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Authenticité dans la prière

En partant de la prière de Moïse pour la guérison de Miriam dans la paracha Behaalotekha, le rabbin Josh Weiner nous livre ses reflexions sur le sens et les paradoxes de la prière dans le judaïsme

La paracha  Behaalotekha 5783 par le rabbin Josh Weiner

Les Juifs ont tout un vocabulaire de prières – des prières pour le matin, l’après-midi et le soir ; pour chabbat et les fêtes ; des prières pour différents événements qui se produisent dans le monde ; des prières pour le roi d’Angleterre et pour la république française et pour l’armée israélienne et pour la paix dans le monde. Nous avons même une liste de prières interdites – la Michna mentionne que si quelqu’un dit Modim Modim, merci merci, dans sa prière de Amida, il doit être réduit au silence, car on a l’impression qu’il se réfère à deux dieux différents.

Et nous avons des prières longues et courtes. L’exemple classique de la prière la plus longue est celui de Moïse, qui a prié pendant 40 jours consécutifs après la transgression du veau d’or. Et l’exemple classique de la prière la plus courte est également Moïse, à la fin de la paracha de cette semaine. Après que sa sœur Miriam a été frappée par la lèpre en guise de punition pour avoir dit quelque chose de négatif sur la femme de Moshé, il prononce une belle prière de cinq mots pour qu’elle guérisse. 

La plupart d’entre vous la connaissent parce qu’elle est citée, hors contexte, dans la chanson Yedid Nefesh au début de l’office de Kabbalat Chabbat. Laissez-moi prononcer les cinq mots lentement. El. Na. R’fa. Na. La. La traduction d’une poème est toujours impossible, et il est particulièrement difficile de saisir, ici, le rythme répétitif des cinq mots courts dans une autre langue. La traduction la plus proche est peut-être celui d’André Chouraqui, “Él, donc, guéris-la donc.” Chaque mot ici est étrange, et presque chaque mot est superflu. Le rabbin Elie Kaunfer analyse les mots ici.  

Le premier et le dernier mot sont des images miroir l’un de l’autre, el et la. “El” est également intéressant, ce n’est pas un nom de Dieu que les Israélites utilisent habituellement seul dans la Torah, préférant des constructions telles que El Chaddaï, El Rahoum, El Kana. Le deuxième et l’avant-dernier mots sont tous deux “na” – une demande ; mais peut-être que le premier signifie “s’il te plaît” et le second “maintenant”. Cette structure en chiasme met en évidence le mot central de la prière – Refa, guéris. De cinq mots, on en a en fait vraiment un seul, et même ce mot essaie de transcender le langage lui-même.

Prier pour les malades est peut-être la prière la plus instinctive et la plus difficile. Je sais que lorsque je reçois un message whatsapp “priez SVP pour untel”, je me sens souvent submergé par cette responsabilité. Je peux répondre à la personne qui m’a envoyé le message que j’espère que le ou la malade ira bientôt mieux, je peux demander des détails et montrer à la fois à la personne malade et à ses proches qu’on le prend en considération et qu’on s’occupe d’eux. Mais ce n’est pas exactement ce qu’ils ont demandé, ils ont demandé que je prie pour cette personne. Et ils ne sont pas stupides, la plupart de mes amis et des gens qui m’écrivent. Ils savent que les mots ne sont pas magiques, ils savent que les traitements médicaux traitent la plupart des souffrances physiques, que chaque procédure médicale à tel ou tel taux de réussite. Mais quelque chose dans ce savoir n’est pas suffisant – et donc ils prient, ou me demandent une prière. Nous constatons également ce besoin honnête de s’exprimer dans les prières pour les malades que nous prononçons le chabbat, lorsque nous lisons les noms que les gens ont envoyés et que les membres de la communauté ajoutent les noms d’autres malades auxquels ils pensent. C’est l’un des moments les plus participatifs de l’office du matin. 

Cette pratique est elle-même controversée à plusieurs égards. Tout d’abord, le Talmud suggère que nous ne devrions pas prier pour les malades le Chabbat. Nous contournons cela en ajoutant les mots chabbat hi milizok urefoua kerova lavo à nos prières – “C’est chabbat et nous ne crierons pas, mais nous sommes sûrs que la guérison viendra“. Nous disons que nous ne disons pas ce que nous disons. Il y a aussi l’idée que nous ne devons pas faire de demandes personnelles pendant chabbat, c’est pourquoi les bénédictions du milieu de la amida ne sont pas récitées. Mais nous contournons ce problème en disant chaque nom individuel, ce qui est en théorie une demande personnelle, et on termine en disant “betokh shaar ‘holei yisrael“, ces personnes ensemble avec tout le peuple juif, et en tant que tel, c’est considéré comme une prière publique.

Il y a un autre dilemme halakhique à propos de cette prière pour les malades. Si vous vous souvenez de la prière de cinq mots de Moshé, “Él, donc, guéris-la donc ! “, vous remarquerez que la personne pour laquelle on prie n’est pas mentionnée par son nom, Miriam. Le Talmud (Berakhot 34a) conclut de ce verset qu’il ne faut pas mentionner le nom d’une personne malade lorsqu’on prie pour elle. Mais le Zohar dit le contraire, à savoir que chaque fois que nous prions, nous essayons d’être aussi précis que possible avec les noms. Une façon de résoudre cette contradiction est d’expliquer que lorsque la personne est présente, on n’utilise pas son nom, mais lorsqu’elle est loin, on utilise son nom. Dans tous les cas, cela peut soulager ceux qui s’inquiètent de savoir s’ils utilisent précisément le bon nom hébreu ou non – les noms ne sont pas la partie la plus importante de la prière.

Dans tous ces exemples de solutions trouvées par des juifs pour résoudre des problèmes halakhiques créés par des juifs, il y a un esprit de défi – très juif. Nous ne devrions pas prier pour les malades le chabbat, mais nous le ferons. De la même façon que Moshé dit deux fois Na, avec des significations différentes ; la première un “s’il te plaît” poli et la seconde un “maintenant !” impoli. – nous ne comptons pas sur nos prières mais nous insistons pour les dire.  Ainsi, nous pouvons peut-être introduire cet esprit d’authenticité et d’honnêteté non seulement dans la prière MiSheberakh pour les malades, mais aussi dans toutes nos prières.

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