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Une vision du futur

A partir de la paracha Vayehi, le rabbin Josh Weiner s'interroge sur le futur de sa fonction et du peuple juif avec l'avènement des nouvelles technologies.

Vayehi 5783 par le rabbin Josh Weiner

Merci. Je reviendrai à la dracha de Anaëlle dans une minute. Je voudrais d’abord me pencher sur la manière dont l’histoire de Jacob et de Joseph peut être une source d’inspiration pour nous aujourd’hui.

Joseph et Jacob ont tous deux placé leur foi et leur confiance en quelque chose de plus grand qu’eux. Pour eux, c’était Dieu. Mais même si nous ne croyons pas en Dieu, nous pouvons trouver de la valeur dans l’idée de placer notre confiance dans quelque chose de plus grand que nous, que ce soit un ensemble de valeurs, une communauté ou une puissance supérieure. Puissions-nous tous être inspirés par la persévérance, la détermination, le pardon et la foi de Joseph et Jacob, et retenir ces leçons pour nous guider à travers nos épreuves et nos difficultés. Amen.”

Le rabbin de demain?

Je dois révéler que tout ce que j’ai dit jusqu’à présent n’a pas été écrit par moi, mais par un logiciel d’intelligence artificielle, “Chat GPT”, mis à la disposition du public il y a un mois. Peut-être l’avez vous deviné lorsque j’ai dit “Amen”.

Je lui ai demandé d’écrire un court discours sur cette paracha, qui soit adapté aux Juifs de la France d’aujourd’hui. En quelques secondes, il a écrit un long sermon, avec beaucoup de clichés, quelques blagues, quelques banalités, quelques observations intéressantes, et je n’ai cité ici que le dernier paragraphe.

Je lui ai demandé d’écrire un poème sur la relation entre Joseph et ses frères dans le style d’Arthur Rimbaud, puis je lui ai demandé de résoudre les contradictions entre différents versets de la Genèse, et je lui ai aussi demandé de créer une conversation entre Rabbi Na’hman de Breslev et Napoléon. Les résultats sont fascinants.

Je lui ai ensuite posé des questions rabbiniques quotidiennes : quels sont les psaumes appropriés à réciter lors de la perte d’un enfant, que doit-on faire si l’on a mélangé par accident sa soupe de poulet avec une cuillère halavi, et comment préparer un repas de Cheva Brakhot. Les résultats n’étaient vraiment pas mauvais.

A ce stade, j’ai eu un peu peur, et je lui ai demandé si l’intelligence artificielle pourrait un jour remplacer les rabbins humains. Il m’a promis qu’il y avait certaines qualités et relations humaines qui ne pourraient jamais être remplacées par des machines.

J’espère que c’est vrai. En fait, je sais que c’est vrai. Un rabbin sait que lorsque quelqu’un vient avec une question, il y a toujours une question derrière la question, et avec sa réponse, le rabbin espère révéler et discuter cette plus grande question, qui souvent n’a jamais de réponse définitive. Le plus souvent, c’est la relation qui compte, plus que la connaissance.

Mais cela ne veut pas dire que l’intelligence artificielle ne changera pas le travail d’un rabbin, tout comme elle changera la plupart des domaines intellectuels dans les prochaines années. Les adolescents peuvent déjà demander à l’algorithme de rédiger leurs devoirs, et peuvent même lui demander de les écrire dans un style qui ne pourra pas être détecté par les logiciels de plagiat. Tout le système scolaire devra donc se réadapter, soit pour détecter l’écriture humaine, soit pour enseigner des compétences comme la façon de poser de bonnes questions. On peut dire la même chose du travail des médecins, des avocats, des juges, des chercheurs et de tous les domaines intellectuels. Pour les rabbins, ce n’est probablement pas si mal qu’un algorithme suggère des réponses possibles à partir de toute la bibliothèque juive. Mais comment l’appliquer, que dire à qui, voilà la redoutable responsabilité qui demeure.

Les bénédictions de Jacob à ses enfants

Mais revenons à notre paracha, et à un verset énigmatique – et je vous promets, c’est moi qui parle maintenant et je n’utiliserai plus jamais le logiciel dans une dracha ! Lorsque Jacob commence à bénir ses fils, il dit : “Approchez-vous de moi, et je vous révélerai ce qui arrivera à la fin des temps.” En fait, il ne fait pas cela. Les premières bénédictions sont des descriptions du caractère de ses fils, et ressemblent en fait plus à des malédictions qu’à des bénédictions. Il n’y a aucune mention explicite dans le chapitre de ce qui se passera à la fin des temps.

Alors pourquoi Jacob dit-il cela ? Rachi, se basant sur le Talmud, dit que Jacob a changé d’avis. Il voulait révéler une prophétie sur l’avenir, mais il perd sa capacité à prophétiser à ce moment-là, alors il commence à parler d’autres choses. Connaître toutes les informations n’était pas ce dont les douze enfants avaient besoin à ce moment-là. Il aurait pu leur parler des siècles d’esclavage en Égypte qui allaient arriver, et de l’Exode, et des batailles, et de la construction et de la destruction du premier et du deuxième temples et ainsi de suite.

Mais il semble que la Chekhina, ou l’endroit d’où vient le pouvoir de faire des prophéties, ne pensait pas que cette information était ce dont ils avaient besoin. Shimon et Lévi avaient besoin qu’on leur rappelle leur violence, Reuven avait besoin qu’on lui rappelle les limites, Joseph et Juda avaient besoin d’être inspirés pour devenir des dirigeants responsables. Je suis sûr qu’ils voulaient connaître des faits concernant l’avenir, mais Jacob leur dit ce qu’ils ont besoin d’entendre – la vérité sur le présent.

Cela se rapporte à ce que Anaëlle a décrit, l’héritage promis par Jacob à ses petits-enfants, qui ont continué sur son chemin. La chronologie exacte de ce qui se passe dans cette histoire au début de la paracha, quand il les rencontre et quel âge ils ont, n’est pas du tout claire. Mais à un certain moment, Jacob regarde les deux enfants et dit Mi élé, “Qui sont-ils ?” Il ne les reconnaît pas immédiatement comme ses petits-enfants. Selon certains commentateurs, c’est parce qu’ils portaient des vêtements égyptiens. Tu as probablement raison Anaëlle de dire que leur réussite est de ne pas s’assimiler au polythéisme qui les entoure, mais ils ne sont pas non plus identiques à la culture que connaît leur grand-père. Ils ne parlent pas le yiddish. La continuité ici ne consiste pas à être une copie des générations précédentes.

La bat mitsva que tu fête aujourd’hui est inspirée de celle de ton grand-père en 1941, mais je suis sûr qu’il n’aurait pas pu t’imaginer faire ce que tu as fait aujourd’hui, en tant que jeune femme juive forte, indépendante, compétente, engagée et fière. La bénédiction de Jacob à ses petits-enfants concerne les générations futures : que les futurs parents bénissent leurs enfants en se rappelant Efraim et Menassé. D’une certaine manière, il s’agit de relier les générations. Mais elle fournit également un modèle d’indépendance : que chaque génération soit aussi différente de ses grands-parents que Menassé et Efraim l’étaient de Jacob.

Le judaïsme continuera à se développer, comme il l’a toujours fait. Telle est notre tradition. Les rabbins joueront avec des machines à intelligence artificielle tout en essayant de donner des réponses aux questions qui se cachent derrière les questions. Nous recevrons les bénédictions dont nous avons besoin, plutôt que celles que nous voulons recevoir…

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