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Fausses Prières

Un commentaire de la paracha Korah 5785

Quel est le problème avec les politiciens qui remercient Dieu ?

La rébellion de Korah contre Moshé est une histoire difficile à lire chaque année. Même si je comprends parfois ses demandes qui semblent démocratiques et attrayantes (« Nous sommes tous saints ! »), je ne comprends pas toujours pourquoi le peuple n’est pas déjà épuisé par les luttes, les plaintes et les punitions qui ponctuent ce livre des Nombres. Mais j’aimerais aujourd’hui commencer non par les revendications de Korah, mais par la réponse de Moshé.

Avant de répondre verbalement, la Torah dit que Moïse « Moïse, en les entendant, se jeta sur sa face » (Nombres 16:4). Rashbam explique que ce « se jeter » fait référence à la prière, et que c’est ainsi qu’il reçut les instructions qu’il communique aux rebelles dans les versets suivants, lorsqu’il leur dit d’apporter de l’encens pour servir Dieu. Pourquoi commence-t-il par prier ? Car la réponse de Moïse est toujours, ou presque toujours, la prière. En quittant l’Égypte, Dieu lui dit même d’arrêter de prier autant. « Pourquoi cries-tu vers moi ? Dis au peuple de se mettre en route ! » Et lorsque Moïse comprend que lui et Aaron ont « gagné », et que Korah et ses partisans seront détruits, ils prient à nouveau :

וַיִּפְּל֤וּ עַל־פְּנֵיהֶם֙ וַיֹּ֣אמְר֔וּ אֵ֕-ל אֱ-לֹהֵ֥י הָרוּחֹ֖ת לְכׇל־בָּשָׂ֑ר הָאִ֤ישׁ אֶחָד֙ יֶחֱטָ֔א וְעַ֥ל כׇּל־הָעֵדָ֖ה תִּקְצֹֽף׃

Mais ils tombèrent sur leur face et dirent: “Seigneur! Dieu des esprits de toute chair! Quoi, un seul homme aura péché, et tu t’irriterais contre la communauté tout entière!”(Nombres 16:22)

Même s’il sait qu’il a survécu au conflit, Moïse s’inquiète du châtiment. Rashi dit que Moïse craint que des innocents meurent avec Korah et ses partisans, et utilise donc cette expression énigmatique « Dieu des esprits de toute chair », pour indiquer que Dieu devrait savoir comment éviter de blesser ceux qui ne le méritent pas. Et quand tout est fini, encore une fois, sans surprise, Moïse et Aaron « tombent sur leur face » et prient (Nombres 17:10, cf. ibn Ezra et Targoum Yonatan).

Après tout ça, je voudrais revenir rapidement sur deux histoires que j’ai lues dans l’actualité cette semaine. D’abord, dimanche matin, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s’est rendu au Kotel à Jérusalem, a récité une prière pour l’armée et pour le président américain Donald Trump, puis a placé une note dans les pierres du Mur des Lamentations avec le texte « Un peuple s’est levé comme un lion. Am Yisrael Haï, le peuple d’Israël vit. »

Quelques heures plus tôt, Trump avait lui aussi prononcé une sorte de prière après les frappes de son pays en Iran. « Je veux juste remercier tout le monde. Et surtout Dieu. Je veux juste dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons nos super militaires. Protège-les. Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique. Merci beaucoup. »

J’ai passé un peu de temps cette semaine à essayer de mettre des mots sur ce qui m’a dérangé dans ces deux prières. Que des politiciens utilisent un langage religieux, ce qui serait scandaleux en France, cela ne me gêne pas. Je n’aurais rien contre le fait que les dirigeants politiques prient davantage. Je pense qu’au final, ce qui m’a vraiment dérangé, c’est que je ne crois pas qu’aucun des deux priait, et que c’était juste un geste pour faire un clin d’œil identitaire aux électeurs religieux. Il m’est difficile de dire cela, parce que qui suis-je pour juger la spiritualité de quelqu’un d’autre, et qu’est-ce que je sais de la vie intérieure de ces deux hommes ? D’un autre côté, s’ils ont veillé à rendre publiques leurs paroles, j’ai au moins le droit de juger la personnalité publique qu’ils projettent. Et cette image publique — celle de Netanyahou comme celle de Trump — n’est pas celle de quelqu’un qui prie en cas de danger, qui exprime des doutes, qui fait preuve d’humilité et avoue ses faiblesses, qui sait demander pardon. S’il s’agit seulement de remercier Dieu quand ils se sentent forts, il semble que Dieu soit utilisé pour glorifier le politicien, plutôt que l’inverse.

Qu’est-ce que j’en sais ? Mais ces réflexions me font voir l’histoire de Korah dans une nouvelle lumière, et là aussi, je ne crois pas ce qu’il dit. Quand il s’en prend à Moïse et dit « Ça suffit ! Tout le peuple est saint et Dieu est parmi eux », je ne comprends pas ce qu’il veut dire par « sainteté ». Si tout le monde est spécial (ce qui veut dire que personne ne l’est), pourquoi Korah serait-il plus candidat que les autres pour être leur chef ? Et où voit-on la sainteté de Korah ? Encore une fois, Moïse et Aaron prient tout au long de l’histoire, mais on ne voit pas Korah et sa bande faire de même. On ne voit qu’une seule interaction avec Dieu, et une lecture attentive de cet épisode est instructive.

Quand Moïse leur explique comment leur revendication va être jugée, il dit à Korah et à ses partisans, ainsi qu’à Aaron le prêtre, de venir avec de l’encens dans leurs encensoirs et de « les approcher devant l’Éternel » (Nombres 16:17). L’idée est d’entrer dans le sanctuaire avec cette offrande d’encens. Ce qui se passe en réalité dans le verset suivant, c’est que Dieu n’est pas mentionné du tout, et qu’ils n’apportent pas l’encens à l’intérieur comme on leur a demandé.

יִּקְח֞וּ אִ֣ישׁ מַחְתָּת֗וֹ וַיִּתְּנ֤וּ עֲלֵיהֶם֙ אֵ֔שׁ וַיָּשִׂ֥ימוּ עֲלֵיהֶ֖ם קְטֹ֑רֶת וַֽיַּעַמְד֗וּ פֶּ֛תַח אֹ֥הֶל מוֹעֵ֖ד וּמֹשֶׁ֥ה וְאַהֲרֹֽן׃ וַיַּקְהֵ֨ל עֲלֵיהֶ֥ם קֹ֙רַח֙ אֶת־כׇּל־הָ֣עֵדָ֔ה אֶל־פֶּ֖תַח אֹ֣הֶל מוֹעֵ֑ד

Ils prirent chacun leur encensoir, y mirent du feu, le couvrirent de parfum et se placèrent à l’entrée de la tente d’assignation avec Moïse et Aaron. Coré avait ameuté contre eux toute la communauté à l’entrée de la tente d’assignation…

Au lieu d’entrer et de faire une offrande privée, comme on lui a demandé, il attend dehors et attire une foule qui vient le regarder. C’est ce besoin d’exposer publiquement le conflit qui sape l’idée qu’il s’agit d’une notion démocratique de sainteté. Korah cherche le chaos, pas à se rapprocher de ce que Dieu veut dans le monde.

Alors, il est vrai au fond qu’il y a un élément de sainteté dans tout, et même la superficialité populiste a sa place. L’expression extérieure n’est pas dénuée de sens, même l’intériorité spirituelle a besoin d’une expression visible. Et donc, à la fin, quand Korah et ses partisans sont engloutis par la terre, les encensoirs métalliques qu’ils avaient utilisés pour offrir de l’encens sont fondus et deviennent le revêtement extérieur de l’autel dans le sanctuaire.

Bon, c’est peut-être facile de comparer la prière superficielle de Trump et de Netanyahou avec l’attitude de Korah, mais ce serait plus honnête de dire qu’il y a un peu de Korah en chacun de nous. Je reconnais que moi aussi, j’ai en moi le potentiel de transformer ma prière en spectacle: je me tiens devant la communauté ici et il existe probablement un désir inconscient d’être plus bruyant, ou de me prosterner plus profondément, ou de me balancer avec plus d’intensité, parce que je sais que je suis observé et que je veux montrer à tous que je suis un Juif pieux. Il est parfois difficile d’évaluer à quel point nous sommes sincères, bon nombre d’entre nous sont devenus experts dans l’art de se mentir à soi-même. Mais l’épreuve semble être une certaine cohérence : ne pas seulement remercier Dieu quand on se sent bien, mais aussi quand on ne se sent pas bien. Dans un instant, on va continuer ces prières inconfortables pour les otages qui sont encore à Gaza et pour la fin de cette guerre, en reconnaissant ce qui manque autant que ce qui a été accompli, nos faiblesses autant que nos forces, notre anxiété autant que notre gratitude.

Chabbat chalom.


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