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La mère et l’oiseau

Dracha de Josephine à l'occasion de sa Bat Mitsva le jeudi 9 mai 2024

Kedoshim 5784 par Josephine

Au début de la Paracha Kedoshim, tout Israël reçoit le commandement étrange de :

קְדֹשִׁים תִּהְיוּ: כִּי קָדוֹשׁ, אֲנִי 

 « Vous serez saints, car je suis saint, moi l’Eternel votre Dieu… » (Vaykra 19 :2). Comme si, parce Dieu nous a faits à son image, nous devions à notre tour essayer d’être à son image. Le texte énumère ensuite des commandements. Beaucoup de commandements.

Parmi ceux-ci, le célèbre:

« וְאָהַבְתָּ לְרֵעֲךָ כָּמוֹךָ, tu aimeras ton prochain comme toi-même. (19 :18)»

Notre paracha donne à cet amour du prochain de nombreuses formes, parmi lesquelles les liens familiaux, à travers d’autres commandements, et tout particulièrement le premier que nous lisons : « Chacun d’entre vous craindra sa mère et son père ». Dans ce verset, la mère est évoquée avant le père. Tandis que dans les dix commandements, où l’on trouve la même obligation, c’est l’inverse : « Tu respecteras ton père et ta mère ». Je pense que cela nous permet de mettre nos deux parents sur un pied d’égalité. 

La place choisie pour ce commandement dans notre paracha lui donne certainement une importance toute particulière. Et elle m’a intéressée. 

Car une question m’a accompagnée tout au long de ma préparation : à quoi sert-il de faire sa bat mitsva ? Et je dois dire que l’une des principales raisons pour laquelle je me tiens devant vous aujourd’hui, ce sont sans doute mes parents. 

Tout a commencé il y a 12 ans. Lors de ma nomination, j’ai reçu un nom hébraïque : Tzipora. 

Qui était Tzipora ? 

Elle apparait très peu dans le texte de la Torah. Elle est l’une des sept filles de Jéthro, prêtre madianite et païen, auprès duquel Moïse trouve refuge après avoir tué un Égyptien qui maltraitait un Hébreu. 

La rencontre de Moïse avec Tzipora se fait autour d’un puits. Un puits où Moïse la défend, elle et ses sœurs, contre des bergers agressifs. Les jeunes filles témoignent auprès de leur père du courage de Moïse et Moïse épouse Tzipora. Ils ont deux fils : Gershom et Eliezer.

La vie de Tzipora prend une tournure décisive lorsque Moïse rencontre Dieu au buisson ardent. Moïse retourne en Égypte pour libérer son peuple. Tzipora et les enfants montent à dos d’âne lors du voyage. Une nuit, Moïse vit une expérience étrange que la Torah décrit comme une attaque de Dieu, au livre IV de l’Exode (je cite) :

« Pendant ce voyage, il s’arrêta dans une hôtellerie ; le Seigneur l’aborda et voulut le faire mourirTzipora saisit un caillou, retrancha l’excroissance de son fils et la jeta à ses pieds … Le Seigneur le laissa en repos. » 

Rashi explique que Moïse n’avait pas circoncis son fils Eliezer. Et c’est Tzipora qui prend un rocher pointu, et le fait.  Elle intervient alors pour éloigner la main de l’ange malfaisant et elle sauve la vie de son mari : encore une femme qui sauve Moïse, après sa mère, et après la princesse d’Egypte. Elle délivre ainsi son mari de la main de l’ange. 

Tzipora comprend la situation dans son ensemble. Elle a le courage de prendre le contrôle de la situation et d’agir en conséquence. 

Ce sont seulement deux versets qui révèlent toute sa personnalité : celle d’une femme qui exécute de sa propre initiative un geste qui sauve. Si elle n’avait pas sauvé Moïse, il n’aurait pas pu délivrer les Hébreux.

Elle ouvre ainsi le chemin vers la libération des Hébreux d’Egypte.  

J’ai demandé à mon père pourquoi ma mère et lui avaient décidé de m’appeler Tzipora. Il m’a donné non pas une, ni deux raisons mais au moins cinq ! 

Parmi ces raisons : Tzipora n’est pas à l’origine une Hébreue, elle est non seulement une étrangère mais elle est la fille d’un grand prêtre d’un dieu étranger, et elle devient la femme de Moïse, et ainsi l’une des mères de la famille d’Israël. C’est la plus belle preuve que le judaïsme se définit moins par le sang que par l’esprit, ce n’est pas une affaire ethnique mais une question qui touche à la conscience.  Tzipora a donné au premier fils qu’elle a eu avec Moïse le nom de Guershom, l’émigré, comme pour rappeler que l’on n’est vraiment chez soi nulle part et que les autres sont un peu chez eux chez nous. 

Mais Tzipora n’est pas seulement la femme de Moïse, ni la mère de Guershom puis d’Eliezer. Elle est Tzipora, celle qui a su braver les coutumes qu’elle avait reçues de ses parents, celle qui a suivi sa route et couru ses risques, il y a en elle beaucoup d’audace. 

Tzipora, en hébreu, c’est l’oiseau, l’animal qui ne connaît ni les limites ni les barrières (comme le désert) où s’est écrite son histoire, et où les frontières ne se tracent pas plus facilement que sur la mer. 

Tzipora est une femme très discrète, presque cachée. Dans la Torah, on la voit peu, on l’entend peu. Elle ne se met pas en avant. Et pourtant sans elle rien n’aurait été possible. 

Les sages du Talmud disent qu’en donnant un nom on détermine le caractère, et le chemin que l’enfant prendra dans la vie. C’est peut-être vrai. 

Comme Tzipora, je suis discrète et même timide. 

Comme Tzipora, je ne me contente pas de suivre aveuglément, je me pose beaucoup de questions sur Dieu, sur la religion, sur des incohérences et des injustices. Je ne crois que ce qui est prouvé et je ne peux donc pas dire que je crois tout ce que nous avons lu ce matin. C’est un questionnement, c’est une curiosité, c’est peut-être aussi une rébellion ; c’est en tout cas l’un des sens de ma présence ici. 

Tzipora est attachée au respect de l’étranger, à l’hospitalité, à l’universalisme, à la discrétion, ce sont autant de valeurs auxquelles je sais que ma mère et mon père ont toujours été très attachés. Et je me rends compte que je le suis également.  

Je parle de ma mère. Je ne me souviens pas toujours bien d’elle et pourtant son souvenir reste doux dans mon cœur. Elle m’a non seulement donné la vie, mais je sais que je lui dois une partie de mon caractère et je sais aussi qu’elle a voulu me transmettre son attachement profond au judaïsme. En ce moment précis, je comprends que le fait de célébrer ma bat mitsva est un moyen d’honorer sa mémoire, et de montrer mon respect et mon amour envers mes deux parents.

Ces commandements, celui du respect des parents mais aussi toutes les règles de justice de la parasha Kedoshim, me permettent de m’élever chaque jour, de me donner des défis et d’essayer de devenir meilleure. Je comprends que c’est ici et maintenant par des actions simples, que nous pouvons faire la différence. Et j’espère aujourd’hui, avec ma lecture de la Torah, mon étude et mon engagement bien à moi, avoir su les honorer. 

Retrouvez ici le commentaire du rabbin Josh Weiner sur la paracha Kedoshim 5784

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