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A l’ombre de Dieu

La vérité est montrée à Moïse, mais il ne la comprend pas, paracha Vayakhel 5784

Par le rabbin Josh Weiner

Vayakhel n’a pas la réputation d’être la paracha la plus passionnante de la Torah. Si vous regardez les livres imprimés traditionnels, vous remarquerez qu’il n’y a pas beaucoup de commentaires sur les côtés, parce que tout semble avoir été dit avant.

En fait, une structure chiastique très forte est présente dans le livre de l’Exode. Nous avons deux parachot expliquant comment construire le Michkan, le Tabernacle dans le désert, une explication de chaque détail. Ensuite, il y a l’histoire du veau d’or, le bris des dix commandements et le pardon éventuel du peuple. Enfin, deux parashot décrivent la construction du Michkan et reprennent presque exactement tous les détails qui nous ont déjà été racontés. Mais malgré ces répétitions, tout n’est pas entièrement clair. Si Ikea expliquait comment construire le Tabernacle, ils le feraient beaucoup mieux. Ici, il y a une poésie rythmique dans les mots qui va au-delà d’un manuel de construction. Un exemple :

וּבַמְּנֹרָ֖ה אַרְבָּעָ֣ה גְבִעִ֑ים מְשֻׁ֨קָּדִ֔ים כַּפְתֹּרֶ֖יהָ וּפְרָחֶֽיהָ׃ וְכַפְתֹּ֡ר תַּ֩חַת֩ שְׁנֵ֨י הַקָּנִ֜ים וְכַפְתֹּר֙ תַּ֣חַת שְׁנֵ֤י הַקָּנִים֙ מִמֶּ֔נָּה. וְכַפְתֹּ֕ר תַּֽחַת-שְׁנֵ֥י הַקָּנִ֖ים מִמֶּ֑נָּה לְשֵׁ֙שֶׁת֙ הַקָּנִ֔ים הַיֹּצְאִ֖ים מִמֶּֽנָּה׃ כַּפְתֹּרֵיהֶ֥ם וּקְנֹתָ֖ם מִמֶּ֣נָּה הָי֑וּ כֻּלָּ֛הּ מִקְשָׁ֥ה אַחַ֖ת זָהָ֥ב טָהֽוֹר׃

Dans le candélabre, quatre calices en amande, leurs boutons et leurs fleurs.

Un bouton sous deux tiges, de lui,

un bouton sous deux tiges, de lui,

un bouton sous deux tiges, de lui,

pour les six tiges qui sortent de lui.

Leurs boutons et leurs tiges sont de lui,

tout entier d’une concrétion d’or pur. (Exode 37:20-22)

Surtout dans l’hébreu, mais peut-être même dans la traduction, le rythme est plus puissant que l’image. Je n’ai aucune idée de ce à quoi ressemblent les boutons et les fleurs. (Aujourd’hui encore, il y a un grand débat entre Habad et le reste du monde juif pour savoir si les branches de la Ménorah étaient rondes ou droites). 

Et il semble que Moïse n’ait pas compris non plus. Dans la tradition rabbinique, Moïse est décrit à plusieurs reprises comme étant déconcerté par les instructions verbales et se voyant montrer une image à la place. Il ne comprend pas à quoi doivent ressembler la Menora ou l’Arche, ni une table [Menahot 29a], et il ne comprend même pas à quoi ressemble exactement une pièce d’un demi-Shekel, jusqu’à ce que Dieu lui en montre une dans le ciel [Yerushalmi Shekalim 1:4].  

Mais dans les midrachim, et même dans le simple texte de la Torah, ce n’est pas Moïse lui-même qui construit le Michkan. Il est assisté par un homme appelé Betsalel, un homme “rempli de l’esprit de Dieu en sagesse pratique, en discernement et en connaissance, et en toutes sortes d’ouvrages” [Exode 35:31]. La Torah ne précise pas tout de suite pourquoi Moïse a besoin de cette aide, mais le midrach donne une description puissante de la relation entre les deux. Le midrach explique toutes les répétitions dans la Torah comme faisant partie de la difficulté de compréhension de Moïse.

רַבִּי לֵוִי בַּר אוֹמֵר, מְנוֹרָה טְהוֹרָה יָרְדָה מִן הַשָּׁמַיִם, שֶׁאָמַר לוֹ הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא לְמשֶׁה (שמות כה, לא) : וְעָשִׂיתָ מְנֹרַת זָהָב טָהוֹר, אָמַר לוֹ כֵּיצַד נַעֲשֶׂה אוֹתָהּ, אָמַר לוֹ (שמות כה, לא) : מִקְשָׁה תֵּעָשֶׂה הַמְּנוֹרָה, וְאַף עַל פִּי כֵן נִתְקַשָּׁה משֶׁה וְיָרַד וְשָׁכַח מַעֲשֶׂיהָ, עָלָה וְאָמַר רִבּוֹנִי כֵּיצַד נַעֲשֶׂה אוֹתָהּ, אָמַר לוֹ : מִקְשָׁה תֵּעָשֶׂה הַמְּנוֹרָה, וְאַף עַל פִּי כֵן נִתְקַשָּׁה משֶׁה וְיָרַד וְשָׁכַח, עָלָה רִבּוֹנִי שָׁכַחְתִּי אוֹתָהּ, הֶרְאָה לוֹ לְמשֶׁה וְעוֹד נִתְקַשָּׁה בָהּ. אָמַר לוֹ (שמות כה, מ) : וּרְאֵה וַעֲשֵׂה, עַד שֶׁנָּטַל שֶׁל אֵשׁ וְהֶרְאָה לוֹ עֲשִׂיָּתָהּ, וְאַף עַל פִּי כֵן נִתְקַשָּׁה עַל משֶׁה, אָמַר לוֹ הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא לֵךְ אֵצֶל בְּצַלְאֵל וְהוּא יַעֲשֶׂה אוֹתָהּ, וְאָמַר לִבְצַלְאֵל מִיָּד עֲשָׂאָהּ, הִתְחִיל תָּמֵהַּ וְאָמַר אֲנִי כַּמָּה פְּעָמִים הֶרְאָה לִי הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא וְנִתְקַשֵּׁיתִי לַעֲשׂוֹתָהּ, וְאַתְּ שֶׁלֹא רָאִיתָ עָשִׂיתָ מִדַּעְתְּךָ, בְּצַלְאֵל, בְּצֵל אֵל הָיִיתָ עוֹמֵד כְּשֶׁהֶרְאָה לִי הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא עֲשִׂיָּתָהּ

R. Levi bar Rabbi a dit : le Saint, béni soit-Il, a dit à Moïse (dans Exod. 25:31) : ‘Et tu feras une ménorah d’or pur.’ Il lui dit : ‘Comment faut-il la faire ?’ Il lui répondit : “Elle sera faite d’une pièce.” Moïse eut néanmoins des difficultés, car en descendant, il avait oublié sa construction. Il remonta et dit : “Maître du monde, je l’ai oubliée”. Il montra à nouveau à Moïse, mais cela lui était encore difficile. Il lui dit : “Observe et fais-le”. Il prit donc un modèle de feu et lui montra sa construction, mais cela restait difficile pour Moïse. Le Saint, béni soit-il, lui dit alors : ‘Va voir Betsalel et il la fabriquera’. Moïse s’adressa à Betsalel, qui fabriqua immédiatement la Ménorah. Moïse s’étonna et dit : “Dans mon cas, combien de fois le Saint, béni soit-il, me l’a montré, et pourtant j’ai eu du mal à la faire. Maintenant, sans l’avoir vue, tu l’as faite à partir de tes propres connaissances. Betsalel, te tenais-tu peut-être dans l’ombre de Dieu lorsque le Saint, béni soit-il, me l’a montré ?” (Bamidbar Rabba 15:10).

Ce texte est assez choquant. Entendre les mots ne suffit pas, voir une image ne suffit pas, et en fin de compte, Moïse ne suffit pas. Mais ce qui est peut-être plus important, c’est que la révélation divine directe ne suffit pas. Moïse sait ce que Dieu veut, mais Betsalel semble le comprendre. Le Midrach joue avec le nom de Betsalel et lui donne le sens de “à l’ombre de Dieu”, comme pour dire que la suggestion indirecte est plus puissante que les ordres explicites. Peut-être que Betsalel a pu écouter la poésie des instructions et s’en inspirer pour libérer sa propre créativité, alors que Moïse s’attendait à des instructions de type Ikea, ce qui n’est jamais ce à quoi une vie spirituelle devrait ressembler. 

L’un des plus célèbres commentateurs de la Torah, du Tanakh et du Talmud était le rabbin Shlomo Yitzhaki, connu sous le nom de Rachi. Il vivait ici en France, mais certains interprètent son nom comme signifiant Rabban Shel Yisrael, le rabbin de tout le peuple d’Israël. Il est impossible, dans un contexte juif, de s’engager dans l’étude de la Torah sans au moins faire référence aux commentaires de Rachi : soit pour être d’accord, soit pour être en désaccord, mais jamais pour ignorer.

Pour moi, l’un des commentaires les plus profonds de Rachi sur la Torah sont la vingtaine d’endroits où il commente simplement :  Eini Yode’a, “je ne sais pas ce que cela signifie“.¹  Ce n’est pas évident, parce qu’il a préféré exprimer son ignorance plutôt que de simplement ne rien écrire. Dans un texte que j’ai trouvé récemment, un lecteur contemporain signale une contradiction dans son commentaire, et Rachi lui répond pour s’excuser et dire que oui, il avait fait une erreur.

Pour moi, cette humilité ajoute plutôt qu’elle n’enlève à son autorité. En fait, dans au moins un des endroits où il admet ne pas comprendre quelque chose, il est néanmoins capable de le décrire. Au début du chapitre traitant des vêtements sacerdotaux, Rachi essaie de comprendre l’un des vêtements appelé éphod. Il dit :

ואפוד. לֹא שָׁמַעְתִּי וְלֹא מָצָאתִי פֵּרוּשׁ תַּבְנִיתוֹ, וְלִבִּי אוֹמֵר לִי שֶׁהוּא חֲגוֹרָה לוֹ מֵאֲחוֹרָיו, רָחְבּוֹ כְּרֹחַב גַּב אִישׁ, כְּמִין סִינָר שֶׁקּוֹרִין פורצי “נט בְּלַעַז, שֶׁחוֹגְרוֹת הַשָּׂרוֹת כְּשֶׁרוֹכְבוֹת עַל הַסּוּסִים

 EPHOD – Je n’ai entendu aucune tradition et je n’ai trouvé dans les sources aucune description de sa forme, mais mon propre cœur me dit qu’il était attaché derrière le grand prêtre ; sa largeur était la même que celle du dos d’un homme comme une sorte de tablier que l’on appelle “pourceint” en français que les dames nobles portent lorsqu’elles montent à cheval. (Rachi sur Exode 28:4)

J’aime imaginer que, comme Betsalel, c’est la capacité de Rachi à ne pas avoir de certitudes qui lui ouvre le cœur, et lui ouvre la possibilité d’imaginer ce qui pourrait être. Dans le cas de Betsalel, au moins, son imagination inspirée était juste, elle correspondait rétroactivement à ce que Dieu voulait.

Même si Moïse est incontestablement le héros de la Torah, je suis attiré par le personnage de Betsalel. Il vient de sortir de l’esclavage en Égypte, selon le Talmud il n’avait que treize ans, mais d’une manière ou d’une autre, c’est lui qui a réussi à faire de cette construction une réalité, grâce à son intuition et à sa confiance. Je ne sais pas ce que c’est que d’être Moïse, de parler à Dieu face à face. Mais être dans l’ombre de Dieu est plus proche de notre vie religieuse. Peut-être que, sans comprendre exactement ce que l’on attend de nous, nous pouvons trouver la force de sortir et de le faire malgré tout. 

Chabbat chalom !

Notes:

(1) Endroits où Rachi admet ne pas savoir : Genèse 30:11, 32:15, 35:13, 43:11 ; Exode 24:13 ; 25:21, 25:29, 26:24, 27:10, 27:19, 28:4 ; Lévitique 8:11, 10:15, 13:4, 14:14 ; Nombres 21:11, 26:13, 26:16 ; Deutéronome 18:2 et 33:24. Il y en a une vingtaine d’autres dans le commentaire du Talmud.

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