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Petites îles de tranquillité

Les conflits ne sont pas inévitables, un commentaire de la paracha Hayé Sarah

Par le rabbin Josh Weiner

J’ai été frappé, dans cette paracha, par un sentiment de calme qui traverse plusieurs récits. Ce ne sont pourtant pas des histoires entièrement heureuses — Sarah meurt, Abraham est parfois inquiet, etc. — mais la lecture juive traditionnelle de ces textes fait apparaître plusieurs petites îles de tranquillité, voire de réconciliation. Peut-être que le mot juste est « aboutissement ». Voici quelques exemples pour éclairer ce que je veux dire. [Merci, comme toujours, au rav Raz Hartman pour m’avoir aidé à remarquer certains d’entre eux.]

Je commencerai par la fin de la paracha. Abraham épouse une femme nommée Ketoura (Genèse 25,1) et a six fils avec elle. Le midrach, cité par Rachi, insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une épouse entièrement nouvelle, mais qu’Abraham a remarié Agar, son ancienne épouse qu’il avait renvoyée auparavant. Ce qui surprend le plus, c’est l’explication de son nom : « Ketoura – car ses mitsvot et ses actes étaient aussi agréables que l’offrande d’encens du Temple (ketoret) ». Malgré la manière dont elle avait été traitée plus tôt dans la Torah, elle apparaît ici comme une femme juste, porteuse d’un système de valeurs en harmonie avec la bonté d’Abraham.

Plus haut dans le texte (24:31), lorsque le serviteur traditionnellement identifié comme Éliézer s’adresse à la famille de son maître Abraham, on le salue en disant : « Entre, béni de Dieu, pourquoi restes-tu dehors ? » Le midrach affirme qu’à cet instant même, il devint réellement « béni » (Bereshit Rabbah 60:7). Même si son ancêtre, Canaan, avait été éternellement maudit à l’époque de Noé, son descendant changea ce statut. Peu importent les détails, l’essentiel est le principe : les statuts de « maudit » ou de « béni » ne sont pas figés ; on peut passer de l’une à l’autre. Cette idée devrait troubler ceux qui croient que descendre d’Abraham, d’Isaac et de Jacob suffit à garantir des privilèges, et redonner espoir à ceux qui se sentent marqués par un héritage plus difficile. Éliézer, en tout cas, par sa manière de refléter les traits d’Abraham — au point qu’on le confond avec son maître — mérite véritablement ce titre de « Baroukh Hachem ». Les soupçons que nous pouvions nourrir à son égard, quant à sa fidélité, disparaissent.

Abraham, lui aussi, est béni « de tout ». Qu’est-ce que ce « tout » ? Un célèbre débat du Talmud (Bava Batra 16b) propose de nombreuses explications de ce mot apparemment simple, bakol : pour certains, il signifie qu’Abraham eut un fils supplémentaire, ou une fille, ou d’autres encore. L’explication qui me touche aujourd’hui, c’est qu’il a éprouvé la joie de voir grandir ses petits-enfants, sans jamais percevoir chez eux quoi que ce soit qui puisse l’attrister. [En cette occasion de la bat mitsva de Violette, j’imagine bien Pierre Avraham El-Ghouzzi éclater, lui aussi, de fierté devant ses petites-filles !] Là encore, nous savons que cette sérénité ne durera pas toujours : Ésav et Jacob deviendront des rivaux amers, du moins pour un temps. Mais notre paracha offre la possibilité que cela ne soit pas inévitable. Une autre explication de la bénédiction bakol, « de tout », est que Dieu cessa enfin de l’éprouver et le laissa être lui-même (Bereshit Rabbah 59:7), ou même qu’Abraham aurait compris le sens profond de toutes les mitsvot (Tosefta Kiddushin 5:14).

Et enfin, tout à la fin de la paracha, lorsque Abraham meurt, il est enterré par ses fils Isaac et Ismaël (Genèse 25,9). Là encore, Rachi met en lumière la possibilité offerte par ce récit : Ismaël « fit techouva». Lui qui avait été éloigné et semblait destiné à vivre en conflit avec tous, il revient aux valeurs d’Abraham du vivant de son père et agit aux côtés de son frère. Son statut n’est pas figé : il réside dans sa capacité à changer.

Encore une fois, je ne veux pas être trop naïf, même si c’est un peu dans ma nature. Je sais que toutes ces réconciliations ne durent pas, tous ces personnages — Éliézer, Agar, Ismaël — restent en marge de l’histoire centrale de la Torah, et que tout ne se termine pas toujours par un « heureux pour toujours ». Mais ce qui s’est produit une fois peut toujours se reproduire, et le fait que notre tradition s’attache, à maintes reprises, à montrer que ces réconciliations ont eu lieu signifie qu’elle insiste, encore et toujours, sur leur possibilité.

Chabbat chalom !

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