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Une seconde naïveté

Le rabbin Josh Weiner nous invite à réfléchir à notre rapport à la notion de vérité et de foi

Dracha du premier jour de Roch HaChana 5784 par le rabbin Josh Weiner

Chana tova. C’est maintenant mon troisième Roch Hachana à Adath Shalom, et selon la loi juive, faire quelque chose trois fois est une hazaka, un engagement qui ne peut pas être facilement défait. Alors que je commence ma troisième année ici, je suis fier de ce que cette communauté est devenue, je me sens humble devant le poids de la responsabilité de maintenir tout ce qui a été créé, et enfin, je suis assez anxieux pour l’avenir et en même temps, j’ai confiance en l’avenir. Am Yisrael Hai, d’une manière ou d’une autre, malgré tout, le peuple juif est toujours là. 

Connaître la vérité

Il y a une histoire hassidique que j’aime bien et que je comprends presque. Elle concerne Rebbe Nahman de Bratslav avant qu’il ne soit connu et célèbre, lorsqu’il était considéré comme bizarre et extrême même dans son milieu. Cependant, il avait un brillant disciple, un assistant rabbin appelé Rebbe Natan de Nemirov, qui vivait avec lui, le servait et était son étudiant.

Un jour, un messager arriva avec un message offrant à Rabbi Natan un poste important en tant que rabbin d’une grande ville. Il a alors été pris dans un dilemme – il voulait servir la communauté juive, mais il voulait aussi rester étudier auprès de son maître Rabbi Na’hman. Il s’est débattu avec ce dilemme et a fini par demander à Rabbi Na’hman lui-même : “Que dois-je faire : rester ou partir ?” Rebbe Nahman lui a répondu : pars. Il était perplexe et un peu blessé, mais il a accepté le poste dans la grande ville et a fait ses valises.

Dans la calèche qui quittait le village, il est frappé par le doute ayant du mal à croire qu’il quitte son maître pour toujours. Il saute de la calèche, court jusqu’à la maison de Rebbe Nahman et demande à nouveau : “que dois-je faire, rester ou partir ?” Rebbe Nahman lui répond : reste. Confus, il demande : qu’est-ce que tu veux dire ? tu as dit pars, tu as dit reste… Rebbe Nahman a dit: “Si tu veux connaître la vérité, la vérité est que tu devrais partir. Mais la vérité de la vérité, c’est que tu devrais rester ici.” 

(Et dans d’autres versions de l’histoire, il répond : si tu veux connaître la vérité de la vérité, tu ne devrais pas être rabbin.)

L’une des grandes luttes que je ressens dans nos vies, dans ce monde, c’est de connaître la vérité. La version simple que nous racontons à nos enfants au Talmud Tora est qu’il est bon de dire la vérité et mal de mentir. Mais dans la vraie vie, comment appliquer cela ? Quelle est la vérité la plus vraie ? Peut-être que Rabbi Na’hman voulait dire que quoi qu’il ait choisi, rester ou partir, cela aurait été la vérité rétroactivement. Mais comment pouvons-nous prendre des décisions lorsque rien n’est clair?

Nous vivons dans un monde où il y a énormément d’informations et peu de certitudes. Des gens qui s’expriment dans les médias prétendent que les médias sont un mensonge, que tout, sauf ce qu’ils disent, relève des “fake news”. Nous voyons des photos sur les réseaux sociaux et tout le monde semble avoir une vie parfaite, sauf nous. Dans chaque grand débat, nous sommes sûrs que tout le monde est mal informé, sauf nous. Mais peut-être que c’est nous qui sommes mal informés. Comment savons-nous ce qu’il faut faire ? 

Il y a une phrase que nous disons dans chacune de nos prières à Roch Hachana. 

וטהר לבנו לעבדך באמת כי אתה אלקים אמת ודברך וקיים לעד 

“Purifie nos cœurs afin que nous puissions te servir en toute vérité, car tu es le Dieu de vérité et tes paroles sont vraies pour toujours.” 

Science et religion

Une façon de comprendre cela est que Dieu non seulement commande la vérité, mais *est* la vérité. Que le langage de Dieu est la vérité, de sorte que chaque fois que nous rencontrons quelque chose de vrai, nous pouvons sentir Dieu dans le monde, et chaque fois que nous disons ce qui est vrai, nous rendons Dieu plus présent et manifeste dans le monde. On nous dit parfois qu’il existe une tension entre la religion et la vérité, que le langage de la vérité est la science et les mathématiques, et que le langage de la religion est la foi et la suspension de la pensée rationnelle. Ce n’est pas forcément le cas.

Lorsque nous examinons la description que fait Maïmonide de la mitsva d’aimer Dieu, ve’ahavta, c’est ainsi qu’il la décrit : 

וְהֵיאַךְ הִיא הַדֶּרֶךְ לְאַהֲבָתוֹ וְיִרְאָתוֹ. בְּשָׁעָה שֶׁיִּתְבּוֹנֵן הָאָדָם בְּמַעֲשָׂיו וּבְרוּאָיו הַנִּפְלָאִים הַגְּדוֹלִים וְיִרְאֶה מֵהֶן חָכְמָתוֹ שֶׁאֵין לָהּ עֵרֶךְ וְלֹא קֵץ מִיָּד הוּא אוֹהֵב וּמְשַׁבֵּחַ וּמְפָאֵר וּמִתְאַוֶּה תַּאֲוָה גְּדוֹלָה לֵידַע הַשֵּׁם הַגָּדוֹל. כְּמוֹ שֶׁאָמַר דָּוִד (תהילים מב ג) “צָמְאָה נַפְשִׁי לֵאלֹהִים לְאֵל חָי”

 

“Quel est le chemin pour atteindre l’amour de Dieu ? Lorsqu’une personne étudie Ses merveilleuses et grandes actions et créations et apprécie Sa sagesse infinie qui surpasse toute comparaison, elle va immédiatement L’aimer, Le louer et Le glorifier, aspirant par un immense désir à connaître le grand nom de Dieu, comme David l’a déclaré : “Mon âme a soif de l’Éternel, du Dieu vivant”. 

Comprendre le monde est donc une obligation religieuse et spirituelle. Ailleurs, Maïmonide écrit que le chemin vers la perfection spirituelle commence par l’étude des mathématiques, de l’astronomie, de la médecine et de la philosophie. 

En tant que juifs Massorti, nous sommes particulièrement fiers de notre relation avec la pensée scientifique et le langage de la vérité. Certains juifs croient des choses qui sont fausses, et d’autres juifs, peut-être la plupart, sont à l’aise avec le fait d’avoir une pensée dissonante : à l’intérieur de la synagogue, ils disent une chose, à l’extérieur, ils en disent une autre. À l’intérieur de la synagogue, la création d’Adam date de 5784 années, et à l’extérieur, l’univers a 13 milliards d’années. À l’intérieur de la synagogue, chaque mot de chaque paracha, de chaque midrash, est sacré et ne peut jamais être remis en question ; à l’extérieur, nous comptons sur des études et des tests scientifiques nombreux avant de faire confiance en la sécurité d’un aliment, d’un médicament ou d’une technologie.

Les juifs Massorti essaient de réduire ce fossé entre les deux mondes – apprendre l’histoire de nos textes et de nos traditions ; comprendre la différence entre l’essentiel et le contextuel dans notre halakha, notamment en ce qui concerne les rôles des hommes et des femmes ; et comme Maïmonide, considérer l’éducation laïque comme une obligation religieuse. Massorti ne veut pas dire parfait, et nous ne connaissons pas toujours la vérité ou ne sommes pas toujours d’accord entre nous, mais en tant que principe, nous sommes et devons en être fiers. Encore une fois : 

וטהר לבנו לעבדך באמת כי אתה אלקים אמת ודברך וקיים לעד

“Purifie nos cœurs afin que nous puissions te servir en toute vérité, car tu es le Dieu de vérité et tes paroles sont vraies pour toujours.” 

Je suis ici dans cette synagogue parce que je crois en ce projet, mais je sens aussi un problème. Il y a quelque chose de vide dans le fait de construire toute notre identité sur la critique, même lorsque le but est quelque chose d’aussi noble que la vérité. Il y a un vide que nous ressentons dans la société moderne et dans le judaïsme moderne, un sentiment que quelque chose manque. Ok, donc nous connaissons la vérité.

Et maintenant, que faire ? 

Le philosophe Paul Ricoeur fait référence à ce vide moderne et parle parfois d’une “seconde naïveté”. En fait, cette expression avait déjà été utilisée dans les années 1930 par un éducateur juif allemand appelé Ernst Simon. Ce concept est peut-être la clé nous permettant de dépasser un judaïsme qui doit choisir entre des traditions naïves et une vérité critique, et nous amener à une vie religieuse moderne honnête et épanouissante. Permettez-moi de donner quelques exemples pour montrer à quoi pourrait ressembler cette seconde naïveté. 

Tout d’abord, la création. Nous chantons : Hayom Harat Olam, aujourd’hui, Roch Hachana, est l’anniversaire de la création du monde, ou selon une autre source, de la création d’Adam. Il y a 5784 ans exactement, Adam a été créé, et dans les six jours qui l’ont précédé, il y a eu la création de la lumière et de l’obscurité, des arbres et des animaux. Cette histoire est puissante, non seulement au cours de Talmud Torah, mais aussi pour donner un sens au monde, pour sentir que tout a un but et une raison.

Mais nous savons que ce n’est pas littéralement vrai, ni le monde ni le premier Adam n’ont été créés comme tels à Roch Hachana il y a 5784 ans. S’il existe des segments de la société juive, en particulier en Israël et peut-être aussi en France, qui n’enseignent pas aux enfants l’astronomie, l’évolution et les dinosaures, il faut protester contre cela. Mais nous pouvons aussi voir des choses comme le Big Bang et l’évolution comme de nouvelles descriptions de l’histoire de la création, de les apprécier comme belles et touchantes, avec une dimension de responsabilité. Apprendre à quel point notre monde est rare et fragile donne un nouveau sens à la tâche confiée à Adam dans le jardin d’Eden, le’ovda oulechomra, “le cultiver et le soigner”. Une seconde naïveté nous permet de nous soucier du monde dans lequel nous vivons ; de ne pas simplement connaître la vérité à son sujet, mais la vérité de la vérité. 

Il en va de même pour les idées de jugement, de récompense et de punition. Une lecture naïve de cette journée, celle que nous lisons dans la prière de Ou’netaneh Tokef, est que Dieu est assis comme un juge sur son trône et décide qui vivra et qui mourra, qui sera riche et qui sera pauvre, qui souffrira et qui se réjouira. Et bien que cette confiance soit admirable, une telle vision du monde comporte un danger de passivité. Quelqu’un ici me racontait comment sa mère dit “Hachem va pourvoir”, alors qu’il lui donne de l’argent pour payer sa nourriture et son logement. La vérité est que c’est généralement le travail dur qui conduit à des résultats miraculeux, et la vérité est que les personnes bonnes meurent parfois et que les personnes qui font davantage de mal autour d’elles vivent généralement plus longtemps.

Encore une fois, nous devons parfois protester contre une approche passive et naïve qui est parfois choquante et parfois dangereuse. Mais le simple fait de connaître la vérité nous laisse dans une situation très médiocre. Et maintenant, que faire ? Une approche selon la ”seconde naïveté” considère les idées de récompense et de punition comme vraies d’une manière profonde. Je ne contrôle pas tout dans ma vie – ni ma santé, ni mon succès. C’est peut-être la raison pour laquelle beaucoup d’entre nous sont ici aujourd’hui, au jour du jugement, dans la reconnaissance que nos actions ont de l’importance mais que nous ne contrôlons pas toujours leurs conséquences. Nous acceptons que si nous ne faisons pas ce qu’il faut, nous causons du tort à nous-mêmes et aux autres, et c’est pourquoi nous nous sentons jugés aujourd’hui si nous n’avons pas été à la hauteur de nos principes. Et nous acceptons que même si nous faisons de bonnes choses, nous n’avons jamais le contrôle total de notre vie, et nous l’exprimons en demandant la miséricorde divine. 

(L’un de mes petits projets de cette année a été de créer ici une bibliothèque hébreu pour les Israéliens de Paris. Il y a quelques jours, une Israélienne m’a offert des livres, et j’ai dit que je viendrais les chercher, et j’ai terminé mon texto par les mots ” be’ezrat hachem “, si Dieu le veut. Elle m’a répondu : “Cela ne dépend pas de Dieu mais de la bonne volonté de chacun d’entre nous“. J’aurais dû me taire mais j’ai répondu ce que je viens de dire ici : “Oui, bien sûr, mais notre bonne volonté ne contrôle pas le fait que le métro arrive à l’heure, et la pluie, etc.” Elle m’a répondu : “Tu crois que Dieu contrôle la pluie?” Et elle a cessé de communiquer avec moi et je n’ai pas reçu les livres. Maintenant, elle pense que je suis stupide et naïf. Mais elle ne sait pas que j’en suis à ma deuxième naïveté, je *choisis* de dire des choses comme “si Dieu le veut“, de ne pas être piégé dans une perspective limitée du monde avec moi et ma confiance en son centre). 

Encore une fois : 

וטהר לבנו לעבדך באמת כי אתה אלקים אמת ודברך וקיים לעד 

“Purifie nos cœurs afin que nous puissions te servir en toute vérité, car tu es le Dieu de vérité et tes paroles sont vraies pour toujours.” 

Pourquoi avons-nous besoin d’une prière pour demander à Dieu de nous permettre d’être vrais? Notre tâche devrait être d’étudier et de comprendre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, d’éliminer tout ce qui est faux de nos vies et de nos modes de vie, et de nous élever contre ceux qui proclament des choses qui ne sont pas vraies. Mais cela ne suffit pas. Après tout cela, nous prions pour atteindre la vérité de la vérité, un réalisme scientifique qui a de la place pour le doute, la naïveté, l’espoir, la compassion ; une critique qui a de la place pour la gentillesse et le fait d’être surpris ; nous prions pour pouvoir prier. C’est ce que j’espère pour moi et pour notre communauté. 

Chana Tova !

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