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De ma chair

L'attachement des Juifs à leur histoire, paracha Bo 5784

Par le rabbin Josh Weiner

Il y a un moment dans la paracha de cette semaine où le récit dramatique de l’Exode s’interrompt soudainement. La dernière plaie frappe l’Égypte, Pharaon libère enfin les Israélites, ils préparent la pâte et partent avant qu’elle n’ait fini de lever – et soudain, ils reçoivent une liste de lois sur la façon de célébrer Pessah dans les générations futures. Ils n’ont pas encore traversé la mer, l’histoire de Pessah n’est pas encore terminée, mais déjà, ils reçoivent les premières règles concernant les aliments qui devront être consommés lors de cette future fête, par qui, comment et quand ils devront être cuits.

Nous lisons également les discussions qui doivent avoir lieu autour du repas, les questions et les réponses, ainsi que le récit de l’histoire – la haggada. Un verset, cité quatre fois dans nos Haggadot aujourd’hui, est une réponse sans question.

וְהִגַּדְתָּ֣ לְבִנְךָ֔ בַּיּ֥וֹם הַה֖וּא לֵאמֹ֑ר בַּעֲב֣וּר זֶ֗ה עָשָׂ֤ה יְ-הֹוָה֙ לִ֔י בְּצֵאתִ֖י מִמִּצְרָֽיִם

En ce jour-là, tu diras à ton fils : C’est à cause de ceci que l’Éternel a fait pour moi, lorsque je suis sorti d’Égypte. (Exode 13:8)

Ce verset est difficile à traduire. Il n’est pas clair à quoi le mot , “ceci”, fait référence. Qu’est-ce que ce “ceci” ? Une explication classique, donnée par Rachi, est que “ceci” fait référence à la nourriture sur la table de Pessah. C’est comme si le peuple quittant l’Égypte avait la vision d’une célébration future, au cours de laquelle il expliquerait à ses enfants : “Oui, c’est pour que nous puissions manger cette viande, cette matsa et ce maror, que Dieu nous a libérés de l’Égypte“. Ce repas du Seder n’est pas seulement un souvenir, mais c’était le but recherché depuis le début. Nous avons été libérés d’Égypte afin de pouvoir nous souvenir de notre libération d’Égypte.

Pour que Dieu soit Dieu

Si vous pensez qu’il s’agit d’une lecture étrange du verset, l’explication kabbalistique est encore plus bizarre. L’une des nombreuses appellations de Dieu est , “Cela”. Nous pouvons maintenant relire le verset différemment : Ba’avour Zé, c’est pour Dieu que Dieu m’a fait sortir d’Égypte. Pourquoi ? Cela renvoie à une idée fondamentale de la littérature rabbinique selon laquelle la Chekhina, la présence de Dieu, est en exil en même temps que le peuple. La rédemption du peuple de l’esclavage est aussi une rédemption d’un aspect de Dieu : Dieu est plus Dieu quand le peuple du monde est plus libre. 

Il existe de nombreuses autres explications de ““, mais aucune d’entre elles ne tient compte du verset suivant, qui parle soudain de ce que nous appelons aujourd’hui les “Tefillin”. Examinons les deux versets ensemble :

וְהִגַּדְתָּ֣ לְבִנְךָ֔ בַּיּ֥וֹם הַה֖וּא לֵאמֹ֑ר בַּעֲב֣וּר זֶ֗ה עָשָׂ֤ה יְ- הֹוָה֙ לִ֔י בְּצֵאתִ֖י מִמִּצְרָֽיִם׃ וְהָיָה֩ לְךָ֨ לְא֜וֹת עַל-יָדְךָ֗ וּלְזִכָּרוֹן֙ בֵּ֣ין לְמַ֗עַן תִּהְיֶ֛ה תּוֹרַ֥ת יְ- הֹוָ֖ה בְּפִ֑יךָ כִּ֚י בְּיָ֣ד חֲזָקָ֔ה הוֹצִֽאֲךָ֥ יְ-הֹוָ֖ה מִמִּצְרָֽיִם׃

En ce jour-là, tu diras à ton fils : C’est à cause de ceci que l’Éternel a fait pour moi, lorsque je suis sorti d’Égypte. Ce te sera pour signe sur ta main et pour mémorial entre tes yeux, afin que la loi de l’Éternel soit dans ta bouche, car c’est avec une main puissante que l’Éternel t’a fait sortir de l’Égypte.

Il est tentant de proposer que le zé du premier verset parle de l’objet du second, ce qui conduit à une phrase très étrange : Dieu nous a fait sortir d’Égypte pour que nous puissions porter des tefillin !

J’aimerais m’attarder un instant sur cette question, même si je n’ai pas l’intention de me tenir au coin de la rue pour forcer tous les Juifs et Juives à porter les tefillins s’ils ne le veulent pas, ce n’est pas mon style. Mais il est tout de même intéressant que les versets sur la sortie d’Égypte soient écrits à l’intérieur des tefillin – à quoi ça sert ? 

Les teffilfin: être attaché aux mots de la Torah

C’est vraiment une idée étrange de mettre un texte dans une boîte, comme le font les juifs pour les mezouzot et les tefillin, caché de manière à ce qu’il ne puisse jamais être lu. Cela remet presque en question la définition de l’écriture. Normalement, les mots transmettent un sens quand ils sont lus – une idée dans l’esprit de l’auteur devient un écrit qui devient une idée dans l’esprit du lecteur. Mais ici, les mots ne passent pas du tout par l’esprit, mais sont attachés au corps.

La Torah s’adresse au corps sans avoir besoin de l’esprit, et plus précisément ici, l’histoire de la sortie d’Égypte est racontée au corps lui-même. Il est évident que cette histoire est également racontée par écrit et par la parole, lorsque nous lisons la paracha, dans nos livres de prières ou à la table du Seder. Mais pour ceux qui portent les tefillin, leur attachement à ces mots et à ces idées est aussi simple et pur que possible – ils sont littéralement attachés aux mots de la Torah. 

Il existe une idée hassidique selon laquelle le corps et l’âme sont des partenaires d’étude, chacun étant capable d’enseigner à l’autre et d’apprendre de l’autre. Cette idée est basée sur le verset biblique (Isaïe 58:7), ומבשרך אל תתעלם “Ne te cache pas de ta propre chair“. Rabbi Na’hman de Breslev le décrit de la manière suivante :

כִּי צְרִיכִין לְרַחֵם מְאֹד עַל הַגּוּף, לִרְאוֹת לְזַכְּכוֹ, כְּדֵי לְהוֹדִיעַ לוֹ מִכָּל הַהֶאָרוֹת וְהַהַשָּׂגוֹת שֶׁהַנְּשָׁמָה מַשֶּׂגֶת. כִּי הַנְּשָׁמָה שֶׁל כָּל אָדָם הִיא רוֹאָה וּמַשֶּׂגֶת תָּמִיד דְּבָרִים עֶלְיוֹנִים מְאֹד, אֲבָל הַגּוּף אֵינוֹ יוֹדֵעַ מֵהֶם, עַל כֵּן צָרִיךְ כָּל אָדָם לְרַחֵם מְאֹד עַל בְּשַׂר הַגּוּף, לִרְאוֹת לְזַכֵּךְ הַגּוּף, עַד שֶׁתּוּכַל הַנְּשָׁמָה לְהוֹדִיעַ לוֹ מִכָּל מַה שֶּׁהִיא רוֹאָה וּמַשֶּׂגֶת תָּמִיד וּכְשֶׁהַגּוּף הוּא בִּבְחִינָה זוֹ, הִיא טוֹבָה לְהַנְּשָׁמָה, שֶׁלִּפְעָמִים נוֹפֶלֶת מִמַּדְרֵגָתָהּ… וְכֵן גַּם כֵּן עַל-יְדֵי הָרְשִׁימוֹת שֶׁיֵּשׁ בְּהַגּוּף, עַל-יְדֵי הֶאָרוֹת שֶׁהֵאִירָה בּוֹ הַנְּשָׁמָה מִקֹּדֶם, תּוּכַל עַתָּה לִזְכֹּר וְלַעֲלוֹת וְלַחֲזֹר לְמַדְרֵגָתָהּ. וְזֶה בְּחִינַת (איוב י״ט:כ״ו) : מִבְּשָׂרִי אֶחֱזֶה אֱלוֹהַּ – מִבְּשָׂרִי דַיְקָא

Car il est nécessaire d’avoir une grande compassion pour le corps, afin qu’il soit informé de toutes les intuitions et perceptions que l’âme perçoit. En effet, l’âme de chaque être humain voit et comprend continuellement des choses très élevées. Mais au début, le corps n’en sait rien. Il faut donc prendre soin de la chair du corps, afin que l’âme puisse l’informer de tout ce qu’elle voit et comprend toujours. Car il y a des moments où l’âme tombe de son niveau… cependant, grâce à l’impression profonde que le corps a en raison de l’illumination avec laquelle l’âme l’a illuminé auparavant, elle peut maintenant se rappeler et s’élever et revenir à son niveau. Comme il est écrit (Job 19:26), “De ma chair, je contemplerai Dieu” – précisément “de ma chair”. [Likoutei Moharan I:22]

Lorsque l’âme est inspirée, elle enseigne au corps. Mais lorsque l’âme perd sa vitalité et sa passion, lorsqu’elle oublie comment être spirituelle, le corps le lui rappelle. Parfois, porter un tallit et des tefillin est un acte spirituel, et parfois c’est mécanique, mais même cette action mécanique imprime un message profond à la personne qui porte les tefillin ou le tallit.

Le corps et l’esprit

Si tout cela est un peu trop bizarre et hippie pour vous, considérons un autre exemple : à Pessah, nous racontons l’histoire de la sortie d’Égypte, nous essayons de transmettre le message à travers les générations – nous étions des esclaves et maintenant nous sommes libres, avec toute la fierté et les responsabilités qui accompagnent une telle déclaration. Mais nous mangeons aussi de la matsa et du maror et nous buvons du vin, nous ingérons dans notre corps la souffrance en Égypte, la hâte du départ et la joie de la liberté, et ce souvenir dans notre corps du goût du Seder est probablement beaucoup plus profond et puissant que les mots récités.

Créer ces expériences corporelles profondes semble parfois moins important que de comprendre les grandes idées abstraites. Il semble plus digne de parler du concept de liberté en tant que philosophes que de se mettre les mots sur la tête et de manger des crackers azymes secs. “Pourtant, c’est pour CECI que Dieu m’a fait sortir d’Égypte” – la capacité de faire partie de cette histoire avec mon entièreté.

Nos réactions instinctives aux attaques contre les Juifs partout dans le monde, ou notre fierté instinctive lorsqu’un Juif fait quelque chose de louable, notre honte instantanée lorsque les Juifs font quelque chose de gênant – tout cela est le résultat de ce genre d’identification charnelle profonde avec l’histoire juive. Ce judaïsme qui a sa place dans le corps comme dans l’esprit est un trésor précieux qu’il faut chérir et développer. 

Chabbat chalom !

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