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Réflexions sur les difficultés du chabbat

Deux définitions de la sainteté sont évoqués dans les parachot Arahei Mot et Kedochim et toutes deux ont un lien avec le chabbat. Mais le chabbat est un exercice qui comporte des difficultés. Réflexions, avec les rabbin Josh Weiner.

Aharei Mot Kedochim 5783 par le rabbin Josh Weiner

Les deux parachot que nous lisons aujourd’hui parlent toutes les deux de la sainteté de différentes manières. Dans la première, on dit à Aaron que l’accès à l’espace sacré est toujours restreint

– אל יבוא בכל עת אל הקודש – il ne doit pas entrer dans le Kodech quand il le souhaite, mais seulement de façon limitée une fois par an, cérémonie qui sert de base à la cérémonie annuelle de Yom Kippour.

Kodech signifie ici le lieu sacré de Dieu, et plus généralement, les choses qui sont considérées comme appartenant à Dieu sont appelées Kodech. La deuxième paracha utilise le mot d’une manière différente, en tant qu’adjectif. קדושים תהיו, vous serez Kadoch de la même manière que moi, votre Dieu, je suis Kadoch.

Si l’on suit les cinquante et un exemples donnés après cette déclaration liminaire, il semble qu’atteindre cet adjectif et devenir sacré dépende de certains comportements. Certains comportements énumérés sont éthiques : éviter la corruption qui accompagne le pouvoir, ne pas abuser des membres les plus faibles de la société, respecter l’intégrité du système judiciaire.

Deux types de sainteté

Si nous comparons cela au kodech décrit dans la première paracha, l’espace sacré dans lequel le grand prêtre ne pouvait entrer que le jour de Yom Kippour, nous avons deux exemples de ce que certains appellent la sainteté intrinsèque et la sainteté acquise. Le Temple, par exemple, *est* saint. Mais quelqu’un qui ne ment pas, qui ne maudit pas les sourds et qui laisse le coin de son champ aux pauvres etc…, alors il *devient* saint.

Il est intéressant de noter qu’un mot est commun aux deux descriptions de kodech, il s’agit de chabbat. Yom Kippour est appelé un chabbat chabbaton, un repos complet ; et dans les descriptions du comportement de kodech, nous sommes appelés à deux reprises à observer le chabbat. Il est à la fois sacré en lui-même, mais aussi le résultat d’un certain comportement sacré. 

Mais à quoi cela ressemble-t-il ? Respecter chabbat devrait être la chose la plus facile au monde – il suffit de s’abstenir de faire quoi que ce soit d’autre pendant un jour chaque semaine. Mais notre expérience est différente.

Se reposer le chabbat n’est jamais facile, cela s’accompagne toujours de sacrifices et de compromis, de tensions et de doutes. Et ce n’est pas un phénomène moderne, ni un truc de Massorti, ni une réaction au mode de vie occidental. Je pense que cette difficulté est inhérente à l’expérience du chabbat, en tout temps et en tout lieu. Déjà dans la paracha, nous avons une tension présentée dans le verset : Révérez votre mère et votre père et cependant, observez mon chabbat. Il y a la présomption qu’il y aura toujours une contradiction ou une difficulté entre le respect des parents et le respect de chabbat. 

Chabbat et principe de réalité

Habituellement, le travail du rabbin consiste à dire que chabbat est génial, et j’y viendrai, mais je pense qu’il vaut la peine de considérer d’abord certaines difficultés très honnêtes et légitimes. Tout d’abord, la réalité économique. Certains emplois ne sont pas divisibles par des jours ou des heures, donc ne pas pouvoir travailler pendant chabbat signifierait ne pas avoir cet emploi du tout. Se soucier d’avoir un revenu n’est pas de l’égoïsme ou de la cupidité, et certaines pressions du marché font du repos à chabbat et des fêtes un luxe.

Deuxièmement, il y a la difficulté du long silence qui demeure une fois que toutes les distractions du travail sont interdites. Une fois que nous avons arrêté le flux de textos et de courriels, et que le monde se calme – nous avons plus de chances de rencontrer ce silence difficile, ainsi que les peurs et les doutes qui l’accompagnent. Cela peut se produire pendant les offices à la synagogue, mais à l’approche des longues journées d’été, nous savons à quel point il peut être difficile après les offices également, d’être privé des distractions dont nous avons envie pendant toute une journée.

Et une troisième raison pour laquelle les gens n’aiment pas respecter chabbat est le fait qu’ils aiment en réalité créer, construire et produire. Il y a quelque chose dans l’esprit humain, formé à l’image de Dieu, qui est créatif et cela ne disparaît pas un jour par semaine. Parfois, le repos forcé du chabbat prive les gens de la satisfaction créative qui peut découler du travail. 

Chabbat et le désir de créer

Maintenant, laissez-moi revenir à mon rôle de rabbin et dire que chabbat, c’est vraiment génial. Mais je veux utiliser les difficultés de chabbat comme des portes d’entrée possibles pour comprendre chabbat en tant que jour sacré. 

En hébreu moderne, nous utilisons le mot chevita pour désigner une grève – un sujet familier en France ! Lorsqu’un travailleur est en grève, il dialogue avec le travail qu’il a quitté, mais c’est un dialogue intime et passionné. Chaque gréviste perd de l’argent mais considère que cela en vaut la peine, pour l’idéologie et la hiérarchie des valeurs qu’il possède.

L’analogie n’est pas exacte, mais cet esprit du gréviste pourrait néanmoins inspirer notre attitude économique à l’égard de chabbat : nous devrions considérer ce jour comme non évident, idéologique et radical. La peur du silence, des longues heures où nous affrontons les plus difficiles de nos pensées sans les distractions habituelles, est réelle. Pour reprendre la comparaison avec le Temple, des chercheurs bibliques comme Yehezkel Kaufmann et Israel Knohl ont parlé du Temple décrit dans le livre du Lévitique comme “le sanctuaire du silence”, dénué des incantations et des cris des religions païennes. Même la prière était un ajout ultérieur, une distraction du devoir silencieux des prêtres.

Il se peut que nous soyons heureux d’avoir des moments de silence pour vraiment réfléchir, et chabbat est parfois agréable de ce point de vue. Mais il serait peut-être préférable de décider quelles distractions nous préférons aux distractions habituelles que sont le travail, le téléphone, Internet, le commerce etc. En décidant à l’avance des livres, des promenades et des conversations que nous voulons avoir, chabbat devient un jour de choix actif et de responsabilisation, et pas seulement de restrictions.

Pour reprendre les termes de Rabbeinu Bahya dans son commentaire sur notre paracha, קדש עצמך במותר לך , nous pouvons utiliser ce qui est permis pour atteindre la sainteté. Quant au désir de créer, Chabbat peut être un jour où ce désir est nourri. Il y a un principe dans le Talmud selon lequel hirhourim moutarim, les pensées d’activités interdites sont autorisées. Peut-être pas seulement autorisés, mais encouragés. Idéalement, les frustrations ressenties le chabbat de ne pas pouvoir faire quelque chose de créatif et de satisfaisant peuvent se transformer en un désir et un engagement renouvelés de les faire pendant la semaine. Les trente-neuf travaux qui faisaient partie de la construction du michkan et qui sont interdits le chabbat ne sont pas mauvais, et un chabbat éternel n’est pas le mode de vie idéal. Nous voulons vouloir construire, créer et bâtir. Chabbat, avec sa pause artificielle par rapport à la routine quotidienne, peut réinitialiser nos désirs et nous rappeler ce que nous voulons vraiment inclure dans la routine quotidienne.

Ce n’est pas mon intention ni mon rôle d’entrer dans les choix individuels de chacun et d’essayer de changer le comportement de qui que ce soit – et pardonnez-moi si cette dracha ressemble à cela. C’est plutôt une prise de conscience que j’ai eue à partir de la paracha de cette semaine, parlant de sainteté, qui m’a fait comprendre chabbat d’une manière différente, comme un idéal intentionnellement impossible.

Chabbat peut être un lieu d’entraînement pour pratiquer un état d’esprit qui corresponde au comportement saint décrit dans la paracha. De la même façon que les lieux saints peuvent être dangereux et qu’il faut y pénétrer avec précaution, il y a un danger à chabbat de devenir fou et de se perdre dans les détails et les lois. De même que la sainteté est toujours évoquée au futur, kedochim tihiyu, soyez saints, mais ne peut jamais être absolument atteinte – chabbat aussi est toujours un idéal impossible qui doit être recalibré à nouveau chaque semaine. 

Bonne chance et chabbat chalom !

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