Par Lily
Ce que dit la Torah
Dans la paracha Lekh Lekha, Dieu dit à Avraham:
“Va-t’en de ton pays, de ta patrie et de la maison de ton père, vers le pays que Je te montrerai.“
(Bereshit 12,1)
Avraham obéit. Il quitte sa terre, sa maison, tout ce qu’il connaît. Mais il n’est pas seul : Saraï, sa femme, et Loth, son neveu, partent avec lui.
C’est le début d’une promesse immense : celle d’un pays, d’une descendance, d’un grand nom.
Mais au milieu de ce récit grandiose… un silence.
“Avraham prit Saraï, sa femme… et ils partirent.” (12,5)
C’est tout. Aucune parole, aucune émotion, aucun regard de Saraï.
Pourtant, elle aussi quitte tout : sa maison, ses amies, ses habitudes, ses repères. Et la Torah ne nous dit rien de ce qu’elle ressent.
Puis vient une épreuve encore plus déroutante: la famine pousse Avraham à descendre en Égypte.
Et là, il dit à Saraï :
” Dis, je t’en prie, que tu es ma sœur, afin que je sois bien traité à cause de toi et que ma vie soit épargnée.” (12,13)
Saraï… ne répond pas. Encore une fois, le texte se tait.
J’ai voulu imaginer ce qu’elle aurait pu dire, ce que cachait ce silence.
La voix de Sarah, dialogue imaginaire
Saraï : Avraham…dis-moi la vérité. Tu m’aimes encore ?
Avraham : Bien sûr, Saraï. Pourquoi cette question ?
Saraï : Parce que tu parles sans cesse de Dieu, de promesse, d’avenir … et jamais de moi.
Tu marches vers le futur, moi je quitte mon présent.
J’aimais ma maison, mes voisines et mon salon.
J’aimais savoir où poser mes pas.
Et toi, tu marches vers l’invisible, les yeux pleins de foi.
Avraham : C’est Dieu qui m’a parlé, Il m’a dit d’aller.
Saraï : Oui… mais Il ne m’a rien dit à moi.
Peut-être qu’il attendait que tu m’écoutes.
(pause)
Et maintenant, en Égypte, tu veux que je dise que je suis ta sœur ?
Tu comprends ? C’est humiliant !
Comme si je n’étais plus ton épouse, comme si je ne comptais plus.
Mais en même temps…
Quand je vois les Égyptiens me regarder, je sens quelque chose d’étrange.
De la peur, oui… mais aussi une forme de fierté.
Comme si, après tout ce silence, on se souvenait que j’existe.
Être belle, pour moi, c’est être vue, reconnue, vivante.
Et j’aimerais que ce regard, le tien, soit celui qui me redonne ce sentiment-là.
Avraham : (ému) Saraï… je voulais te protéger, pas t’effacer.
Saraï : Je sais.
Mais parfois, à force de vouloir sauver sa vie, on oublie de sauver celle de l’autre.
Alors promets-moi une chose, Avraham :
quand Dieu te parlera, écoute aussi la voix de ta femme.
Car ma voix aussi vient de Lui.
(petite respiration)
Et c’est peut-être pour cela que, plus tard, Dieu te dira ces mots :
“Écoute la voix de Saraï.” (Bereshit 21,12)
Parce qu’aimer, ce n’est pas seulement marcher vers l’avenir c’est savoir écouter le présent de l’autre.
Transition vers la fable
Après avoir imaginé la voix de Saraï, j’ai voulu résumer leur histoire à ma manière :
comme une petite fable à la façon de Jean de La Fontaine.
Une fable sur un homme qui marche vers demain,
et une femme qui lui apprend à ne pas oublier aujourd’hui.
La Colombe et le Voyageur
Dans un vaste désert marchait un voyageur,
Portant dans son cœur : foi, courage et labeur.
Il rêvait d’un futur, d’un peuple, d’une gloire,
D’un grand nom, d’une vie, d’un éclat de mémoire.
Mais près de lui volait, fidèle compagnon,
Une blanche colombe, éclat de son rayon.
“Mon cher voyageur,” dit-elle en un soupir,
“Tu cours vers ton destin, mais tu oublies d’agir.
Car si ton pas s’enfuit sans jamais se reposer,
Ton cœur, lui, risque bien de se décomposer.
Tu veux bâtir demain, mais regarde aujourd’hui :
Sans moi, crois-tu vraiment que ton nom ait un fruit ?”
Le voyageur s’arrête et baisse enfin la tête :
“Colombe, tu as dit la sagesse parfaite.
Pour avoir un futur, il faut un cœur présent,
Et pour voler au loin, un nid rassurant.”
Depuis ce jour, dit-on, les cœurs en aventure
Retiennent ce conseil d’une voix douce et pure :
“Tout projet de grandeur, tout rêve de hauteur,
Ne vaut que s’il commence au bord de la douceur.”
Conclusion
Au début, je pensais que Saraï avait raison de se plaindre.Mais en étudiant les besoins d’Avraham, j’ai compris qu’elle en faisait peut-être un peu trop.
Avraham a besoin d’avancer, de créer, de se mettre en mouvement.
Saraï a besoin d’être choisie, informée, et aimée au présent. Et c’est en s’écoutant l’un l’autre qu’ils apprennent tous deux à aimer.
Avraham comprend que son avenir dépend du présent de Saraï. Saraï comprend que son présent nourrit l’avenir d’Avraham.
Ensemble, ils apprennent que la promesse de Dieu ne se réalise qu’à deux voix.
Merci