Mes chers amis,
Depuis douze ans que j’ai le privilège de m’adresser à vous en ce jour de Kippour, je rêve de pouvoir vous dire non pas « Tout va bien », je ne suis pas si optimiste, mais au moins « Cela va mieux ».
A l’évidence, ce ne sera pas encore pour ce soir.
Nous vivons toujours dans l’onde de choc de la tragédie du 7 octobre. La guerre continue. Quoi que l’on pense de sa poursuite, elle sert de prétexte au déferlement d’un antisémitisme aussi décomplexé que virulent. 48 otages demeurent prisonniers à Gaza dont une vingtaine serait toujours en vie, si tant est que le terme trouve encore un sens au regard de la condition qui leur est faite et qui émeut fort peu au-delà du monde juif.
Souhaitons que l’espoir ténu qui est apparu ces derniers jours se concrétise par leur libération.
C’est à eux d’abord que nous pensons aujourd’hui ainsi qu’à leurs familles, leurs proches, dont la mobilisation est une impressionnante leçon de dignité et de courage.
Le chaos du monde, une certaine forme de sidération, malgré notre connaissance de l’Histoire, face aux visages toujours renouvelés de la haine des Juifs, ne doivent pas nous empêcher d’agir. Agir à la place et avec les moyens qui sont les nôtres, c’est-à-dire non seulement faire face mais aussi continuer à porter au quotidien ce que nous savons être juste et vrai.
Les résultats des élections à la Fédération des Organisations Sionistes de France, en vue d’établir la composition du Congrès sioniste mondial qui se tiendra fin octobre à Jérusalem, sont, pour nous, à la fois source de satisfaction légitime et de profonde inquiétude.
Satisfaction légitime, parce qu’au terme d’une campagne difficile menée avec intelligence et efficacité par Elias Garzon, le coordinateur en France de Merkaz, branche politique du Mouvement Massorti, nous avons été en mesure de maintenir nos deux sièges au Congrès ; inquiétude profonde parce que se confirme la montée en puissance et la nette victoire d’organisations radicales, dont l’ intérêt tout neuf pour le sionisme se résout aux budgets qu’il permet de capter et dont la vision du Judaïsme est fort éloignée de l’équilibre entre exigence et ouverture dont nous nous attachons à témoigner et que nous souhaitons promouvoir.
Cette situation n’est pas une spécificité française. Pour la première fois aux Etats Unis, les listes présentées par l’ultra-orthodoxie religieuse et les différentes factions de la droite nationaliste obtiennent la majorité des mandats. Si le Mouvement massorti/Conservative y résiste plutôt bien, il a progressivement perdu la position dominante qui était la sienne il y a encore 30 ans.
A l’échelle mondiale, la sensibilité du Judaïsme que nous portons est prise entre deux formes radicales d’affirmation, séduisantes précisément parce que radicales, qui ne sont certes pas à placer sur le même plan mais qui représentent, chacune à leur manière, un défi pour nous.
Sans même évoquer ceux qui se détournent totalement de toute attache au peuple juif voire leur hostilité à son endroit, certains courants réformés incarnent aujourd’hui des formes « baroques » du Judaïsme où il nous est parfois difficile de reconnaitre notre Tradition. Quant à l’ultra-orthodoxie en proie à une harédisation de plus en plus extrême et à des formes de mépris sectaire qu’elle tente et parfois parvient à imposer politiquement, elle incarne une idée, une pratique et une image du Judaïsme qui le défigurent impitoyablement.
Face à ces défis, nous ne pouvons nous permettre la tiédeur. Nous devons nous aussi être des radicaux, mais des radicaux d’un type tout à fait inédit : des radicaux de la nuance.
Je m’explique : Vous connaissez le passage fameux du Talmud (Baba Metsia 59A) à propos d’un four de tuiles liées avec du sable dont Rabbi Eliezer affirme qu’il ne contracte pas l’impureté.
Face à ses collègues rabbins qui le contredisent et après avoir usé, sans succès pour les convaincre, d’un peu de magie rabbinique en faisant se déplacer un caroubier et changer de cours une rivière, il finit par dire : « Si j’ai raison que les murs de la yeshiva le prouvent » et les murs commencèrent à s’affaisser. S’adressant à eux, Rabbi Josué gronda « Si les disciples des Sages discutent de la Loi, en quoi cela vous regarde-t-il ? » Les murs ne s’écroulèrent pas en l’honneur de Rabbi Josué mais ils ne se redressèrent pas non plus en l’honneur de Rabbi Eliezer. Et ils sont toujours ainsi (…) Rabbi Josué se leva et dit « La Torah n’est plus dans les cieux » (…) Rabbi Nathan rencontra le prophète Elie. « Que fit Dieu en entendant ces propos ? » Elie répondit « Il riait en disant Mes enfants m’ont vaincu, Mes enfants m’ont vaincu. »
Mais le midrach se poursuit. Mis en minorité par l’Assemblée des Sages, Rabbi Eliezer est excommunié. Dieu cesse alors de rire. Si les Sages ont eu raison de ne pas céder à la magie et de statuer à la majorité, Rabbi Eliezer devait cependant être respecté. Sa mise au ban entraine de multiples malheurs et calamités qui s’abattent sur le monde et Rabban Gamliel qui dirige la yeshiva.
Il faut parfois parler aux murs et aussi les écouter. Depuis 36 ans, ces murs qui honorent le débat et le pluralisme, ces murs à l’oreille fine sont aussi ceux d’Adath Shalom et nous poursuivons cette très belle ambition de vouloir « faire rire Dieu ».
Il est peut-être démesuré de vouloir développer une culture, une pratique de l’écoute et du respect mutuels, cela n’en reste pas moins nécessaire. C’est cela que j’appelle ce soir « radicalité de la nuance ».
C’est une tâche exaltante et difficile qui requiert l’engagement personnel de chacun d’entre nous et notre engagement collectif. Chaque geste est décisif, il n’en est pas de secondaire, tous sont précieux.
Rêvons, mes amis, de rire et faire rire Dieu… sans oublier de passer aux travaux pratiques. J’y viens justement.
Cette année, vous le savez, a été particulière dans l’histoire de notre Communauté. Il y a presque un an, Josh a succédé à Rivon comme Rabbin en titre d’Adath Shalom. Une fois de plus, je tiens à saluer la qualité exceptionnelle de la transition qui s’est opérée sur trois ans entre nos deux rabbins, toute tissée d’intelligence, de sagesse et de respect mutuel.
Nous avons la chance, j’allais dire la bénédiction, d’avoir non pas Hillel et Shamaï se chamaillant dans la synagogue, mais Hillel et Hillel, l’Ancien et le Jeune. Au premier, Rivon, qui reste évidemment présent et actif parmi nous, je veux dire encore notre reconnaissance pour tout ce qui été bâtit et ne l’aurait pas été sans lui. Au second, Josh, toute notre estime et notre confiance dont chaque jour prouve un peu plus à quel point il les mérite effectivement.
« Faire rire Dieu » cependant, aussi talentueux soient-ils, nos rabbins n’y suffisent pas.
Il y faut bien sûr des moyens financiers. Comme l’enseignent nos Maîtres Farine et Torah sont indispensables l’une à l’autre. Jacques vous en parlera tout à l’heure [vient de vous en parler].
Il y faut des bénévoles, qui portent le quotidien des jours avec disponibilité, efficacité et discrétion. Il ne faut jamais l’oublier et je veux le rappeler ce soir avec une force qui leur est hommage : derrière chaque activité, chaque événement, se trouve une équipe qui travaille pendant des semaines, parfois des mois.
Les bénévoles d’Adath Shalom sont exceptionnels. Je souhaite les citer, en espérant surtout n’en oublier aucune ou aucun. Les membres du Conseil d’administration ne reculent devant aucune tâche « modeste» mais indispensable en même temps qu’ils organisent le quotidien et réfléchissent à l’avenir. Ils me pardonneront de ne pas les citer nommément mais je veux tout de même saluer très chaleureusement mon ami Jacques Adida, à la fois Trésorier d’Adath Shalom, Président de Massorti France et membre, avec Guy Schapiro, du Conseil d’administration de notre chère Ecole Juive Moderne. Et en plus, il chante… Merci pour tout, Jacques.
Pierre El Ghouzi, notre très cher Baal Koré, nous offre son amour et sa connaissance de la Torah. Je me réjouis que de plus en plus souvent, il partage généreusement la lecture de la paracha avec d’autre voix qui portent la même Parole.
Dominique Lejoyeux veille sur nos Sifre Torah et nos livres de prières. Georges Gonthier et Maciel Karug distribuent les honneurs et se souviennent de qui les a reçus quand les récipiendaires risquent de l’avoir déjà oublié.
Georges-Albert Kisfaludi et son équipe s’assurent, en ces temps difficiles, que nous soyons toujours, autant que possible en sécurité, sans peur assurément mais pas sans vigilance.
Toutes celles et tous ceux qui donnent chaque fois qu’ils le peuvent un peu ou beaucoup de leur temps comme lorsqu’il s’agit de rejoindre le véritable « groupe de choc » emmené cette année encore par Geneviève Barbier pour prendre en charge la logistique de ces fêtes de Tichri.
Celles et ceux encore qui font vivre notre magnifique chorale, l’atelier théâtre ou organisent le désormais traditionnel et toujours remarquable concert de Tou be Chvat.
Il y faut un Hazan exceptionnel de talent, de passion et aussi de gentillesse, notre très cher Elkana Hayoun.
Il y faut notre magnifique Hazan de Tichri, Hugues Krygier qui depuis tant d’années, porte nos prières dans la ferveur et la profondeur de sa voix. Merci, cher Hugues, de ce cadeau que tu nous fais et de cette mitsvah que tu accomplis pour nous. Merci également à Hélène, Olivier, Yaël et aussi à David Ellison qui nous revient et que nous retrouvons avec tant de joie.
Il y faut encore des salariés qui s’engagent avec une conviction de bénévoles.
Isabelle, notre indispensable secrétaire. Stéphane, notre « couteau suisse », capable d’installer un Kiddouch, en même temps qu’il prépare une séance vidéo et répare une porte, Moshe et Daniel qui savent faire du sas de sécurité un espace d’accueil, Marie dont la disponibilité dit le précieux attachement.
Gabriela Golberg porte avec imagination et talent notre Talmud-Torah et accueille nos petits bourgeons, les Nitsanim, où se retrouvent les jeunes familles le Chabbat matin.
Et je n’oublie pas, Clara Hayoun, Elkana encore, ainsi qu’Hélène. Ils nous ont donné sur les réseaux sociaux et internet une visibilité qui participe grandement de notre rayonnement.
Il y faut bien sûr Darkei Noam, Elias Garzon et sa belle cohorte d’animateurs : le mouvement de jeunesse d’Adath Shalom et de Massorti France dont les effectifs ont une nouvelle fois doublé l’an passé va désormais se structurer en une véritable association. Leur présence et leur enthousiasme ont été tout au long de cette année tellement sombre une source précieuse d’espoir et de Simha.
Je salue également chaleureusement les animateurs et les jeunes de Noam EI depuis longtemps attachés à Adath Shalom.
Il y faut enfin de grands projets comme celui d’une Ecole de cadres qu’a initié Adath Shalom avec Massorti France. Nous aurons l’occasion d’en reparler mais notre ambition est de mettre en place avec d’autres communautés et groupes modernistes, dans le respect de la sensibilité de chacun, sur un modèle qui a déjà fait ses preuves avec l’Ecole Juive Moderne, une structure de formation non seulement de rabbins mais plus généralement d’enseignants, d’éducateurs, d’officiants, pour assurer l’avenir de notre Mouvement, permettre sa croissance et favoriser son rayonnement. Le travail est déjà engagé. Il est d’abord porté par Rivon à qui revient l’initiative du projet et Eitan Chikli, spécialiste de l’éducation juive, grand artisan du réseau d’écoles Tali, qui nous a rejoints.
Mes amis, vous le voyez, l’obscurité des temps ne nous a empêchés ni de travailler au présent, ni de commencer à construire pour l’avenir. Elle nous y oblige même plus que jamais. Nous ne résoudrons pas aux ténèbres et pour porter cette radicalité de la nuance dont je parlais tout à l’heure, pour faire ployer les murs sans qu’ils s’écroulent et « faire rire Dieu » nous avons besoin de vous tous. Je sais que vous l’entendrez.
Je souhaite que 5786 nous permettent d’avancer toujours mieux sur ce chemin. Les Pirke Avot (II,21) le rappelle : « Il ne t’incombe pas d’achever l’ouvrage mais tu n’es pas libre de t’y soustraire. »
Que cette année apporte le réconfort à ceux que l’existence éprouve lourdement, qu’elle donne la guérison à nos malades, un peu de sérénité à nous tous.
Qu’elle voit enfin, enfin, le retour des otages, la Paix pour Israël et pour toutes celles et tous ceux qui, sincèrement, partout, y aspirent.
Et soyez tous, mes amis, inscrits dans le Livre de la Vie.
Chana tova ou Gmar Hatima Tova.
Aline Benain.