Par le rabbin Josh Weiner
Pour des raisons techniques, que j’expliquerai dans un instant, nous lisons deux parachot cette semaine: Behar et Behoukotaï. Behar est riche en soi, car il introduit le modèle de la septième année, appelée ailleurs la Chemita, mais désignée ici comme Chabbat ha’aretz — le « Chabbat de la terre. » Il y a deux façons de comprendre ces commandements : du point de vue du peuple et de celui de la terre. Pour le peuple, c’est un « chabbat concernant la terre » — un rappel aux propriétaires terriens qu’ils ne sont pas vraiment propriétaires. Ils font une pause, revoient leurs priorités et renoncent à l’illusion du contrôle. Et du point de vue de la terre, c’est littéralement un chabbat de la terre — un temps de repos, de récupération. Comme Liron l’a instinctivement remarqué, ce système empêche d’épuiser la terre, de l’inonder de produits chimiques et de l’exploiter d’une manière que nous ne connaissons que trop bien aujourd’hui.
Vous aurez remarqué que la cinquième montée de la paracha a été lue rapidement et à voix basse. Elle contient une série de malédictions adressées à une société qui s’éloigne des enseignements de la Torah. Ce n’est pas un texte que nous lisons fièrement, et nous ne le soulignons pas – mais nous ne l’ignorons pas non plus. Une ancienne tradition veut que cette série d’avertissements soit lue avant Chavouot, tandis que la série parallèle de la fin du livre du Deutéronome est lue avant Roch Hachana.
En réalité, ce texte nous inspire une telle crainte que nous ne voulons pas le lire trop près des fêtes, alors de nos jours, on les lit une semaine plus tôt. L’idée est évidemment d’inspirer un processus d’introspection et de réflexion : sommes-nous le genre de société qui mérite les bénédictions écrites dans la Torah, ou le contraire ? Ce n’est pas une question facile, ni confortable, et il serait plus agréable de parler d’écologie et de chabbat, mais bien que la coutume soit de lire le passage rapidement et d’en finir, j’aimerais néanmoins m’attarder sur cet inconfort un moment de plus.
De la même façon que Liron a décrit les effets de la pollution chimique sur la terre, la Torah décrit les effets de la pollution spirituelle sur la terre d’Israël. Que signifie ici la notion de pollution spirituelle ? Il y a un sens dans lequel les crimes, les transgressions, la violence, l’immoralité et la corruption laissent une trace au-delà des dommages matériels qu’ils causent. Dans la perspective de la Torah, et en particulier du livre du Lévitique que nous concluons aujourd’hui, il est nécessaire de purifier les effets de cette pollution spirituelle, par des rituels et des sacrifices, ainsi que par la restitution de la justice. Mais parfois, cela ne suffit pas. La terre devient malade — dans un autre texte, la terre en vient à « vomir » ses habitants — à cause de la façon dont ils se sont comportés, et à cause de la pollution spirituelle absorbée dans son sol. Le peuple est envoyé en exil, et la présence de Dieu est également repoussée. Ces malédictions de la paracha sont les conséquences d’une société qui s’est effondrée.
וְנָתַתִּ֤י אֶת־שְׁמֵיכֶם֙ כַּבַּרְזֶ֔ל וְאֶֽת־אַרְצְכֶ֖ם כַּנְּחֻשָֽׁה. וְתַ֥ם לָרִ֖יק כֹּחֲכֶ֑ם וְלֹֽא־תִתֵּ֤ן אַרְצְכֶם֙ אֶת־יְבוּלָ֔הּ וְעֵ֣ץ הָאָ֔רֶץ לֹ֥א יִתֵּ֖ן פִּרְיֽוֹ׃… וְהָיְתָ֤ה אַרְצְכֶם֙ שְׁמָמָ֔ה וְעָרֵיכֶ֖ם יִהְי֥וּ חׇרְבָּֽה׃
Je briserai votre arrogante audace, en faisant votre ciel de fer et votre terre d’airain; et vous vous épuiserez en vains efforts, votre terre refusera son tribut, et ses arbres refuseront leurs fruits… Et vous, je vous disperserai parmi les nations, et je vous poursuivrai l’épée haute; votre pays restera solitaire, vos villes resteront ruinées. (Lévitique 26:19-33)
Peut-on prendre au sérieux cette image de la pollution spirituelle qui imprègne la terre d’Israël et l’appliquer à notre monde ? Le parallèle avec les questions écologiques est peut-être utile. Les climatologues nous disent que s’il y a un espoir pour notre environnement, il y a quelques moyens de gérer la pollution qu’on a accumulée. Le premier, c’est d’arrêter de la créer et de changer notre mode de vie pour des alternatives plus durables. Ensuite, l’environnement est capable de décomposer certains polluants tout seul, si le système n’est plus trop saturé. Enfin, il existe ou existera des technologies qui pourraient être utilisées pour détoxifier les parties de la planète qui ont été endommagées. Il en va de même pour la détoxification de la société. Et il semble que la Torah croit en cette possibilité : à la fin des malédictions, malgré tout, l’alliance entre Dieu et Son peuple demeure et un certain espoir de retour et de reconstruction subsiste. [C’est exactement le modèle du premier exil babylonien, où le peuple revient après que la terre a reposé pendant soixante-dix ans, soit l’équivalent de soixante-dix années sabbatiques qui n’avaient pas été respectées auparavant.]
Je voudrais finir en regardant une des malédictions, et comment, espérons-le, l’éviter. L’une des dernières des quarante-neuf malédictions évoque la peur du peuple. C’est un peu bizarre parce qu’on aurait pu penser que la peur fait partie de tout ce qui est décrit avant : la guerre, la famine, la peste, etc. Mais ici, la peur survient sans cause réelle.
וְהַנִּשְׁאָרִ֣ים בָּכֶ֔ם וְהֵבֵ֤אתִי מֹ֙רֶךְ֙ בִּלְבָבָ֔ם בְּאַרְצֹ֖ת אֹיְבֵיהֶ֑ם וְרָדַ֣ף אֹתָ֗ם ק֚וֹל עָלֶ֣ה נִדָּ֔ף וְנָס֧וּ מְנֻֽסַת־חֶ֛רֶב וְנָפְל֖וּ וְאֵ֥ין רֹדֵֽף׃
Pour ceux qui survivront d’entre vous, je leur mettrai la défaillance au cœur dans les pays de leurs ennemis: poursuivis par le bruit de la feuille qui tombe, ils fuiront comme on fuit devant l’épée, ils tomberont sans qu’on les poursuive, et ils trébucheront l’un sur l’autre comme à la vue de l’épée, sans que personne les poursuive. (26:37)
Quand des mauvaises choses arrivent, c’est normal d’avoir peur, et ne pas avoir peur, c’est être stupide ou apathique. Mais avoir peur quand on n’est pas en danger, c’est contre-productif et ça nous distrait. Tout le monde connaît la chanson attribuée à Rebbe Nahman de Breslov:
כל העולם כולו גשר צר מאוד והעיקר לא לפחד כלל
Le monde entier est un pont étroit, mais l’essentiel est de ne pas avoir peur du tout.
Ce message me dérangeait, car la peur peut être une réaction saine face au danger. Mais quand j’ai regardé le texte original de Rebbe Nahman, j’ai trouvé autre chose :
וְדַע, שֶׁהָאָדָם צָרִיך לַעֲבר עַל גֶּשֶׁר צַר מְאֹד מְאֹד וְהַכְּלָל וְהָעִקָּר שֶׁלּא יִתְפַּחֵד כְּלָל
Sachez qu’il faut traverser un pont extrêmement étroit, et l’essentiel est de ne pas se faire peur [yitpahed]. (LM II: 48)
C’est un conseil bien plus sage que « ne pas avoir peur ». Beaucoup d’entre nous aujourd’hui sont malades à force de recevoir, de consommer et de partager tant d’images et d’articles qui font peur. C’est aussi la pollution spirituelle. La peur est contagieuse et paralysante, et lorsqu’elle est mal placée, elle nous empêche de vivre pleinement dans le monde, où nous serions plus en mesure de changer les choses. Encore une fois, avoir peur dans une situation effrayante est sain et n’a rien de honteux, c’est une réaction naturelle. Mais avoir peur de la peur, d’une feuille qui tombe, faire peur aux autres ou à soi-même, c’est une malédiction que nous nous infligeons et à laquelle on peut aussi décider de ne pas se soumettre en choisissant ce qu’on écoute et ce qu’on partage.
Et je termine par une tefila : puissions-nous mériter davantage de bénédictions que de malédictions, et créer un monde dans lequel nous n’aurons rien à craindre.
Chabbat chalom !