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Roch Ha Chana 5786: répétition

La dracha de notre présidente au deuxième jour de Roch Ha Chana

La Guemara (1) rapporte une discussion entre Bar Hei Hei et Hillel. Bar Hei Hei demande à Hillel : « Que signifie ce qui est écrit : « Alors tu feras de nouveau la distinction entre le juste et le méchant, entre celui qui sert Dieu et celui qui ne Le sert pas » (Malachie 3:18) ? Il y a ici deux redondances : « les justes» équivaut à  «ceux qui servent Dieu », et « les méchants » équivaut à « ceux qui ne Le servent pas». Hillel lui répondit : « Ceux qui Le servent » et « ceux qui ne Le servent pas » désignent tous deux des personnes parfaitement justes. Mais le verset fait allusion à une distinction entre eux, car celui qui révise ses études cent fois n’est pas comparable à celui qui les révise cent et une fois. 

Bar Hei Hei lui dit : « Et à cause d’une seule fois où il n’a pas révisé, le verset le qualifie de personne «qui ne Le sert pas » ? Il lui répondit : « Oui. Va apprendre du marché des conducteurs d’ânes. On peut engager un conducteur pour parcourir jusqu’à dix parasanges pour un zuz. Cependant, il parcourra onze parasanges pour (…) deux zuzim. Cela montre que tout écart (…) est considéré comme une différence significative.

Au moment où nous entrons à nouveau dans le cycle des fêtes de Tichri en même temps que celui d’une nouvelle d’année, ce curieux midrach peut nous aider, je crois, à réfléchir aux vertus paradoxales de la répétition, d’une répétition performative c’est-à-dire créatrice dans son mouvement même.

Le sage se remet cent fois à l’étude du même verset, il en connait toutes les subtilités, il en revoit toutes les interprétations. « La répétition, écrit la psychanalyste et philosophe Eliane Amado Levy-Valensi, est un sens qui se cherche. » La cent unième fois, le même verset soudain s’éclaire d’une interprétation nouvelle, qui n’invalide pas les précédentes mais s’en nourrit, les fait résonner différemment et ouvre une perspective inédite, comme il arrive parfois quand nous écoutons le son du chofar, et qu’un accent, une modulation, une voix nous saisissent, nous transportent et nous transforment. 

C’est toute la dynamique du Hidouch, riche du passé, novatrice au présent, féconde pour l’avenir. 

Dans les Confessions,(2) au terme d’une célèbre réflexion sur la nature du temps, Augustin écrit : « Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? (…) que l’on dise, par un abus de l’usage : Il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir (…) j’y consens, pourvu (…)  que l’on ne pense point que l’avenir soit déjà, que le passé soit encore. » 

Je crains qu’une fois de plus, nous Juifs ne décevions Augustin qui nous considérait comme un « reliquat »… Le mouvement du Hidouch n’est pas celui-là : nourrit d’un passé sans cesse revisité, inédit au présent, ouvert à un avenir qui ne se réduit exclusivement ni à une longue patience, ni à une attente. « Le poème, écrit René Char, qui aurait bien mérité d’être talmudiste, est l’amour réalisé du désir demeuré désir. » (3)

Si nous investissons dans notre quotidien cette logique du Hidouch, le recommencement du cycle de l’année échappe à la logique mortifère d’une répétition statique et stérile.

Dans un ouvrage incisif, pertinent et souvent drôle, appuyé aussi à la lecture de Job, le philosophe danois Soren Kierkegaard écrit : « On se souvient de la véritable répétition en allant vers l’avant. C’est pourquoi, la répétition, quand elle est possible rend l’homme heureux (…) La répétition est un habit inusable qui vous tient comme il faut tout en restant souple, sans vous étouffer ni ballonner. » (4)

A notre manière et à la suite de Jérémie (5) nous le disons depuis des siècles dans un bel oxymore :

חַדֵּשׁ יָמֵֽינוּ כְּקֶֽדֶם, Renouvelle nos jours comme aux temps jadis

A Moïse qui au Buisson ardent demandait à l’Eternel comment il convenait de le nommer auprès des Hébreux, la réponse impossible à formuler en un vocable unique exigea trois versets consécutifs : אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה « Et Dieu a révélé à  Moïse : je serai qui je serai » (6) « Et il a ajouté voici ce que tu diras aux fils d’Israël : « Je serai » m’a envoyé vers vous »,(7) « Et Dieu dit encore à Moïse : ainsi tu parleras aux fils d’Israël : Adonaï le Dieu de vos pères, le Dieu d’Avraham, le dieu de Yitzhak et le dieu de Yaaqov m’a envoyé vers vous. Tel est mon nom pour toujours, dont on perpétuera le souvenir de génération en génération. » (8) Le nom de Dieu ne tient pas en place ! Il se décline selon une variable temporelle. Le sage qui 100 fois répète sa lecture et qui lorsqu’il se penche sur le verset une fois de plus l’éclaire d’un sens nouveau est l’héritier de cette parole mouvante qui honore le passé dans le vif et l’inédit du présent sans forclore l’avenir.

« Nous sommes en ce jour plus près du sinistre que le tocsin lui-même c’est pourquoi il est grand temps de nous composer une santé du malheur. Dût-elle avoir l’apparence de l’arrogance du miracle » écrit encore René Char (9)comme nous pouvons entendre aujourd’hui le Psaume 96 : שִׁירוּ לַיהוָה, שִׁיר חָדָשׁ, qui nous enjoint de « Chanter à l’Eternel un chant nouveau ». 

C’est ce que je nous souhaite. C’est ce que nous allons faire, comme toutes les autres années et de manière pourtant inédite. Que ce chant, avec nos questions, nos colères et notre désespoir face au chaos terrible du monde, face à l’injustice immémoriale et toujours neuve faite à Israël, porte plus fort encore l’espérance que nous ne céderons à personne, notre fidélité et notre confiance têtue dans la Tradition féconde qui nous tient droits.

Chana Tova.

Aline Benain

Notes:

(1)  Haguiga 9b.

(2) Confessions, Livre IX.

(3) Dans Feuillets d’Hypnos. Le recueil publié pour la première fois en 1948 a été composé entre 1943 et 1944 alors que Char était dans la clandestinité de la Résistance.

(4) Soren KIERKEGAARD, La répétition, Paris 2016, Rivages poche, p.28-29.

(5) Lamentations, V,21.

(6) Chemot, III-13

(7) Chemot, III-14

(8) Chemot, III-15, traduction Henri Meschonnic

(9) René CHAR, in A une sérénité crispée, Paris, 1951.

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