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Pourquoi la guerre ?

L'inévitabilité du conflit et de la prière, paracha Bamidbar 5784

Par le rabbin Josh Weiner

Le livre des Nombres, Bamidbar, s’ouvre sur un recensement du peuple. Il intervient alors que le peuple semble passer à un stade plus mature de son existence : il a désormais une religion organisée et centralisée, un code de lois, un système judiciaire, et il commence à se préparer à entrer sur la terre d’Israël.

Il semble assez clair, d’après le texte, que le recensement est avant tout destiné à des fins militaires. Seuls les hommes de plus de 20 ans sont comptés et on les désigne explicitement comme kol yotsé tsava be’yisrael, des personnes qui pourraient potentiellement servir dans l’armée. Il est intéressant de noter que les hommes de la tribu de Lévi sont exclus de ce décompte et sont comptés séparément plus tard, à partir de l’âge d’un mois. Cela semble indiquer qu’ils ne faisaient pas partie de l’armée du peuple d’Israël. En effet, selon Maïmonide, les Lévites sont toujours exemptés de service militaire et ont un rôle distinct dans la société : répondre aux besoins religieux et instruire le peuple dans la Torah. Cette perspective est bien connue des étudiants des Yeshivot et des juifs ultra-orthodoxes en Israël aujourd’hui, en particulier la suggestion radicale de Maïmonide selon laquelle toute personne qui le souhaite peut devenir un lévite honoraire, se consacrer à la Torah et être exemptée du service militaire. Je cite :

וְלֹא שֵׁבֶט לֵוִי בִּלְבַד אֶלָּא כָּל אִישׁ וְאִישׁ מִכָּל בָּאֵי הָעוֹלָם אֲשֶׁר נָדְבָה רוּחוֹ אוֹתוֹ וֶהֱבִינוֹ מַדָּעוֹ. לְהִבָּדֵל לַעֲמֹד לִפְנֵי ה’ לְשָׁרְתוֹ וּלְעָבְדוֹ לְדֵעָה אֶת ה’ וְהָלַךְ יָשָׁר כְּמוֹ הָאֱלֹהִים וּפָרַק מֵעַל צַוָּארוֹ עֹל הַחֶשְׁבּוֹנוֹת הָרַבִּים אֲשֶׁר בְּנֵי הָאָדָם הֲרֵי זֶה נִתְקַדֵּשׁ קֹדֶשׁ קָדָשִׁים וְיִהְיֶה ה’ חֶלְקוֹ וְנַחֲלָתוֹ לְעוֹלָם וּלְעוֹלְמֵי עוֹלָמִים וְיִזְכֶּה לוֹ בָּעוֹלָם הַזֶּה דָּבָר הַמַּסְפִּיק לוֹ כְּמוֹ שֶׁזָּכָה לַכֹּהֲנִים לַלְוִיִּם

Non seulement la tribu de Lévi, mais tout habitant du monde dont l’esprit le motive généreusement, qui avec sa sagesse souhaite se mettre à l’écart et se tenir devant Dieu pour le servir et le connaître, il est sanctifié comme saint des saints. Dieu sera sa portion et son héritage pour toujours et lui fournira ce qui est suffisant dans ce monde comme il le fait pour les prêtres et les lévites. (Michné Tora, Chemita 13:13)

Cependant, tout le monde n’est pas d’accord pour dire que ce recensement était purement destiné aux préparatifs de guerre. Ovadia Seforno, un commentateur italien du XVIe siècle, soutient que, sans la transgression des dix explorateurs, les Hébreux n’auraient pas eu besoin de se battre pour posséder la terre. L’idéal était d’entrer dans le pays sans guerre. Ce point de vue est soutenu par le Midrach Sifrei sur le Deutéronome.

ראה נתתי לפניכם את הארץ, אמר להם איני אומר לכם לא מאומד ולא משמועה אלא מה שאתם רואים בעיניכם. באו ורשו את הארץ, אמר להם כשאתם נכנסים לארץ אין אתם צריכים זיין אלא קובע דיופטין ומחלק סליק פיסקא

« Venez et possédez la terre » : Lorsque vous entrerez dans le pays, vous n’aurez pas besoin d’armes, mais seulement de compas et de règles pour répartir la terre entre vous. (Sifrei Devarim 7:1)

Alors pourquoi compter les hommes, selon ce point de vue ? Le Seforno semble penser qu’il s’agissait simplement de ranger les gens, afin qu’ils sachent comment entrer dans le pays dans le bon ordre. Rachi propose une autre explication : Dieu aime le peuple et aime le compter. (מִתּוֹךְ חִבָּתָן לְפָנָיו מוֹנֶה אוֹתָם כָּל שָׁעָה) Tout comme certains admirent leurs bibliothèques ou leurs collections et passent du temps à simplement les regarder, Dieu compte son peuple par amour.

Ainsi, nous avons deux perspectives : L’une considère le conflit militaire comme inévitable et le recensement comme nécessaire à cette fin. L’autre envisage un monde idéal où le conflit aurait pu être évité et où le décompte était plus une expression de l’affection divine qu’une nécessité.

Cette discussion sur le caractère inévitable de la guerre me rappelle le célèbre échange de lettres entre Sigmund Freud et Albert Einstein intitulé Warum Krieg?, « Pourquoi la guerre ? ». Écrit par deux juifs juste avant la Seconde Guerre mondiale, Freud affirme qu’il y aura toujours des guerres dans le monde, en tant qu’expression d’une tendance à la destruction dans la psyché de chaque individu humain et reflétée à tous les niveaux de la société humaine. Einstein est légèrement plus optimiste et affirme qu’il y aura probablement toujours des guerres, bien qu’il y ait une petite chance d’y échapper grâce au leadership international et aux cours de justice.

Quatre-vingt-dix ans après la publication de Warum Krieg ? et malgré la « longue paix » qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, je pense que nous avons tendance à nous ranger du côté du pessimisme de Freud. La guerre semble inévitable. Il ne s’agit pas d’être fataliste : de la même façon que le sommeil est inévitable mais que nous choisissons de nous réveiller chaque matin, que la faim est inévitable mais que nous la conquérons en mangeant plusieurs fois par jour, le fait que la guerre en général soit inévitable ne nous exonère pas de la responsabilité des choix qui mènent à une guerre en particulier, ou qui peuvent y mettre fin.

Nous vivons à une époque où le discours et l’expérience de la guerre nous entourent partout. La guerre en Russie, ainsi que la crise climatique, devraient être les principaux enjeux des élections européennes de ce week-end. Les guerres qui se déroulent au sud et au nord d’Israël sont dans tous nos esprits. Il est tentant d’utiliser un langage fataliste et de considérer la violence et la haine qui nous entourent comme inévitables, et d’un certain point de vue, c’est vrai. Mais du point de vue de l’ici-et-maintenant, chaque guerre et chaque action au sein d’une guerre est le résultat de choix humains, et en tant que société au nom de laquelle ces guerres sont menées, nous avons la responsabilité des choix qui sont faits.

Quoi qu’il en soit, je suis toujours émotionnellement mal à l’aise avec l’idée, que j’accepte intellectuellement, qu’il y aura toujours des guerres dans le monde et que la paix est impossible. Je fais donc ce que je fais toujours avec l’impossible — c’est-à-dire prier. C’est peut-être pour cela que chaque liturgie juive importante se termine par une prière pour la paix : nous l’avons à la fin de la Amida, et à la fin de la Birkat Hamazon, la bénédiction après les repas. Et à la fin du kaddish, nous prions pour la paix deux fois, une fois en araméen et une fois en hébreu :

יְהֵא שְׁלָמָא רַבָּא מִן שְׁמַיָּא וְחַיִּים עָלֵינוּ וְעַל כָּל יִשְׂרָאֵל

Qu’une grande paix vienne du ciel, apportant la vie à nous et à tout le peuple d’Israël. Cette chelama rabba, la grande paix, est peut-être l’aporie, la paix impossible que nous nous efforçons d’obtenir et pour laquelle nous prions, mais qui ne peut être réalisée qu’avec l’aide divine. Les midrachim parlent de la paix impossible dans les cieux, où le feu et l’eau coexistent en paix, sans que jamais l’un ne triomphe de l’autre. Lorsque nous disons yéhé chelama rabba min chemaya, nous demandons que cette paix céleste impossible nous soit imposée, et non que nous espérions jamais l’atteindre nous-mêmes. Puis nous répétons les mots en hébreu :

עוֹשֶׂה שָׁלוֹם בִּמְרוֹמָיו הוּא (בְּרַחֲמָיו) יַעֲשֶׂה שָׁלוֹם עָלֵינוּ וְעַל כָּל יִשְׂרָאֵל

La même idée qu’auparavant : Que Celui qui fait la paix en haut force la paix sur nous et sur tout le peuple d’Israël. Peut-être que le peuple dans le désert se préparait à la guerre, et peut-être qu’il a simplement apprécié l’expérience d’être compté. Peut-être que la guerre est inévitable ou peut-être qu’Einstein avait raison, que la paix réelle n’est pas totalement impossible. Quoi qu’il en soit, que ce soit dans nos actions, nos choix ou nos prières, nous espérons connaître des moments de tranquillité.

Comme nous le disons : Chabbat shalom !

[La fête de Chavouot aura lieu mardi prochain, et la tradition veut que l’on passe une nuit à apprendre la Torah. Si vous n’avez rien d’autre de prévu, vous pouvez passer un peu de temps à lire ce livret d’étude indépendant que j’ai composé avec beaucoup de textes et de questions sur les soi-disant Dix Commandements. Bonne lecture !]

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