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Le dos et la main Dieu

La paracha Ki Tissa par le rabbin Josh Weiner

La paracha Ki Tissa / Para 5783 par le rabbin Josh Weiner

Veau d’or et vache rousse

Nous avons sorti aujourd’hui deux rouleaux de la Torah et lu deux textes, et pour résumer grossièrement: nous avons parlé de deux vaches, le veau d’or et la vache rousse.

L’histoire du veau d’or est présentée comme l’histoire du péché ultime, le crime passionnel commis par les Israélites alors qu’ils attendaient le retour de Moïse. Si la plupart des commentateurs y voient une transgression de l’interdit de l’idolâtrie, la création polythéiste d’un faux dieu, on peut aussi y voir une transgression monothéiste de la représentation de Dieu : les hommes (et non les femmes !) construisent la statue d’une vache et disent “Ceci est le Dieu d’Israël qui nous a fait sortir d’Égypte”.

Comme Adam nous l’a enseigné, le visage de Dieu n’est pas un visage qui doit être vu dans un sens physique. Mais le Dieu abstrait qui donnait à un Moïse lointain une Torah incompréhensible n’était pas ce que le peuple désirait à ce moment-là. Ils voulaient un dieu qu’ils puissent toucher, voir, avec lequel ils danseraient. Et c’est pour cela qu’ils ont été punis. 

Le midrach Tanhuma dit : “Que la mère nettoie ce que son enfant a fait : que la vache rousse expie le péché du veau d’or”. Cela nous amène à notre deuxième vache, la mystérieuse vache rousse. Je ne m’étendrai pas sur tous les paradoxes liés au rituel de la vache rousse, le plus célèbre étant que la personne sur laquelle on jetait les cendres de la vache brûlée pouvait devenir pure, alors que la personne qui jetait les cendres devenait impure en agissant de la sorte. Cela faisait partie de la préparation à Pessah, et c’est pourquoi nous lisons cette partie aujourd’hui entre Pourim et Pessah.

On ne peut pas “voir” Dieu mais on peut savoir qu’il est là

Rachi, citant le Talmud, dit que Satan et les nations du monde se moquent des Juifs parce qu’ils ont des lois si ridicules qu’on ne peut pas les comprendre : la vache rouge, Chabbat, l’interdiction de mélanger la viande et le lait. De cette manière, peut-être, la vache rouge répond au veau d’or : là, le peuple veut comprendre Dieu de manière simpliste, et il expie en recevant des lois impossibles à comprendre. 

Mais en fait, le peuple d’Israël n’est pas le seul à faire face au caractère incompréhensible de Dieu. Moïse aussi cherche le visage de Dieu. Adam a bien résumé la conception maïmonidienne de ce qui se passe dans cette conversation énigmatique entre Moïse et Dieu. Moïse pose deux questions, et Dieu répond non à l’une et oui à l’autre. Il demande à voir la face de Dieu, l’essence de Dieu, et la réponse est non : personne ne verra ma face et vivra. Il demande ensuite à connaître les voies de Dieu, comment Dieu opère dans le monde, et Dieu dit en gros oui : tu peux voir mon dos.

Plus tard, cela est décrit en détail, les fameux treize attributs divins, el, rahoum, hanoun, emet, Dieu qui est bon, miséricordieux, vrai. On ne peut pas voir l’essence de Dieu, mais si vous voyez la vérité dans le monde, ou la miséricorde, vous savez que Dieu est là. Cela est le dos de Dieu. Il y a quelque chose de très intime dans ce refus de Dieu de tout montrer. Reprenons le verset qu’Adam a cité, où Dieu refuse de montrer son visage, tandis qu’il donne une alternative. Tout cela n’est qu’une métaphore, bien sûr, mais comprenons la théâtralité de cette image :

וַיֹּ֣אמֶר ה הִנֵּ֥ה מָק֖וֹם אִתִּ֑י וְנִצַּבְתָּ֖ עַל-הַצּֽוּר׃ וְהָיָה֙ בַּעֲבֹ֣ר כְּבֹדִ֔י וְשַׂמְתִּ֖יךָ בְּנִקְרַ֣ת הַצּ֑וּר כַפִּ֛י עָלֶ֖יךָ עַד-עׇבְרִֽי׃

Et Dieu dit : “Il est un endroit près de moi : tu te tiendras sur le rocher ; puis, quand passera ma gloire, je te cacherai dans la cavité du roc et je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Alors je retirerai ma main et tu me verras par derrière ; mais ma face ne peut être vue.”

Ce n’est pas seulement le dos de Dieu que l’on peut voir, les aspects divins de bonté et de vérité qui marquent la présence de Dieu, mais aussi la main de Dieu qui cache le fait de savoir quoi que ce soit de plus. La main de Dieu recouvre Moïse – cette dissimulation est en fait une marque d’intimité. En étant tenu par cette main, sans pouvoir voir, nous voyons au moins la dissimulation.

Sentir la présence de Dieu

Je suis tenté de dire que cette dissimulation intime de l’essence de Dieu est ce que nous appelons aujourd’hui “religion”. La main de Dieu est appelée ici Kapi – ce qui rappelle le midrash où le mont Sinaï était suspendu au-dessus du peuple d’Israël jusqu’à ce qu’il accepte la Torah, kafa aleihem har, ou plus encore, la kippa.

Toute la religion : la vache rouge, le chabbat, la viande et le lait ; si c’était rationnel et compréhensible, ce serait comme voir Dieu. Si c’était un non-sens absolu, nous ne le ferions pas. Mais s’ils sont perçus comme des actes intimes de dissimulation de Dieu, nous sentons le contact de quelque chose de divin sans avoir besoin d’en comprendre le contenu.

La connaissance de Dieu est impossible, et donc interdite, mais la sensation de la présence de Dieu est possible et c’est ce à quoi nous aspirons. 


J’ai dit plusieurs fois ici que la marque de notre génération est la confusion. Nous ne savons rien. Il ne s’agit pas de l’ignorance profonde des grands philosophes et des mystiques. Nous ne comprenons tout simplement pas ce qui se passe, nous ne savons pas où les événements du monde nous mènent, nous sommes encore sous le choc de la pandémie. Nous ne savons pas comment intérioriser les données sur la crise climatique, même si on nous l’explique souvent.

Nous ne savons pas ce que les mots veulent dire, quand toutes les manifestations pour ou contre quelque chose utilisent les mêmes phrases. Nous ne voyons ni justice, ni clarté, ni Dieu, et nous ne sommes pas sûrs de ce que Dieu attend de nous. Bien sûr, la façon d’avancer et d’agir dans le monde doit venir de la pensée rationnelle, de l’analyse de ce que nous savons avec les outils dont nous disposons. Mais cela ne peut nous mener que jusqu’à un certain point. Nous avons probablement besoin non seulement d’être “sensibles” au sens anglais du terme, raisonnables, mais aussi d’être sensibles au sens français, de sentir par nos sens la dissimulation de Dieu, et de faire confiance aussi à nos instincts. Adam, ta paracha BM est entre deux vaches, celle de la frustration et celle de l’acceptation. Comme tout le monde ici, tu dois naviguer entre ces deux concepts. Je te souhaite bonne chance.

Chabbat shalom.

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