Synagogue Massorti Paris XVe

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champ de clé sous la bourrasque

La Torah dans la boue

Que faisait Isaac dans les champs? La paracha Haye Sarah par le rabbin Josh Weiner

Haye Sarah 5784

Alors que la paracha de cette semaine raconte une longue histoire sur la recherche d’une épouse pour Isaac, ce dernier ne joue lui-même qu’un très petit rôle dans le récit. J’ai quelques théories sur la raison de ce phénomène, mais je les partagerai une autre fois.

Quoi qu’il en soit, nous ne le retrouvons qu’à la fin de la paracha, en train de faire quelque chose dans un champ. Mais que fait-il exactement ?

וַיֵּצֵ֥א יִצְחָ֛ק לָשׂ֥וּחַ בַּשָּׂדֶ֖ה לִפְנ֣וֹת עָ֑רֶב וַיִּשָּׂ֤א עֵינָיו֙ וַיַּ֔רְא וְהִנֵּ֥ה גְמַלִּ֖ים בָּאִֽים׃ וַתִּשָּׂ֤א רִבְקָה֙ אֶת-עֵינֶ֔יהָ וַתֵּ֖רֶא אֶת-יִצְחָ֑ק וַתִּפֹּ֖ל מֵעַ֥ל הַגָּמָֽל׃

Isaac sortit ‘lasouah‘ dans les champs vers le soir et, levant les yeux, il vit des chameaux qui s’approchaient. En levant les yeux, Rébecca aperçut Isaac. Elle descendit du chameau.

[Genèse 24:63-4]

Ce n’est pas clair. Certains traduisent ce mot obscur lasouah, qui n’apparaît qu’une seule fois dans la Torah, par “méditation” (en rapport avec le mot hébreu siha, conversation), d’autres par “balade” (en le lisant comme une corruption de lachout, se promener), d’autres encore par “inspecter ses plantes” (à partir du substantif siah, un buisson).

Le Talmud l’interprète comme une prière et en déduit qu’Isaac a inventé la prière de l’après-midi. L’explication la plus riche est peut-être celle de Rabbi Na’hman de Breslev, qui fusionne toutes les explications et dit qu’il “priait à travers les plantes”.

וְזֶה בְּחִינַת שֶׁנִּקְרֵאת הַתְּפִלָּה שִׂיחָה, בְּחִינַת (בראשית ב) : שִׂיחַ הַשָּׂדֶה, שֶׁכָּל שִׂיחַ הַשָּׂדֶה נוֹתְנִין כֹּחַ וְסִיּוּעַ בִּתְפִלָּתוֹ. וְזֶה בְּחִינַת (שם כד) : וַיֵּצֵא יִצְחָק לָשׂוּחַ בַּשָּׂדֶה – שֶׁתְּפִלָּתוֹ הָיְתָה עִם סִיּוּעַ וְכֹחַ הַשָּׂדֶה, שֶׁכָּל עִשְׂבֵי הַשָּׂדֶה נָתְנוּ כֹּחַ וְסִיּוּעַ בִּתְפִלָּתוֹ כַּנַּ”ל, שֶׁבִּשְׁבִיל זֶה נִקְרֵאת הַתְּפִלָּה שִׂיחָה כַּנַּ”ל

Sache ! lorsqu’une personne prie dans les champs, toute la flore entre dans la prière, l’aide et renforce sa prière. C’est la raison pour laquelle la prière est appelée Siha (conversation), en rapport avec le “Siah (arbuste) du champ.” Tous les arbustes du champ renforcent et assistent sa prière. C’est la signification de “Et Isaac sortit lasouah (pour converser) dans le champ” – sa prière était avec l’aide et la puissance du champ.

(Likkutei Moharan II:11).

Il est intéressant de noter que, selon son disciple Nathan de Nemirov, Rabbi Na’hman a donné cet enseignement spécifique dans les derniers jours de sa vie (il est mort à 38 ans – mon âge), toussant et haletant pour respirer de l’air frais, marchant dans les champs pour recouvrer la santé. C’est intéressant, car nous pouvons faire le lien avec un autre de ses enseignements datant de la même dernière année de sa vie. Là encore, il était affaibli par la tuberculose, déprimé, peu enclin à enseigner aux foules de disciples qui l’entouraient. “Je ne sais rien”, disait-il, “je suis un prustik, un homme simple”. Puis, cependant, il a transformé ce savoir-rien en un enseignement puissant.

דַּע, כִּי עִקָּר הַחַיִּים הִיא הַתּוֹרָה, כְּמוֹ שֶׁכָּתוּב : כִּי הוּא חַיֶּיךָ וְאֹרֶךְ יָמֶיךָ (דברים ל׳ : כ׳), וְכָל הַפּוֹרֵשׁ מִן הַתּוֹרָה כְּפוֹרֵשׁ מִן הַחַיִּים (זוהר לך דף צב, בהעלותך דף קמח, ואתחנן דף רס). וְעַל-כֵּן לִכְאוֹרָה הַדָּבָר תָּמוּהַּ וְנִפְלָא, אֵיךְ אֶפְשָׁר לִפְרֹשׁ עַצְמוֹ מִן הַתּוֹרָה אֲפִלּוּ שָׁעָה קַלָּה….. וְהַכְּלָל – כִּי אִי אֶפְשָׁר בְּשׁוּם אֹפֶן לִהְיוֹת דָּבוּק בְּהַתּוֹרָה וּבַהַשָּׂגָה בְּלִי שׁוּם הֶפְסֵק, וּבְהֶכְרֵחַ צְרִיכִין לְבַטֵּל אֵיזֶה שָׁעָה

Sache ! La Tora est l’essence même de la vie, comme il est écrit : ” car elle est ta vie et la durée de tes jours ” (Deutéronome 30, 20). Quiconque se sépare de la Tora, c’est comme s’il se séparait de la vie. Par conséquent, à première vue, la question est déroutante et étonnante. Comment est-il possible de se séparer de la Tora, même pour un court instant ? Pourtant, c’est inévitable, il est impossible d’être constamment attaché à la Tora, jour et nuit, sans un instant d’interruption.

(Likkutei Moharan II:78)

Nous pouvons lire ici “Torah” dans son sens le plus large. Dans tout engagement idéologique, il y a toujours des moments d’abattement, des moments où les besoins du monde l’emportent sur la vivacité spirituelle et émotionnelle. Il peut s’agir de besoins physiques, de pressions financières ou sociales, de lassitude ou de tristesse. Il est impossible de toujours se connecter à “la Torah” de la vie.

Comment se fait-il alors que nous voyions des personnes qui n’étudient pas la Torah, qui ne sont pas engagées dans une pratique spirituelle, continuer à vivre ? Rebbe Nahman donne une réponse longue et complexe, mais je vais sauter à la fin pour en donner les grandes lignes.

כִּי דַּע, כִּי כָל הַפְּשׁוּטִים הַנַּ”ל… כָּל אֶחָד וְאֶחָד כְּפִי אֲחִיזָתוֹ בְּהַתּוֹרָה כֵּן הוּא מְחַיֶּה עַצְמוֹ בְּעֵת פְּשִׁיטוּתוֹ מִבְּחִינַת קִיּוּם הָעוֹלָם קֹדֶם קַבָּלַת הַתּוֹרָה. כִּי קֹדֶם קַבָּלַת הַתּוֹרָה הָיָה הָעוֹלָם מִתְקַיֵּם רַק בְּחַסְדּוֹ, כִּי לֹא הָיָה עֲדַיִן תּוֹרָה וְשׁוּם עֲשִׂיָּה שֶׁל מִצְוָה, שֶׁעַל-יָדוֹ יִתְקַיֵּם הָעוֹלָם, וְהָיָה עִקָּר קִיּוּם הָעוֹלָם עַל-יְדֵי חַסְדּוֹ לְבַד. וְהַצַּדִּיק בְּעֵת פְּשִׁיטוּתוֹ, בְּשָׁעָה שֶׁבּוֹדֵל מִן הַתּוֹרָה, הוּא מְקַבֵּל חִיּוּת מִבְּחִינָה זוֹ

Sache ! On tire la vie alors qu’on est dans un état de simplicité de l’existence du monde avant la réception de la Tora. Car avant la réception de la Tora, le monde existait uniquement grâce à Sa bonté. Il n’y avait pas encore de Tora ni d’accomplissement de commandements par lesquels perpétuer le monde. Le monde existait essentiellement grâce à Sa seule bonté.

Avant que la Torah ne soit donnée, avant la “religion”, les gens étaient quand même en vie. Comment faisaient-ils ? Rabbi Na’hman s’appuie sur l’idée d’une Torah avant la Torah. Si la partie centrale de ce que nous appelons Torah est constituée des dix commandements, Rabbi Na’hman y ajoute le concept d’asara ma’amarot, les “dix énoncés”, les dix fois (selon la tradition) où Dieu a dit “Qu’il y ait X”. Les échos de ces actes de parole qui sont devenus une partie du monde lui-même. Les dix énoncés sont moins clairs et moins évidents que les dix commandements, mais ils sont partout. Lorsque on se sent fort, on peut se connecter à la Torah, aux systèmes qui nous disent ce qu’il faut faire et comment vivre. Mais même lorsque on ne se sent pas fort, il y a quand même quelque chose à quoi se connecter. L’existence elle-même peut on renforcer dans ces moments-là.

Alors que fait Isaac dans le champ, selon cette interprétation ? Le Talmud a raison, il est en train de prier d’une certaine façon. Mais il est aussi probablement dans une situation émotionnelle et spirituelle très difficile. Sa mère vient de mourir, son père est silencieux et ne semble plus vouloir lui parler après avoir tenté de l’égorger au sommet d’une montagne, les autres gens sont en train de décider de sa vie et de son avenir. S’il prie, c’est depuis ce lieu cru des faibles échos d’une force créatrice divine. Je pense à la phrase suivante tirée des prières de chabbat :

הַמֵשִּׂיחַ אִלְמִים. וְהַמַּתִּיר אֲסוּרִים

Tu donnes la parole (mesiah) à ceux qui ne peuvent pas parler, Tu libères ceux qui sont captifs.

Trente jours après les attaques en Israël et les contre-attaques à Gaza, beaucoup d’entre nous ne sont pas capables d’intensité spirituelle. Même se concentrer sur les tâches quotidiennes peut poser problème. La prière est difficile, même s’il y a de temps en temps des moments d’honnêteté accrue. Même l’étude de la Torah (habituellement mon lieu sûr) ne peut être une évasion bienvenue que pendant quelques instants, et ne me remplit pas toujours de l’énergie qu’elle avait auparavant.

Mais tout n’est pas cassé. Même si je ne peux pas formuler exactement ce que je ressens, même si ce n’est pas exactement de l’espoir, notre vie continue. Avec toute la peur et la confusion qui entourent les événements au Moyen-Orient et leurs répercussions en Europe, il y a une certitude tranquille qui vient du fait d’avoir une histoire de trois mille ans : nous nous en sortirons. Un ami sage m’a chuchoté une fois en yiddish : “ikh gleyb nit az di gantse velt iz kheyshekh” – Je ne crois pas que le monde entier soit ténèbres. Maintenant, je dois trouver et créer cette lumière.

Chabbat chalom !

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