Par le rabbin Josh Weiner
Ces dernières semaines, plusieurs personnes m’ont confié qu’elles avaient du mal à entrer dans l’esprit de Pourim cette année. Avec la guerre omniprésente en Israël, les dizaines d’otages toujours en captivité et l’instabilité du monde qui nous rappelle chaque jour sa précarité, comment mettre tout cela de côté pour se déguiser, rire et raconter l’histoire d’Esther et Mardochée ?
Pas la première fois
En deux mille ans de célébrations de Pourim dans les communautés juives du monde entier, ce n’est pas la première fois qu’il y a des émotions contradictoires, et bien sûr, c’est loin d’être le Pourim le plus difficile de l’histoire juive. Pourim a été célébré dans le ghetto de Varsovie, à l’époque des pogroms, pendant les croisades ; en temps de deuil et de guerre comme en temps de reconnaissance et de joie. C’est que Pourim n’est pas une célébration naïve. Elle porte en elle une conscience aiguë du danger, du renversement des situations, de la précarité du destin. Elle n’est pas une négation de la réalité, mais une réponse à sa complexité.
Commander des émotions
En fait, qu’est-ce qu’on nous dit de faire quand on dit qu’il faut “augmenter la joie” pendant le mois de Pourim ? Comment peut-on nous ordonner de ressentir quelque chose ? Ce n’est pas la seule fois où la Torah semble exiger de nous un état d’âme : on nous demande d’aimer notre prochain, de ne pas être jaloux, de ne pas nous venger. Mais ces injonctions ne relèvent pas d’une simple prescription sentimentale. Elles nous appellent à un travail intérieur qui se manifeste en actions concrètes. La joie de Pourim n’est pas une injonction abstraite : c’est une pratique.
Se déguiser
La tradition de se déguiser à Pourim n’est pas très ancienne et n’est pas obligatoire, mais elle résonne bien avec les thèmes principaux de la journée. Tout comme Esther a masqué son identité juive, et tout comme Dieu semble être caché dans l’histoire de Pourim (où tous les miracles semblent être l’œuvre de la politique, de la diplomatie et du hasard), l’idée que nous pouvons paraître différents de ce que nous sommes est également quelque chose à explorer en ce jour. Les masques ne sont pas de simples artifices : ils dissimulent autant qu’ils révèlent. En réalité, nous portons tous des déguisements, tous les jours. Nous nous conformons aux attentes, nous adoptons des rôles sociaux, nous cachons nos vulnérabilités. Se déguiser en personne joyeuse à Pourim n’est pas plus mensonger que bien des postures que nous adoptons au quotidien. Ce n’est pas falsifier une émotion, c’est lui donner un espace, et monter le volume d’un bonheur inné qui existe en nous depuis toujours et qui ne peut jamais être éteint.
Le jeûne d’Esther
Une tradition millénaire veut que l’on jeûne la veille de Pourim (certains jeûnaient pendant trois jours !). Elle est liée à l’histoire d’Esther qui, avant de risquer sa vie pour affronter le roi, jeûne et demande à tout le peuple juif de jeûner avec elle. Ce jeûne n’a pas pour but de se lamenter, mais plutôt d’apprécier une angoisse existentielle toujours présente. L’idée que le danger n’est jamais loin, que nous ne sommes pas sûrs de faire ce qu’il faut, et que nous sommes prêts à prendre des risques et à continuer malgré tout : ces éléments sont aussi pertinents aujourd’hui qu’ils l’ont toujours été. Peut-être que cette année, ce jeûne mérite une attention toute particulière.
Nahafokh Hou – tout peut changer
Une autre façon d’aborder ce Pourim est de faire preuve de naïveté et d’ouverture d’esprit. Le livre d’Esther met l’accent sur le ridicule et la fragilité de notre monde. Un jour, Mordekhaï est dans la rue, le lendemain, il monte sur le cheval royal. Le roi qui peut se réveiller un matin et décider d’anéantir un peuple, change d’avis un autre jour et le sauve. C’est ce même roi qui demeure à la fin du livre, et rien ne promet que le danger ne reviendra pas un autre jour.
“Jusqu’à ne plus savoir…”
Le bon devient mauvais, le mauvais devient bon. D’autres jours, cette nature aléatoire de notre monde est terrifiante, nous essayons de l’ignorer ou de nous distraire. Mais à Pourim, bien que nous ne nions pas cette terrible vérité, nous l’acceptons et la célébrons. Nous sommes vivants, ici et maintenant, et c’est merveilleux ! Les gens boivent au point de ne plus faire la différence entre le bien et le mal, béni et maudit, nous et eux. Il ne s’agit pas nécessairement d’une échappatoire aux complexités du monde, mais de se permettre d’expérimenter une autre perspective que nous ne pouvons généralement pas soutenir longtemps.
En quoi cette année est-elle différente des autres ?
Chaque année est différente de toutes les autres, parce que nous sommes des personnes différentes. Elle est aussi la même que toutes les autres années, parce que le judaïsme est plus ancien et plus stable que chacun d’entre nous. Les rituels traditionnels nous donnent un cadre, et pourtant chacun d’entre nous est libre de réinterpréter ces actions anciennes d’une manière nouvelle à chaque fois. Si cette année, on a l’impression que le monde est lourd et qu’il tombe en morceaux, ce n’est pas grave : Pourim peut servir à canaliser exactement ces émotions et à leur donner leur place. Cette année, peut-être que le jeûne d’Esther nous parlera davantage. Peut-être que nos déguisements porteront un message plus profond. Peut-être que nous ressentirons le besoin de relire la Méguila avec un regard renouvelé. Quoi qu’il en soit, une fois de plus, cette fête sera profonde et puissante.
Pourim Samea’h !!
[Voici un commentaire que j’ai écrit sur les lois et les coutumes de Pourim. Profitez-en bien !]