nuancée. Tout est potentiellement bon ou mauvais. C’est donc finalement à nous de faire le choix de la manière dont on investit les mots – nous sommes esclaves de Dieu ou à son service.

C’est à nous de choisir comment on donne un sens aux mots.

La Torah prend son sens lorsqu’elle est interprétée. C’est à chacun d’entre nous de choisir la vie dans la Torah. Quoi qu’il arrive le mal existe, on ne peut pas le détruire c’est à nous de le transcender. Et pour cela, c’est elle qui nous guide.

Chabbat shalom

Retrouvez également la paracha du rabbin Josh Weiner sur la paracha Behar 5782, Le don de la Torah au Sinaï comme Bar/Bat Mitsva

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