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Avinou Malkeinou: Dieu, notre roi?

A l'occasion de la paracha Ki Tavo (et du décès de la reine Elizabeth II!) le rabbin Josh Weiner questionne la notion de royauté dans le judaïsme

Ki Tavo 5782

Bien que j’ai passé une grande partie de mon enfance à Londres, je ne me suis jamais considéré comme un très grand patriote anglais. Cependant, la semaine dernière, je me suis surpris à être un peu triste de la mort de la reine Elizabeth, et intéressé par la façon dont le public semblait rediriger sa loyauté envers le roi Charles III.

Dès le vendredi, toutes les synagogues d’Angleterre recevaient une nouvelle version de la prière pour la famille royale, celle qui est récitée dans tout le Commonwealth, comme nous disons ici la prière pour la République. Je sais qu’il est dangereux de parler de la royauté, ici dans ce pays, et je sais ce qui arrive aux rois et à leur tête en France, mais cette semaine m’a fait réfléchir aux différences entre les façons dont les Juifs se rapportent aux mots de nos prières dans les pays qui ont un roi et dans les pays qui n’en ont pas.

Derrière le mot Melekh

Lorsque nous disons Avinou Malkenou, notre père notre roi, ou Baroukh ata… Melekh Ha’olam, Béni sois-tu, Roi du monde – ce mot Melekh doit signifier quelque chose. Bien sûr, ce n’est qu’un mot et une métaphore, mais il doit signifier quelque chose de différent si l’analogie se fait avec un roi sans pouvoir comme le roi Charles, ou avec un monarque violent tout-puissant, ou dans une république sans roi comme celle que nous avons ici. 

De quel genre de Melekh voulons-nous parler dans nos prières ? Et s’il ne signifie rien ici en France, serait-il possible d’imaginer nos prières sans le mot Melekh, en utilisant à la place une autre métaphore de Dieu ?

Six attitudes juives face à un mot ou texte problématique

La Prof. Dr. Dalia Marx, chercheuse en liturgie juive et un de mes professeurs, a classé six façons traditionnelles de traiter les textes problématiques. Certaines d’entre elles apparaissent dans notre paracha aujourd’hui:

La première consiste à changer les mots lus en public. Notre paracha utilise un mot “yichgalena”, qui était considéré comme si sexuellement explicite que la règle veut que lorsqu’il est prononcé à haute voix, on dise “yichkavena”, un euphémisme.

Deuxièmement, l’interdiction de la traduction. Certains textes étranges, compliqués ou ambigus sont lus en hébreu, mais la traduction traditionnelle en araméen manque pour ces passages, de sorte que le public, qui écoutait en araméen, ne comprendrait pas l’hébreu.

Troisièmement, certains passages du Tanakh n’ont jamais été lus en public, leur utilisation pour la haftara était interdite.

Quatrièmement, et c’est probablement le plus connu ici, l’interprétation rabbinique radicale. Par exemple, la Torah écrit que les enfants rebelles doivent être mis à mort. Le Talmud dit en gros qu’un enfant vraiment rebelle n’existe pas. (Heureusement pour vous !)

Cinquièmement, il y a la juxtaposition des textes. Vous avez peut-être remarqué que le matin de Yom Kippour, nous lisons un passage de la Torah qui parle du jeûne et du sacrifice comme moyens d’obtenir le pardon. Tout de suite après, nous lisons une Haftara d’Isaïe qui dit que Dieu déteste ceux qui jeûnent et apportent des sacrifices tout en étant injustes envers les autres. Cela remet en question la validité du premier texte.

Sixièmement, il y a des tons de voix spécifiques pour certains passages. Le milieu du deuxième paragraphe du Chema est traditionnellement lu à voix basse, car il évoque les conséquences négatives de notre comportement. Les malédictions lues aujourd’hui dans la paracha sont souvent lues rapidement et à voix basse, car nous ne voulons pas trop les souligner. 

Revenons à Avinou Malkeinou, et au concept de Dieu en tant que Melekh. Dans différents endroits du monde, on tente de modérer la question ou d’éviter le problème avec les différentes méthodes que je viens de mentionner. Certaines traductions utilisent un langage plus abstrait, tel que “maître de l’univers”. Certaines synagogues libérales des États-Unis, gênées par les notions de genre et les structures de pouvoir impliquées dans la phrase Avinou Malkeinou, l’ont remplacée par Avinou Imeinou, notre père, notre mère. D’autres ont changé les mots en Mekoreinou Eloheinou – notre source, notre Dieu, ou ont traduit “Soul Sustainer, Source of Our Life”. Le makhzor américain Massorti, en revanche, ne traduit pas du tout ces mots – il les laisse comme Avinou Malkeinou dans la traduction anglaise également. Les siddourim britanniques, autant que je m’en souvienne, traduisent simplement “Our father, our king”.

Un Dieu en relation avec nous

Ici en France, nous sommes à la fois moins enthousiastes à l’idée d’un monarque, et aussi plus conservateurs quand il s’agit de changer les textes. Je dirais que la meilleure approche consiste à lire attentivement la Torah et à comprendre de quel Dieu il s’agit. Dans notre cours de Talmud cette semaine, nous avons lu un passage surprenant qui semble mettre en doute l’idée de Dieu comme roi, ou qui complique la centralité de ce thème.

Le jour de Roch Hachana, il est obligatoire de mentionner dix versets sur le thème du chofar, dix versets sur le thème du souvenir et dix versets sur le thème de la royauté. La structure préférée pour chaque ensemble est de trois versets de la Torah elle-même, puis trois versets des Ketouvim, en particulier les psaumes, puis trois versets des prophètes, et enfin un dernier verset de la Torah.

Aujourd’hui, nous avons ces versets dans les livres de prières et nous ne les remarquons probablement pas tellement, mais dans le passé, chaque hazzan connaissait la Bible par cœur et choisissait les versets qui lui plaisaient.

Mais le Talmud soulève le problème qu’il y a à citer autant de versets sur la royauté, car dans toute la Torah, il n’y en a en réalité que trois ! Je ne vais pas entrer dans les détails, mais croyez-moi – si vous regardez dans le makhzor de Roch Hachana, vous remarquerez que le dernier verset sur la royauté est Chema Yisrael hachem elokeinou hachem ehad ! Cela fait allusion à l’unicité, qui est vaguement liée à la monarchie, mais cela veut bien dire que ce titre de Melekh n’est pas la vision centrale de Dieu dans la Torah. 

Dans la paracha de cette semaine, nous avons deux cérémonies dans lesquelles les gens viennent au Temple et apportent des offrandes, et ont une liturgie précise qu’ils doivent réciter. Ce sont des textes merveilleux, avec beaucoup de mystères et de contradictions. Nous les lisons aujourd’hui, mais nous lisons aussi une version de ce texte pendant le seder de Pessah. Dans les deux cas, le langage utilisé est très direct. Ils commencent par s’adresser à un prêtre ou à un lévite au Temple, mais très vite les verbes changent et la personne s’adresse directement à Dieu. Dans le second texte, la personne utilise les impératifs et ordonne à Dieu de faire attention. 

הַשְׁקִ֩יפָה֩ מִמְּע֨וֹן קׇדְשְׁךָ֜ מִן-הַשָּׁמַ֗יִם וּבָרֵ֤ךְ אֶֽת-עַמְּךָ֙ אֶת-יִשְׂרָאֵ֔ל וְאֵת֙ הָאֲדָמָ֔ה אֲשֶׁ֥ר נָתַ֖תָּה לָ֑נוּ כַּאֲשֶׁ֤ר נִשְׁבַּ֙עְתָּ֙ לַאֲבֹתֵ֔ינוּ אֶ֛רֶץ זָבַ֥ת חָלָ֖ב וּדְבָֽשׁ׃

“Jette un regard du haut des cieux… et bénis ton peuple Israël et la terre que tu nous as donnée.”

Ce n’est pas le langage respectueux que l’on utilise pour parler à un roi puissant et effrayant. Il s’agit d’un partenaire dans une relation qui rappelle à l’autre ses promesses. Les versets qui suivent rendent cette relation plus explicite. Il y a une description parallèle, dans laquelle le peuple d’Israël glorifie Dieu et Dieu glorifie le peuple. Le Talmud développe ce parallélisme et dit :

“Vous avez déclaré Dieu un en disant Chema Yisrael… hachem ehad, et Dieu vous a déclaré un, en disant ‘ma seule nation sur terre'”.

Mais si nous avons dit que le Chema fonctionne un peu comme une déclaration sur royauté divine, en mentionnant son unicité, nous devons dire que Dieu nous déclare également monarques, en utilisant le même langage. 

Si le mot Melekh signifiait croire en un Dieu distant et tout-puissant, alors ce ne serait pas si différent que de dire qu’il n’y a pas de Dieu, qu’il n’y a rien au monde que je puisse faire qui compte. Je peux respecter les règles ou les transgresser, mais il n’y a rien d’important dans ce choix. Mais si le type de Melekh auquel nous nous adressons s’adresse aussi à nous, alors la façon dont nous agissons, ce que nous disons, ce à quoi nous aspirons, a de l’importance. Non pas à cause des récompenses et des punitions, mais de la même manière que nous nous soucions de nos amis et de notre famille, et qu’ils se soucient de nous. Avinou malkeinou, c’est aussi une déclaration sur la façon dont nous nous considérons.

Ce jeudi, Raphaëlle et Ella ont toutes deux étudié et parlé de ces textes cérémoniels de la paracha, en en tirant des interprétations différentes. Ella s’est concentrée sur l’acte de transmission, en racontant l’histoire du peuple, et sur l’intégrité de la personne qui transmet, afin qu’elle soit fidèle aux valeurs qu’elle transmet aux autres.

Raphaëlle a fait un beau résumé du sens de la bat mitsva : je cite :

“j’ai envie d’être une personne grande, pas seulement une grande personne.”

Elle a parlé de la remise des premiers fruits comme d’un acte de compréhension de qui nous sommes, et d’être reconnaissant pour ce que nous avons. Nous avons ici deux filles, deux adultes maintenant, qui savent apprendre, penser et réfléchir sur des textes et sur leur monde, qui savent se garder des simplifications, et qui connaissent aussi leur propre importance, et donc leur propre responsabilité dans ce monde. C’est la relation à laquelle nous devons aspirer, avec Dieu, avec nous-mêmes et avec le monde.

Chabbat shalom. 

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