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On ne rit pas impunément dans les ruines du Temple

A travers ce commentaire de Devarim et Ticha beAv Aline Benain livre ses réflexions sur la situation en Israël

Devarim et Ticha beAv 5783 par Aline Benain

La sidra Devarim qui ouvre le dernier des cinq livres de la Torah et que nous lisons généralement à l’approche de Ticha beAv décrit, par la bouche même de Moïse, la mise en place d’une véritable architecture judiciaire. Elle fait écho à la sidra Yitro (1), dans laquelle il avait reçu du prêtre de Madian, son beau-père, le conseil de déléguer ses prérogatives en matière de justice.


Les deux sidrot résonnent évidemment l’une avec l’autre mais également avec la sidra Korah (2) et cette résonance prend aujourd’hui une force singulière tandis que la démocratie israélienne est en danger et le pays au bord d’un affrontement civil.


Alors que Yitro recommande à Moïse de choisir « des hommes éminents, craignant Dieu, amis de la vérité, ennemis du lucre » pour « juger le peuple en permanence » tandis qu’ils lui soumettront tout problème important (3), Korah, postulant, la sainteté a priori de tous, refuse radicalement l’autorité de Moïse. La sédition démagogique qu’il tente d’inspirer n’a pas pour mot d’ordre « Ni dieu, ni maître » mais « Ni chefs, ni juges » ou plutôt, « Nous chefs, pas de juges ».


Dans la sidra Devarim, Moïse reprend à son compte l’organisation proposée par Yitro qu’il revient désormais au Peuple de mettre en œuvre. Les Sages remarquent que, si Yitro évoquait des comportements sociaux exemplaires pour distinguer les juges, Moïse insiste quant à lui sur leurs qualités intellectuelles :


« Attribuez-vous des hommes sages (Hahamim) et intelligents (Nivonim) et connus selon vos tribus, et je les placerai à vos têtes. »(4) que Rachi commente ainsi : « « Sages (Hahamim) : des gens précieux. Intelligents (Nivonim) : aptes à comprendre une chose par déduction à partir d’un autre. C’est la question qu’a posée Arius à Rabbi Yossi : Quelle différence sépare-t-elle les sages des gens intelligents ? [Il lui a répondu] : Le sage ressemble à un riche changeur : quand on le charge d’examiner des dinars, il les examine. Quand on ne lui en apporte pas, il reste assis à rêvasser. L’homme intelligent ressemble à un changeur professionnel : quand on le charge d’examiner des dinars, il les examine. Quand on ne lui en remet pas, il fait du commerce avec les siens. »


Il faut comprendre la métaphore bien au-delà de l’anecdote financière : Les Hahamim recueillent et préservent, c’est nécessaire, l’héritage d’une Parole que les Nivonim, dans la dynamique d’une pensée complexe, sont capables de faire vivre sans jamais la renier.


Lorsque les Maîtres du Talmud s’interrogent sur les raisons de la destruction du Temple, Rabbi Yohanan affirme ainsi (5) : « Jérusalem a été détruite uniquement parce qu’ils ont jugé des affaires sur la base de la Loi de la Torah dans la ville. La Guemara demande : Mais qu’auraient-ils dû faire d’autre ? Auraient-ils dû trancher de manière arbitraire ? Dites plutôt : qu’ils ont établi leurs décisions sur la base de la Loi de la Torah et qu’ils n’ont pas fait d’exception à la lettre de la Loi. » Où l’on entend, en termes contemporains, qu’un rapport littéral, fondamentaliste, à la Tradition et à la Loi est destructeur.


Le Talmud rapporte encore un dialogue étonnant (6) :
« Il arriva encore une fois que Rabban Gamaliel, Rabbi Eléazar ben Azaria, Rabbi Josué et Rabbi Akiva se rendirent à Jérusalem. Quand ils atteignirent Har haTsofim, ils virent le Mont du Temple et ils déchirèrent leurs vêtements selon la Loi. Quand ils arrivèrent au Mont du Temple, ils virent un renard qui sortait du lieu du Saint des Saints. Ils se mirent à pleurer mais Rabbi Akiva rit.
Ils lui dirent : Pourquoi ris-tu ?
Il leur répondit : Pourquoi pleurez-vous ?
Ils lui dirent : C’est le lieu à propos duquel il est écrit : « Celui qui n’est pas prêtre et qui l’approche mourra » (7) que les renards traversent. Et nous ne pleurerions pas ?
[Il répondit] Tant que la prophétie d’Uri (8) ne s’était pas accomplie, je craignais que la prophétie de Zacharie ne s’accomplisse pas non plus. Mais maintenant que la prophétie d’Uri s’est accomplie, il est certain que la prophétie de Zacharie (9) s’accomplira elle aussi.
Sur ces mots, ils lui répondirent : « Akiva, tu nous as consolés ! Akiva, tu nous as consolés !
»


Rabban Gamaliel, Rabbi Eléazar et Rabbi Josué ignoraient cependant la suite des événements. Entre 132 et 135, sous le règne d’Hadrien, se déroule l’un des épisodes les plus tragiques de notre histoire. La terrible révolte de Bar Kochba, révolte de radicaux contre la présence romaine, entraine la destruction méthodique de Jérusalem dont le territoire fut salé et la mort de plusieurs dizaines de milliers de Juifs. A cette révolte de « jusqu’aux boutistes », convaincus de l’arrivée imminente du Messie auquel ils identifiaient la figure de leur chef, Rabbi Akiva avait apporté la caution de son savoir et de son autorité morale.


On ne se réjouit pas sans frais de la destruction.
Nous qui croyons que « Sion sera sauvée par la justice » (10) ainsi que l’affirme Isaïe à la fin de la haftarah que nous venons de lire, lorsque nous prions pour l’Etat Israël, nous exprimons le vœu scrupuleux, modeste mais exigeant qu’il « constitue les prémices de notre Rédemption. »
Nous prions pour que cet état, fruit de 2000 ans d’espoir continu, de 75 ans de labeur, de sacrifices immenses et d’accomplissements magnifiques, ne soit pas détruit en 6 mois par des fanatiques qui riraient dans ses ruines en y voyant la marque de leur triomphe.

Chabbat Chalom,
Aline Benain.

Notes:

(1) Chemot, XVIII,1 à 27.

(2) Bamidbar, XVI,1 à 35.

(3) Chemot, XVIII, 21,22.

(4) Devarim, I, 13.

(5) Baba Metsia, 30b.

(6) Makot, 24b.

(7) Bamidbar, I, 51.

(8) Prophétie qui annonce la destruction du Temple

(9) Prophétie qui annonce la reconstruction du Temple

(10) צִיּוֹן, בְּמִשְׁפָּט תִּפָּדֶה, Isaïe, I,27.

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