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Devenir Moïse

Que représente la figure de Moïse et pouvons-nous nous y identifier? Le rabbin Josh Weiner nous donne des éléments de réponse à travers ce commentaire de la paracha Chemot

Chemot 5783 par le rabbin Josh Weiner

Qui est Moïse?

Dans la paracha de cette semaine, nous rencontrons un personnage qui va nous accompagner jusqu’à la fin de la Torah. Je parle bien sûr de Moshé.  Il est tellement identifié au contenu de la Torah que nous l’appelons parfois par son nom, les cinq livres de Moïse, ou la loi de Moïse (דת משה), ou la foi mosaïque.

Les premiers chapitres de cette paracha présentent brièvement le personnage principal, avant de le ramener dans le récit collectif. On ne nous fournit pas beaucoup d’informations, il y a de grands trous dans l’histoire de fond qui sont comblés plus tard par des midrashim : qui racontent, par exemple, comment Moshé a grandi dans le palais de Pharaon, et comment il est parti pour livrer des batailles et devenir le roi d’Éthiopie.

Mais même les quelques histoires qui se trouvent dans la Torah elle-même doivent être remises en question : pourquoi le récit de Moïse se trouve-t-il dans la Torah, si la loi qu’il délivre est ce qui est important ? Pourquoi l’endroit où il est né, comment il a été élevé, qui il a épousé, ses défis et ses doutes et tous les détails qui sont séparés de l’histoire du peuple devraient-ils avoir de l’importance pour nous ?

Une réponse est que Moshé en tant qu’individu est quelqu’un qui est censé être imité, et donc sa vie individuelle fait partie du message de la Torah. Nous disons souvent, et c’est vrai, que nous n’avons pas de saints dans la Torah, et que les défauts des personnages sont là pour être étudiés et critiqués. Tout n’est pas là pour être imité, c’est certain. Mais quelque chose concernant Moshé est particulièrement paradigmatique. Tout le monde peut être, ou devenir, quelqu’un comme lui.

Notre rabbin

Cette idée trouve ses racines dans le Talmud, où le nom de Moshé est utilisé comme un surnom pour quelqu’un de très innovant dans sa pensée. Les rabbins se disent entre eux : “Moché chafir kaamart”, bien dit, Moïse. Même le titre que les juifs lui donnent couramment, Moshé Rabbénou, le place comme “notre rabbin”, une position très respectable à mon avis, mais qui peut être atteinte par n’importe qui. 

La hassidout a formulé cette idée, que tout le monde peut devenir Moshé, en langage métaphysique. R. Schneour Zalman de Liadi, à la fin du 18e siècle, a écrit qu’une étincelle de Moshé réside dans l’âme de chaque enseignant, et qu’elle peut devenir plus brillante ou plus faible tandis qu’il enseigne.

Rabbi Na’hman de Breslev développe davantage ce point. Il cite le verset מה שהיה הוא שיהיה, “ce qui était est ce qui sera”, et montre que les lettres initiales s’écrivent Moshé, il y a donc un Moshé dans chaque génération. Chaque fois qu’une personne en enseigne une autre, qu’une âme déverse son savoir et que l’autre le reçoit, c’est une manifestation de l’âme de Moshé. 

Le premier degré de prophétie

(Moïse) Maïmonide, dont il a été dit ממשה ועד משה לא היה כמשה, de Moïse à Moïse, il n’y avait personne comme Moïse – Maïmonide considère également Moshé comme le modèle ultime auquel aspirer. Dans le deuxième livre du Guide des égarés, il énumère douze niveaux de prophétie. Sans surprise, Moshé est le seul à atteindre le douzième, même s’il est possible pour tous ceux qui le souhaitent de perfectionner leur intellect et d’atteindre ce niveau également. Ce qui est moins connu, c’est son exemple du premier niveau de prophétie, qui est également Moshé.

Qu’est ce que le premier niveau de prophétie ? Je cite :

“Le premier degré de prophétie consiste en l’assistance divine qui est accordée à une personne, et qui l’incite et l’encourage à faire quelque chose de bon et de grandiose, par exemple, délivrer une assemblée d’hommes des mains des méchants ; sauver une noble personne, ou apporter le bonheur à un grand nombre de personnes ; il trouve en lui-même la cause qui le pousse et le pousse à cet acte. Ce stade d’influence divine est appelé “l’esprit de Dieu”.

Ce qui est décrit ici, c’est une sensibilité au monde, à la souffrance, à l’injustice et aux besoins des autres, accompagnée d’un sentiment d’inspiration sur ce qu’il faut faire pour remédier à la situation et du courage d’aller de l’avant et de le faire.

Je peux penser à quelques exemples de personnes de notre génération qui correspondent à cette description, juives et non-juives, et peut-être y en a-t-il dans la salle aujourd’hui. Cependant, les exemples que Maïmonide utilise pour illustrer ce niveau de prophétie proviennent de notre paracha. Je cite la suite du texte :

“Cette faculté a toujours été possédée par Moïse depuis qu’il avait atteint l’âge d’homme : elle l’a poussé à tuer l’Égyptien, et à empêcher le mal des deux Hébreux qui se disputaient ; elle était si forte qu’après s’être enfui d’Égypte par peur, et être arrivé à Madian, étranger tremblant, il ne pouvait se retenir d’intervenir lorsqu’il voyait qu’on faisait le mal ; il ne pouvait le supporter.”

Ce dernier exemple est le plus touchant. Pour rappel, Moshé avait sauvé un esclave hébreu de la flagellation en tuant l’esclavagiste égyptien. Il s’enfuit en Madian, et voit les sept filles de Yitro, le prêtre madianite, harcelées par des bergers alors qu’elles tentent de donner de l’eau à leurs moutons. Le texte n’est pas clair sur ce qu’il fait, mais d’une manière ou d’une autre, il chasse les hommes et fait monter de l’eau pour les sept sœurs. Il n’y avait aucune raison rationnelle pour lui de s’impliquer. L’expérience et son sens de l’auto-préservation auraient dû le convaincre de rester à l’écart cette fois-ci. Mais ces facultés que Maïmonide appelle le début de la prophétie – la sensibilité, l’inspiration et le courage – le conduisent à agir à nouveau et à protéger les femmes. 

Cela répond à la question, peut-être, de savoir pourquoi ce récit a été inclus dans la Torah. Tout le monde ne doit pas être un super-héros, comme Batman ou Superman, et chercher des méchants à combattre. Chaque personne est appelée ou inspirée d’une manière différente. La façon dont je comprends le modèle de Moshé est plutôt qu’il a suivi son intuition de la justice et n’a pas trouvé les excuses habituelles pour ne pas agir. Je ne connais pas beaucoup de prophètes et je ne suis pas sûr de pouvoir convaincre beaucoup de gens d’essayer d’atteindre le douzième niveau de prophétie, entendre directement la voix de Dieu. Mais au moins le premier niveau, suivre notre instinct pour savoir quelle est la bonne chose à faire, ça, c’est à notre portée.

Chabbat shalom !

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