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Pharaon, la lune et les lumières de Hanoucca, un commentaire de la paracha Mikets

Par le rabbin Josh Weiner

Puisque nous avons sorti aujourd’hui trois rouleaux de Torah, pour marquer la confluence de trois moments juifs — le chabbat, Roch Hodech et Hanoucca — j’aimerais faire trois brèves remarques, une pour chacun de ces événements. Ici, à Adath Shalom, nous avons aussi un quatrième moment, tout particulier : la bat-mitsva de Sacha, qui a parlé avec beaucoup de justesse du fait de grandir. Je prendrai donc ce thème pour fil conducteur.

Commençons par la paracha, dans laquelle Joseph est libéré de prison et devient l’homme le plus puissant d’Égypte, sauvant la population de la famine et allant jusqu’à transformer cette crise en opportunité. Le professeur Israël Knohl a souligné un parallèle intéressant dans l’histoire égyptienne : celui d’un vizir étranger à la cour du pharaon Siptah, à la fin de la XIXᵉ dynastie. Ce vizir, connu sous le nom de Baya, était issu d’une tribu sémitique au nord de l’Égypte. Comme le pharaon était un très jeune enfant lorsqu’il monta sur le trône, Baya exerça de nombreuses fonctions au sein du gouvernement, notamment la gestion des réserves alimentaires du pays, alors qu’une famine massive frappait la région et marquait la fin de l’âge du bronze. Baya fut honoré d’un tombeau immense, construit pour lui dans la Vallée des Rois — chose remarquable pour un non-royal, et plus encore pour un étranger.

Je ne suis pas archéologue, et s’il existe des parallèles frappants avec le récit de Joseph, il y a aussi des différences importantes. Mais un détail de cette théorie m’est resté en tête depuis que je l’ai lue : l’idée d’un pharaon encore enfant. En relisant le récit avec cette idée en tête, des mots pourtant bien connus prennent une autre tonalité. Pharaon se réveille au milieu de la nuit, bouleversé par un cauchemar. Il fait appeler ses magiciens et ses ministres — autrement dit, ses précepteurs et ses babysitters — mais aucun ne parvient à le rassurer. Joseph, en revanche, réussit à lui proposer une interprétation convaincante et un plan d’action. Et, dans un élan, Pharaon lui confie la mission — et l’exécution du plan. Plus tard, Joseph dira :

וַיְשִׂימֵ֨נִֽי לְאָ֜ב לְפַרְעֹ֗ה וּלְאָדוֹן֙ לְכׇל־בֵּית֔וֹ וּמֹשֵׁ֖ל בְּכׇל־אֶ֥רֶץ מִצְרָֽיִם׃

« Dieu m’a établi comme un père pour Pharaon, comme le maître de toute sa maison… »

(Genèse 45, 8).

Joseph, lui aussi, a grandi depuis le début de la paracha précédente. Il avait dix-sept ans lorsqu’il a quitté son père, et trente lorsqu’il prend en main le destin de l’Égypte. Il ne se querelle plus avec ses frères ; partout où il passe, il fait preuve de maturité, de modestie et de finesse. Mais rêve-t-il encore ? Nous ne le savons pas.

Selon une tradition talmudique (Roch Hachana 10b), Joseph fut libéré de prison le premier jour de Tichri. Si l’on souligne souvent le lien avec Roch Hachana, temps de libération et de recommencement, il n’est pas anodin que ce jour soit aussi Roch Hodech, le moment de la nouvelle lune. De notre perspective, le cycle lunaire est un mouvement de croissance et de diminution, que l’on associe souvent à la naissance et à la mort. La plupart des fêtes juives tombent soit à la nouvelle lune, soit à la pleine lune : soit un temps de potentiel pur, soit un temps d’accomplissement et de plénitude de l’être.

Roch Hodech Tévet arrive toujours au cœur de Hanoucca, et l’une des expériences singulières de ces huit jours est précisément d’observer la lune décroître jusqu’à disparaître, puis finalement revenir. Cette image, me semble-t-il, doit éveiller en nous à la fois l’espérance et une forme d’inquiétude. Tout change, tout est en mouvement. La place d’un être dans le monde grandit puis s’efface. Ni l’oppression ni la victoire ne durent éternellement, et la forme changeante de la lune (même prévisible) donne l’impression que rien n’est jamais stable. On comprend alors pourquoi le peuple juif, tout comme la Chekhina, la présence divine, est souvent comparé à la lune.

J’ai dit que de nombreuses fêtes tombent à la nouvelle lune ou à la pleine lune. L’une d’entre elles fait pourtant l’objet d’un débat célèbre : le nouvel an des arbres, que nous appelons Tou Bichvat. Selon Beit Chammaï (RH 2a), il doit être fixé au premier jour de Chevat, lorsque la lune est encore pleine de potentiel et que, théoriquement, les dernières pluies sont déjà tombées en terre d’Israël. Beit Hillel, en revanche, affirme qu’il doit être célébré le quinzième de Chevat, lorsque la lune est dans toute sa plénitude et que les premiers bourgeons sont effectivement visibles.

C’est là un exemple parmi des centaines d’autres du débat profond qui traverse ces deux écoles de pensée. Rav Chlomo Yossef Zevin, grand talmudiste du XXᵉ siècle, identifie un désaccord fondamental, presque méta-halakhique : Beit Chammaï accordent la primauté au potentiel contenu dans une situation donnée, tandis que Beit Hillel se concentrent sur ce qui est déjà là, sur ce qui est réalisé. On le voit très clairement dans la célèbre discussion sur l’ordre de l’allumage des bougies de Hanoucca (Chabbat 21b). Beit Chammaï nous disent de commencer par huit bougies le premier soir, puis de diminuer chaque nuit, jusqu’à n’en allumer qu’une seule le dernier soir de la fête. L’idée est que nous savons combien de jours il reste — et peut-être aussi que la vie fonctionne souvent ainsi : on commence dans l’enthousiasme du miracle vécu, enveloppé d’un sentiment de sainteté. Avec le temps, à mesure que le miracle se prolonge, cette sensation peut s’estomper. Peut-être était-ce ainsi lors du miracle originel des huit jours de la fiole d’huile.

Beit Hillel, eux, nous enseignent l’inverse : commencer par une bougie et en ajouter une chaque soir. Mosif veholekh — on ajoute, on avance. Car l’expérience de la sainteté peut grandir à mesure que nous reconnaissons les miracles qui s’offrent à nous, et que nous leur donnons l’espace de se déployer. Nous ne regardons pas seulement ce qu’il reste à parcourir, mais nous célébrons aussi le chemin déjà accompli.

C’est à partir de tous ces éléments que je souhaite bénir Sacha pour sa bat-mitsva, et également chacun d’entre nous ici aujourd’hui. Comme ce jeune pharaon enfant, sachons accueillir celles et ceux qui entrent dans nos vies au fil de notre chemin, pour interpréter nos rêves et nous aider à les réaliser — et ne cessons pas, nous-mêmes, de rêver. Soyons attentifs au cycle de la lune, qui se renforce puis s’affaiblit, et continuons à faire confiance au retour de la lumière. Et faisons aussi l’expérience de cet autre mouvement proposé par Beit Hillel, un mouvement linéaire plutôt que cyclique : la possibilité que la lumière continue de grandir, sans relâche.

Chabbat shalom, hodech tov, et Hanoucca saméa’h !

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