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Tazria-Metsora 5775 – C’est grave docteur ?

Dracha prononcée par Aline Benain en 2015

Ces deux parachiot, qui décrivent un ensemble de phénomènes largement opaque et mystérieux, sont d’un abord difficile.

Un problème de traduction :

« S’il se forme sur la peau d’un homme une tumeur (Séet), ou une dartre (Sapah’at) ou une tache(Bahéret), pouvant dégénérer sur cette peau en affection lépreuse (Tsaraat), il sera amené à Aaron le Cohen ou à l’un de ses fils les Cohanim » (Vayikra, XIII, 2)

La difficulté tient pour une part aux termes que nous employons pour traduire de l’hébreu un certain nombre de mots et de notions clefs du texte :

« Impureté » par quoi nous rendons en français « Tumah » porte une connotation éminemment péjorative et surtout décrit un état statique, alors qu’il s’agit ici d’une situation potentiellement dynamique.

« Lèpre » ou « Affection lépreuse » qui traduit le plus souvent « Tsaraat »  convoque d’emblée tout un imaginaire historique et collectif terrorisant.

De fait, comme souvent, cette opacité a généré une volonté quasi « positiviste » d’éclaircissement.

Il existe ainsi  toute une littérature médicale ou pseudo-médicale, tantôt assez drôle, tantôt fastidieuse, qui décortique les « symptômes » décrits pour arriver à poser un diagnostic[1]. Peu importe, par ailleurs, que la maladie touche aussi maisons et vêtements.

Evidemment, une telle approche oblitère toute compréhension, ou tentative de compréhension, véritable du texte.

Maïmonide dans le Michné Torah, (Hil’hot Toumat Tsaraat 16,10)  parle « d’homonyme » :

« La Tsaraat est un terme utilisé de façon homonyme, il rassemble des notions plurielles et dissemblables. Car le blanchissement de la peau humaine est nommé Tsaraat, la perte d’une partie des cheveux ou de la barbe est aussi nommée Tsaraat, et l’altération de l’aspect des vêtements ou des maisons est encore nommée Tsaraat. »[2]

Si le texte réunit en effet sous un même vocable des manifestations variées, cette lèpre est la métaphore somatique d’une affection de l’âme.

 Un châtiment de la médisance :

La Tsaraat frappe à plusieurs reprises dans la Torah :

 « Moïse prit la parole et dit: « Mais certes, ils ne me croiront pas et ils n’écouteront pas ma voix, parce qu’ils diront: L’Éternel ne t’est point apparu. »2L’Eternel lui dit: « Qu’as-tu là à la main? » Il répondit: « Une verge. »3Il reprit: « Jette-la à terre! » Et il la jeta à terre et elle devint un serpent. Moïse s’enfuit à cette vue.4L’Eternel dit à Moïse: « Avance la main et saisis sa queue! » Il avança la main et le saisit et il redevint verge dans sa main.5« Ceci leur prouvera qu’Il s’est révélé à toi, l’Éternel, le Dieu de leurs pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. »6L’Eternel lui dit encore: « Mets ta main dans ton sein. » Il mit sa main dans son sein, l’en retira et voici qu’elle était lépreuse (Tsaraat), blanche comme la neige.7II reprit: « Replace ta main dans ton sein. » Il remit sa main dans son sein, puis il l’en retira et voici qu’elle avait repris sa carnation. » (Chemot, IV, 1-7)

Les commentateurs insistent fortement sur le fait que la lèpre fugitive qui touche Moïse, si elle est prodige, n’en est pas moins châtiment :

Ainsi dans le Traité Chabat 97a :

 « Rech Lakich dit : quiconque soupçonne des gens intègres est touché dans son corps, comme l’atteste le verset, « Moïse dit : ils ne me croiront pas » et Dieu lui révéla que les Hébreux le croiraient et lui dit « ce sont des croyants, fils de croyants alors que toi (Moïse) tu finiras par manquer de foi (…) En quoi Moïse a-t-il été touché dans son corps ? Il est écrit « Dieu lui dit encore : mets ta main dans ton sein. Il mit la main dans son sein, l’en retira et voici qu’elle était lépreuse, blanche comme la neige. »[3]

Et Rachi poursuit, encore plus explicite :

« Par ce signe aussi, Dieu lui indique qu’il a proféré une calomnie en disant : « Et voici, ils ne me croiront pas ! », raison pour laquelle il a été frappé de la lèpre, comme le sera Myriam pour le même péché de calomnie »[4]

La Tsaraat est bien un symptôme mais le symptôme d’une faillite morale.

La médisance, la calomnie, le « Lashon Hara » (la langue du Mal) n’est pas uniquement un problème individuel. C’est une faillite morale qui met en péril la société toute entière. La lèpre, puissance métaphorique du texte biblique, frappe non seulement les corps mais aussi les biens matériels, les maisons, les étoffes. Le Mal est virulent et contagieux, d’où l’impératif d’éloignement du « malade ».

Pourtant, et c’est fondamental, cette faillite n’est pas irrémédiable et ce qu’exposent les deux parachiot ce sont précisément des processus et des procédures de réhabilitation.

Au delà des spécificités pratiques de chaque processus, longuement décrites mais dont la compréhension est peu accessible aujourd’hui, on remarque une même structure de la procédure de réhabilitation : d’abord l’éloignement et la vérification de la plaie pour s’assurer de la guérison, ensuite, un sacrifice, c’est-à-dire, en langage moderne, la manifestation d’une adhésion à des valeurs, à une éthique.[5]

Il ne s’agit pas seulement d’annuler la faute (première étape) mais de convertir, dans un mouvement très caractéristique du Judaïsme[6], l’énergie déployée à faire le mal en une énergie mise au service du Bien (deuxième étape). Où l’on entend aussi Isaïe : « Oh! Venez, réconcilions-nous, dit l’Eternel ! Vos péchés fussent-ils comme le cramoisi, ils peuvent devenir blancs comme neige; rouges comme la pourpre, ils deviendront comme la laine. » (Isaïe, I, 18)

Coleman Silk et Nathan Zuckerman

La lecture de cette double paracha trouve peut-être une forme d’écho dans un roman magistral de Philip Roth. Sans doute aussi, le rapprochement nous est-il suggéré par le titre même du livre, The Human Stain, traduit en français par La tache[7].

Le Professeur Coleman Silk raconte son histoire à Nathan Zuckerman, le double littéraire de Roth. Victime de la calomnie -une accusation infondée de racisme portée contre lui- il a dû quitter l’université de Nouvelle Angleterre où il avait fait sa carrière. Il aurait pu cependant se disculper sans difficulté s’il avait consenti à révéler le secret et le mensonge de son existence : il est un Homme noir à la peau blanche et non un  Juif blanc.

La tache est donc collective et individuelle, à la fois celle d’une société encore pétrie de racisme et structurée par un insupportable « orgueil de classe »[8] et celle d’un individu qui sans aucun courage s’y soumet.

Roth livre ainsi la peinture drôle et sans concession d’une société sans rémission. D’une société que rien ne vient racheter parce qu’elle est incapable d’envisager même la nécessité de le faire.

Notre Tradition enseigne que la médisance, la calomnie et la haine gratuite (Sinat Hinam) ont détruit le Temple. Mais elle enseigne aussi que ce n’est pas là une fatalité. Que les taches s’effacent ou plus exactement qu’il nous revient de les effacer, qu’il nous est possible, individuellement et collectivement de mettre au service du Bien les efforts que nous dédions trop souvent au service du Mal.

Elle nous l’enseigne mais aussi, si l’on s’attache à elle, elle nous permet de le faire ou du moins d’essayer de le faire.

Chabbat Chalom,

Aline Benain


[1] Ce « traitement » n’est pas réservé aux seuls textes de la Torah. La « peste » qui frappe Thèbes dans Œdipe-roi de Sophocle donne lieu au même type de supputations.

[2] On pourra se reporter à la belle étude d’Eric Smilevitch, disponible en ligne :

http://melamed.fr/spip.php?page=fiche&matiere=1&rubrique=3&chapitre=4&theme=1&niveau=&type_doc=Etude&rech=&mot_exact=

[3] Incidemment, on notera la grande pertinence politique de la remarque. On gouverne mal un peuple auquel on ne fait pas confiance.

[4] « 1 Miryam et Aaron médirent de Moïse, à cause de la femme éthiopienne qu’il avait épousée, car il avait épousé une Ethiopienne, 2 et ils dirent: « Est-ce que l’Éternel n’a parlé qu’à Moïse, uniquement? Ne nous a-t-il pas parlé, à nous aussi? » L’Éternel les entendit. 3 Or, cet homme, Moïse, était fort humble, plus qu’aucun homme qui fût sur la terre. 4 Soudain l’Éternel dit à Moïse, à Aaron et à Miryam: « Rendez-vous tous trois à la Tente d’assignation! » Et ils s’y rendirent tous trois. 5 L’Éternel descendit dans une colonne nébuleuse, s’arrêta à l’entrée de la tente, et appela Aaron et Miryam, qui sortirent tous deux; 6 et il dit: « Ecoutez bien mes paroles. S’il n’était que votre prophète, moi, Éternel, je me manifesterais à lui par une vision, c’est en songe que je m’entretiendrais avec lui. 7 Mais non: Moïse est mon serviteur; de toute ma maison c’est le plus dévoué. 8 Je lui parle face à face, dans une claire apparition et sans énigmes; c’est l’image de Dieu même qu’il contemple. Pourquoi donc n’avez-vous pas craint de parler contre mon serviteur, contre Moïse? » 9 La colère de l’Éternel éclata ainsi contre eux, et il se retira. 10 La nuée ayant disparu de dessus la tente, Miryam se trouva couverte de lèpre, (Metsoraat) blanche comme la neige. Aaron se tourna vers Miryam, et la vit lépreuse (Metsoraat). » (Bamidbar, XII, 1-10)

[5] On remarque que le sacrifice peut même être proportionnel à la richesse de celui qui sacrifie, non pour déprécier le sacrifice du pauvre, mais pour que chacun, indépendamment de sa situation sociale, puisse mener à son terme la procédure de réhabilitation. (V. Vayikra, XIV, 21-32)

[6] Je suis redevable de cet enseignement à Pierre El Ghouzi, à l’occasion de Yom kippour, il y a…quelques années…

[7] Philip ROTH, La tache, Gallimard 2002, traduit de l’anglais par Josée Kamoun.

[8] Coleman Silk entretient une liaison, dont il garde également farouchement le secret, avec une jeune femme de ménage noire.

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