Par le rabbin Josh Weiner
J’ai été profondément touché par la dracha de Juliette pour plusieurs raisons, mais surtout par ses derniers mots, à savoir qu’elle souhaite prendre une part active dans la communauté — la communauté juive, et Adath Shalom en particulier — avec toutes les responsabilités que cela implique.
Essentiellement, elle demande plus d’obligations, choisissant librement d’être moins libre. Cela fait écho à l’expérience du peuple juif au Sinaï, en proclamant Naasé Venichma — “nous ferons, puis nous comprendrons”. Plus précisément, Juliette évoque le modèle des lévites, gardiens du tabernacle, chacun ayant reçu pour mission de porter une partie du sanctuaire. Juliette a dit qu’elle était prête à devenir lévite. Est-ce vraiment possible ? Ce rôle n’est-il pas héréditaire, avec des avantages fiscaux, des privilèges et des obligations ? Peut-on vraiment choisir de devenir lévite ? La réponse surprenante, du moins selon Maïmonide, est oui. Parlant du fait que les lévites n’ont pas besoin de servir dans l’armée régulière, mais consacrent leur vie à l’entretien du Temple, Maïmonide dit ceci:
וְלֹא שֵׁבֶט לֵוִי בִּלְבַד אֶלָּא כָּל אִישׁ וְאִישׁ מִכָּל בָּאֵי הָעוֹלָם אֲשֶׁר נָדְבָה רוּחוֹ אוֹתוֹ וֶהֱבִינוֹ מַדָּעוֹ לְהִבָּדֵל לַעֲמֹד לִפְנֵי ה’ לְשָׁרְתוֹ וּלְעָבְדוֹ לְדֵעָה אֶת ה’ וְהָלַךְ יָשָׁר כְּמוֹ שֶׁעֲשָׂהוּ הָאֱלֹקים וּפָרַק מֵעַל צַוָּארוֹ עֹל הַחֶשְׁבּוֹנוֹת הָרַבִּים אֲשֶׁר בִּקְּשׁוּ בְּנֵי הָאָדָם הֲרֵי זֶה נִתְקַדֵּשׁ קֹדֶשׁ קָדָשִׁים וְיִהְיֶה ה’ חֶלְקוֹ וְנַחֲלָתוֹ לְעוֹלָם וּלְעוֹלְמֵי עוֹלָמִים וְיִזְכֶּה לוֹ בָּעוֹלָם הַזֶּה דָּבָר הַמַּסְפִּיק לוֹ כְּמוֹ שֶׁזָּכָה לַכֹּהֲנִים לַלְוִיִּם
“Non seulement la tribu de Lévi, mais toute personne bien informée et réfléchie, dont l’esprit l’incite à se consacrer au service du Dieu, à connaître Dieu, et qui a marché dans la droiture après avoir brisé de son cou le joug de bien des ruses inventées par les hommes, est véritablement consacrée, et l’Éternel sera à jamais sa part et son héritage. Dieu pourvoira à ses besoins, comme il l’a fait pour les prêtres et les lévites.” (MT Shmita V’Yovel 13:13).
Ce statut de lévite est accessible à tous si on est prêt à s’engager : d’après le langage de Maïmonide, il ne semble même pas que l’on ne parle que des juifs. J’aimerais revenir sur la manière dont Juliette formule cet engagement, elle dit « je veux moi aussi être comptée » comme les lévites, avec un joli néologisme franco-hébraïque, « j’aimerais bien, moi aussi, être “pakadée” ». Mais comme d’habitude, j’aimerais compliquer un peu les choses, et explorer davantage ce mot, pakad.
Permettez-moi un petit détour. Il y a quelques années, une discussion a eu lieu au sein du mouvement Massorti aux États-Unis au sujet de la modification du texte de la Amida afin de le rendre plus inclusif. En particulier, la suggestion était d’ajouter les noms des matriarches (Sara, Rebecca, Rachel et Léa) dans la première bénédiction aux côtés des patriarches. Ce serait une discussion intéressante à avoir dans notre communauté aussi, même si je peux dire d’emblée que je ne la soutiens pas, et pas parce que j’exclus les femmes de toute partie de la vie juive.
C’est précisément pour des raisons féministes que je ne veux pas réduire les personnalités bibliques à de simples « hommes » et « femmes ». J’aimerais qu’Abraham, Isaac et Jacob soient les modèles de mon fils et de ma fille ; et je ne veux pas vraiment que l’inclusion et l’égalité de ma fille dépendent seulement de la présence de femmes symboliques auxquelles s’identifier. (En fait, si j’ajoutais des noms, je prierais le Dieu de Hagar, de Hannah, de Daniel, de Moïse et de Samson… le « Dieu de Rachel » n’est pas une image très forte vers laquelle diriger ses prières, je ne sais même pas ce que cela signifie vraiment…). Mais une autre objection des gens concernait la fin proposée pour la bénédiction, מגן אברהם ופוקד שרה, « Béni soit le bouclier d’Abraham et le Pokéd de Sara ». Ceux qui ont suggéré cette formulation faisaient référence au verset de la Genèse (21:1) où Sara est « remarquée » par Dieu, ou “comptée” ou « rappelée », et reçoit un enfant. Pourtant, le mot pokéd est, dans la Torah, plus souvent associé à l’idée de punition, et a ce sens dans des dizaines d’endroits à travers la Torah. Dire Pokéd Sara porte donc à confusion, car cela fait allusion non seulement au fait d’être remarqué, mais aussi au fait d’être puni, ce qui n’est pas du tout ce que nous voulons dire à propos d’elle.
C’est une discussion pour une autre fois, il y a des réponses à mes critiques, mais c’est l’idée de cette ambiguïté linguistique que je voulais souligner. Être compté, pris en compte, comporte toujours un risque d’être trop remarqué. Les juifs sont traditionnellement sensibles au « mauvais œil », aux forces néfastes susceptibles de nuire à quelqu’un s’il se distingue par sa réussite ou son importance. Il existe différentes coutumes et traditions pour conjurer ce mauvais œil (les Ashkénazes crachent par terre et disent kenihora), ainsi que de nombreuses amulettes. Mais à la base, la protection consiste à ne pas se faire remarquer, à ne pas attirer trop l’attention. Je pense que nous ressentons cette ambiguïté lorsque nous voyons des Juifs qui ont atteint des positions de pouvoir politique ou de célébrité médiatique. Il y a souvent un mélange de fierté et d’anxiété, nous sommes peut-être fiers quand des Juifs sont remarqués à juste titre mais en même temps nous ne voulons pas qu’ils soient trop remarqués, trop pakadés, et savons à quel point les stéréotypes malveillants peuvent facilement ressurgir.
Avec tout cela, les lévites sont peut-être un modèle d’équilibre réussi. Ils sont les dirigeants et les enseignants du peuple, mais ne possèdent aucune terre et dépendent de la générosité des autres. Ils consacrent leur vie au travail physique ou aux chants dans le Temple [mais jamais les deux !], accompagnent les prêtres sans en avoir les privilèges, accompagnent les Israélites tout en restant distincts. Ils reçoivent des impôts, la dîme, mais doivent aussi donner la dîme de ce qu’ils reçoivent.
Bref, ils me semblent être un modèle de ceux qui sont assez remarqués pour être significatifs dans le rôle qu’ils jouent dans la société, sans être trop remarqués et sensibles aux dangers de corruption qui accompagnent le pouvoir.
Si quelqu’un a le courage d’assumer ce rôle de lévite, pour porter la communauté là où elle doit aller, qu’il ou qu’elle le fasse.
Chabbat chalom !