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L’inconfort de la Tsedaka

Le rabbin Josh Weiner détaille ici les différents systèmes de Tsedaka et leur sens profond

La paracha Réé 5783 par le rabbin Josh Weiner

Le mois d’Eloul commence cette semaine qui vient, et nous pouvons déjà sentir le début des exigences de cette période intense de l’année juive. Notre paracha prépare doucement certains des thèmes qui seront développés plus intensément au cours du mois de Tichri. J’ai voulu me pencher sur l’un d’entre eux, la tsedaka. Plus tard, dans la liturgie de Roch Hachana et de Yom Kippour, nous parlerons du triptyque Techouva, Tefila et Tsedaka – repentir, prière et actes de tsedaka – mais le dernier est généralement éclipsé par les deux premiers. 

J’ai toujours du mal à traduire le mot tsedaka, qui n’est pas du tout utilisé dans la paracha. Il désigne les actes de justice, ce qui est différent des actes de bonté. On donne aux pauvres parce que c’est ce que Dieu veut, parce qu’ils sont dans le besoin et qu’on a de quoi donner. Mais il est faux de dire qu’il ne s’agit que de justice et de redistribution et que les émotions et les intentions derrière le don n’ont pas d’importance. En examinant les systèmes de redistribution décrits dans notre paracha, nous voyons une belle combinaison compliquée bien juive de la manière dont la tsédaka peut fonctionner.

Différentes catégories de dons

Ce qui est intéressant, c’est qu’il existe deux systèmes de dons, l’un formel et structurel, l’autre intuitif et spontané. Le système formel est lié au système de la dîme. Imaginons un agriculteur qui, après avoir laissé les coins de son champ aux pauvres et après n’être pas revenu pour ramasser les produits tombés, a produit par exemple 100 kg de blé – alors, il donnerait une teruma de 2 kg aux prêtres, puis prendrait 10 % du reste de la production, un peu moins de 10 kg, et les donnerait aux lévites. Sur le reste, encore 10 %, environ 9 kg, seraient considérés comme maaser cheni, une seconde dîme – l’offrande la plus étrange par laquelle on se donne des produits à soi-même, et où l’on doit se rendre au Temple pour les manger. Il est intéressant de considérer ce don à soi-même, la sanctification de notre plaisir, également comme une forme de tsedaka. Mais ce don, le maaser cheni, n’est séparé qu’au cours des première, deuxième, quatrième et cinquième années du cycle de la chemita. La troisième et la sixième année, ces 9 kg sont appelés maaser ‘ani et sont donnés aux pauvres plutôt qu’à soi-même.

Si vous n’avez pas tout suivi, ce n’est pas grave – presque rien de tout cela ne s’applique aujourd’hui en dehors de la terre d’Israël. Mais vous pouvez simplement imaginer qu’il existait un système d’imposition défini et réglementé au profit des pauvres, peut-être un peu comme ce qu’on connait aujourd’hui en France.

Se soucier des autres

Mais Maïmonide compte deux autres mitsvot dans la paracha, en plus de la dîme aux pauvres. La première est le commandement positif de donner la tsedaka. פָתֹחַ תִּפְתַּח אֶת יָדְךָ – ouvre ta main aux nécessiteux. Et une deuxième mitsva qui sonne de manière similaire mais qui est cette fois une interdiction : לֹא תְאַמֵּץ אֶת לְבָבְךָ וְלֹא תִקְפֹּץ אֶת יָדְךָ מֵאָחִיךָ הָאֶבְיוֹן – ne ferme pas ton cœur et ne retire pas ta main de ton frère dans le besoin. Vous devez prendre soin des autres et vous ne pouvez pas ne pas prendre soin d’eux. Même les pauvres qui reçoivent la tsédaka doivent donner la tsédaka. C’est un point essentiel du livre du Deutéronome. Il ne suffit pas de vivre dans une société où l’on prend soin des gens, il faut aussi se soucier d’eux. On doit donner, mais il est aussi exigé de vouloir donner.

À bien des égards, cette émotion commandée est beaucoup plus difficile que le simple fait de donner, comme l’est le commandement d’aimer Dieu ou d’aimer son prochain. Tant de gens, en permanence, me demandent de l’argent, mais avant de donner quelque chose, je dois ignorer les voix en moi qui disent que ce n’est pas si urgent, que d’autres en ont plus besoin, qu’il faut faire attention à son argent en des temps instables comme aujourd’hui. 

Selon certaines traditions simplistes, qui remontent à la Torah et s’étendent à de nombreux rabbins populistes de nos jours, ceux qui donnent la tsedaka seront récompensés et s’enrichiront. Le Talmud commente ״עַשֵּׂר תְּעַשֵּׂר״ – עַשֵּׂר בִּשְׁבִיל שֶׁתִּתְעַשֵּׁר – si vous donnez un dixième de votre argent, vous deviendrez riche. Mais ce n’est probablement pas vrai d’un point de vue économique – pour autant que je sache, les recherches sur cette question sont contradictoires. Il est probable que si vous aidez quelqu’un qui demande de l’aide pour payer les funérailles de sa mère, ou une synagogue Massorti en Ukraine qui demande des fonds pour Roch Hachana – pour mentionner deux exemples que j’ai vus cette semaine – ce qui se passera si vous aidez, c’est : rien. Vous perdrez votre argent et ne gagnerez rien. Une lecture complète de la tradition juive montre que cela est parfaitement clair. 

La seule conséquence de se soucier suffisamment des autres pour leur donner est d’empêcher son cœur de se transformer en pierre. Et la conséquence d’un cœur ouvert, ou de mains ouvertes dans le langage de notre paracha, c’est la vulnérabilité ; c’est être bouleversé en lisant les nouvelles, c’est se sentir coupable quand on donne et se sentir coupable quand on ne donne pas, c’est sentir la distance entre les idéaux et la réalité, et voir notre propre vie comme fragile, et donc précieuse. Si vous ne voulez pas vous sentir mal à l’aise, c’est normal – il existe alors des systèmes faits pour s’occuper des nécessiteux dans la société, le maaser ‘ani, les impôts, les cotisations à la synagogue, etc.

Mais la tsédaka est peut-être là pour nous mettre mal à l’aise, nous faire sortir de nos confortables espaces de travail, de gain, de production et de consommation, et nous faire sentir que nous ne sommes pas au centre du monde. À sa manière, chabbat a une fonction similaire. Puissent-ils tous deux, le chabbat et la tsedaka, réconforter ceux qui ont besoin de réconfort et nous faire réfléchir à notre rôle dans ce monde.

Chabbat shalom !

Retrouvez ici un autre commentaire de la paracha Réé par le rabbin Josh Weiner

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