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La techouva infinie

Chaque année à Roch Ha Chana et Yom Kippour, nous répétons le même procédé sensé nous amener à la "techouva". Quel sens donner à cette répétition?

Chabbat Chouva / Haazinou 5784 par le rabbin Josh Weiner

Autrefois, le rabbin n’avait l’habitude de prendre la parole que deux fois par an – le chabbat avant Pessah pour rappeler à tous les lois compliquées de Pessah, et le chabbat avant Roch Hachana pour briser le cœur de la communauté, l’encourager à abandonner ses péchés, à faire techouva et à changer son comportement. Voyons ce que je peux faire aujourd’hui !  Mais j’y viendrai dans quelques instants. 

Tout d’abord, je voudrais poser une question peut-être étrange et peut-être un peu tardive : pourquoi célébrons-nous Roch Hachana chaque année ?

La royauté de Dieu

Cela pourrait être évident si nous le considérons comme la nouvelle année, de la même manière que nous célébrons nos anniversaires chaque année et que nous nous concentrons sur la répétition et sur notre développement et notre croissance, en célébrant notre existence continue. Sauf que Roch Hachana est rattaché à un autre aspect qui le distingue des anniversaires : l’une des façons dont nous décrivons ce jour est le “couronnement de Dieu en tant que roi”.

C’est l’un des buts du chofar, selon Rav Saadia Gaon, de tels instruments étaient utilisés dans le monde pour couronner les rois. Et une grande partie de l’office de Roch Hachana a été consacrée aux Malkhouyot – comme le dit Dieu, selon le Talmud :

 אמרו לפני בראש השנה מלכיות זכרונות ושופרות מלכיות כדי שתמליכוני עליכם

 “Fais de moi le roi sur vous en récitant des versets de royauté”.

 En tant que tels, les couronnements ne sont pas censés se produire chaque année – s’ils sont faits correctement, ils doivent être faits une fois et c’est tout. Si nous avons fait de Dieu un roi l’année dernière, pourquoi devons-nous le refaire ? Il semble qu’il se passe quelque chose d’étrange ici. 

Il y a une formulation que nous utilisons plusieurs fois au cours de nos prières, tout au long de l’année et surtout à Roch Hachana et à Yom Kippour. 

“Adonaï Melekh Adonaï Malakh Adonaï Yimlokh le’olam va’ed”.

Dieu a régné, Dieu règne, et Dieu régnera pour toujours et à jamais. 

Prises ensemble, nous semblons parler d’un roi éternel, mais en fait, ces trois déclarations proviennent de trois versets différents, et il est tentant d’y voir trois théologies distinctes. “Dieu était autrefois roi” est nostalgique, “Dieu est roi” est confiant, et “Dieu sera roi, un jour”, est un optimisme prudent qui espère un avenir plus stable, et reconnaît subtilement que dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, nous ne voyons pas vraiment tout en ordre, nous n’avons pas vraiment l’impression qu’il y a quelqu’un qui est en charge.

Cette attitude trouve un écho dans le kaddich que nous récitons – yitgadal veyitkadach – à l’avenir, le nom de Dieu sera grand, sera sanctifié – be’alma divra khiroutei – dans le monde qu’il a créé – vayimlikh malkhoutei – il établira sa royauté. Là aussi, l’utilisation du futur indique subtilement une reconnaissance du fait que nous n’en sommes pas encore à ce point. Ceux qui disent le kaddich pendant leur période de deuil ont cette double attitude de hachem yimlokh – les choses iront bien, mais je ne le ressens pas pleinement pour l’instant. De la même façon, le jour de Roch Hachana, nous essayons de couronner Dieu, de faire en sorte que le monde ait l’air d’être dirigé par quelqu’un. Et si ça ne marche pas – eh bien, c’est pourquoi nous avons Roch Hachana l’année suivante. 

Yom Kippour et sens de la techouva

Posons maintenant une question tout aussi étrange : pourquoi avons-nous Yom Kippour chaque année ?

Vous me pardonnerez ma naïveté, mais j’ai déjà dit la semaine dernière que j’essayais d’être naïf. Si Yom Kippour est le jour du jugement, et que nous sommes jugés et acquittés, alors pourquoi devons-nous nous présenter au jugement l’année suivante également ? Le penseur israélien Yeshaya Leibowitz ferait remarquer que ce n’est pas seulement chaque année que nous demandons pardon, mais dans les prières du soir d’Arvit – une minute après la fin de kippour et une minute après notre apparente expiation – la première chose que nous disons est :

וְהוּא רַחוּם יְכַפֵּר עָו‍ֹן וְלֹא יַשְׁחִית וְהִרְבָּה לְהָשִׁיב אַפּוֹ וְלֹא יָעִיר כָּל חֲמָתוֹ

“Il est bienveillant, qu’il pardonne nos fautes” ! – même si, en théorie, nous n’avons pas de fautes qui nous dérangent. Peut-être qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas complètement à Yom Kippour non plus, il y a quelque chose à propos de la techouva qui ne fonctionne pas et qui ne nous permet pas de nous renouveler complètement. 

J’aimerais vous proposer trois réponses possibles pour expliquer pourquoi nous répétons ce processus chaque année. La première est que la vraie téchouva est tout simplement très difficile, et que nous sommes humains et ne parvenons jamais à la faire parfaitement. Deuxièmement, la téchouva est infinie et chaque année s’ajoute au processus de l’année précédente. Troisièmement, la téchouva peut signifier autre chose que ce que nous pensons. 

La difficulté de la vraie téchouva est bien connue : regardons la description de Maïmonide : Je cite :

אי זו היא תשובה גמורה? זה שבא לידו דבר שעבר בו ואפשר בידו לעשותו, ופירש ולא עשה מפני התשובה, לא מיראה ולא מכשלון כח. כיצד? הרי שבא על אשה בעבירה, ולאחר זמן נתייחד עמה והוא עומד באהבתו בה ובכח גופו ובמדינה שעבר בה, ופירש ולא עבר  זהו בעל תשובה גמורה… ואם לא שב אלא בימי זקנותו, ובעת שאי אפשר לו לעשות מה שהיה עושה, אף על פי שאינה תשובה מעולה  מועלת היא לו ובעל תשובה הוא

“Qu’est-ce qu’un repentir complet ? Quand [le repenti] se retrouve dans la même situation qu’auparavant, avec l’opportunité de commettre la même faute, et se refuse à celle-ci du fait de son repentir, non par crainte, ni par faiblesse. Comment cela s’applique-t-il ? Si un homme a eu des rapports interdits avec une femme, et après un certain temps, il se retrouve isolé avec elle, alors qu’il éprouve le même sentiment d’amour, a la même vigueur, et se trouve dans la même région, mais s’abstient de transgresser, il est un parfait repenti….. S’il se repent dans ses vieux jours, alors qu’il n’est plus possible de faire ce qu’il faisait, bien que son repentir ne soit pas du meilleur cru, cela est effectif, et c’est un repenti.”

Peut-être qu’il est très rare, presque impossible de faire réellement une techouva complète, et peut-être que parfois il vaudrait mieux faire une téchouva moyenne, juste arrêter les comportements qui ne sont pas conformes à nos idéaux, sans se mettre à l’épreuve et se retrouver dans la même situation. Et comme la plupart des gens sont des gens moyens qui font, au mieux, la téchouva moyenne, il est nécessaire de répéter Yom Kippour et tout le processus qui consiste à nous encourager à devenir encore meilleurs. 

Il existe une idée hassidique selon laquelle la techouva est infinie. Nous trouvons l’idée de “teshouva al hateshouva” – nous grandissons parfois et développons notre compréhension du monde, de sorte que même la façon dont nous nous repentions auparavant semble maintenant, selon notre nouvelle perspective, superficielle et même dégoûtante – et nous avons besoin d’aller encore plus profondément dans la réparation et le renouvellement de nous-mêmes. Ici aussi, si nous acceptons la nécessité de toujours faire “techouva al hatechouva”, il est nécessaire de répéter Yom Kippour. 

Il y a une autre façon dont je considère parfois la techouva, et en particulier son sens littéral de retour. À quoi retournons-nous et de quoi revenons-nous ? Nous savons qu’il se passe quelque chose de puissant à Yom Kippour, qui est difficile à décrire avec des mots mais facile à ressentir quand on est présent. Il y a un pouvoir dans les mots, le jeûne, les sons, les rituels, les vêtements blancs, la présence de tout le monde ensemble. C’est intense et merveilleux, mais il serait impossible de faire Yom Kippour tous les jours de l’année, nous ne pouvons pas vivre à cette intensité. Nous avons besoin d’y être parfois, sinon nos vies resteraient banales, mais nous avons aussi besoin d’en sortir, de retourner dans le monde compliqué de tous les jours.

Peut-être que cela peut aussi être décrit comme une techouva, ce retour en retrait d’une spiritualité intense comme celle de Yom Kippour. Dans la vision d’Ézéchiel, le mouvement des anges est décrit comme “ratso vachov”, ils courent en avant et en arrière. Les kabbalistes ont développé cette idée comme la dynamique de la vie spirituelle – se rapprocher du sacré (ratso) et s’en éloigner (chov, techouva) – et soulignent la nécessité de savoir faire les deux. Quelqu’un qui ne s’intéresse qu’aux sommets spirituels, comme Yom Kippour ce lundi, mais qui ne sait pas ce que Dieu attend de lui le mardi matin en dehors de la synagogue, ce n’est pas une façon saine de vivre en tant que juif. Nous avons Yom Kippour chaque année pour ressentir quelque chose de puissant, mais aussi pour pouvoir y mettre fin et retourner dans le vrai monde, et y vivre nos responsabilités.

Je nous souhaite à tous bonne chance à l’approche de ces merveilleux jours difficiles.

Chabbat shalom !

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