Les lois du loulav et leurs implications
Le chabbat de Souccot a toujours quelque chose de particulier : il est à la fois chabbat et Souccot, mais sans être entièrement ni l’un ni l’autre. Nous n’avons pas aujourd’hui les repères habituels de la lecture hebdomadaire de la Torah, car nous lisons un passage tout à fait différent. De plus, l’une des principales mitsvot de cette fête — le balancement (ou la « prise ») du loulav — est également absente aujourd’hui, en raison d’un ancien décret rabbinique destiné à éviter que l’on transporte des objets pendant chabbat.
Cependant, il existe une idée selon laquelle étudier une mitsva équivaut spirituellement à l’accomplir. C’est pourquoi j’aimerais consacrer quelques instants aujourd’hui à examiner certains aspects techniques des Arba Minim, les quatre espèces. [Par le passé, en m’appuyant sur le Aroukh HaChoulkhan (Orah Haïm 624), j’ai suggéré que ceux qui sont absolument incapables de construire une soucca suivent ce modèle : qu’ils étudient en détail les lois de la construction d’une soucca, en imaginant concrètement celle qu’ils bâtiraient s’ils le pouvaient.]
La Torah dit (Levitique 23:40) que l’on doit « prendre » quatre espèces à Souccot et « se réjouir » avec elles pendant les sept jours de la fête. Comme pour beaucoup — mais pas toutes — des mitsvot positives de la Torah, cet acte s’accompagne d’une bénédiction : ‘al netilat loulav’, par laquelle nous louons Dieu qui nous a sanctifiés par ce commandement. Pardonnez la précision des détails, mais je crois qu’ils nous mèneront à une idée intéressante !
En règle générale, nous nous efforçons de réciter les bénédictions avant d’accomplir une action : on dit la bénédiction avant de boire le vin, et non après ; avant de sonner du chofar, et non après ; avant de mettre les téfilines, et non après, etc. Avec le loulav, il devrait en être de même. Et, en théorie, le simple fait de prendre le loulav suffit à accomplir la mitsva. C’est pourquoi Maïmonide enseigne qu’il faut simplement réciter la bénédiction lorsque les quatre espèces sont devant lui, puis les soulever.
Mais certains préféraient réciter la bénédiction alors qu’ils tenaient déjà les espèces en main. Il fallait donc trouver un moyen de les prendre sans pour autant accomplir la mitsva avant la bénédiction. Pour cela, le génie de l’esprit juif a trouvé une solution ingénieuse : on tient l’étrog à l’envers jusqu’à ce que la bénédiction soit récitée, puis on le remet à l’endroit et on procède alors au balancement des quatre espèces. Comme la mitsva n’est accomplie que si les espèces sont tenues dans le bon sens, les prendre à l’envers permet de les avoir en main sans les « prendre » au sens halakhique du terme.
Mais une autre suggestion a été formulée [cf. חזו”ע סוכות עמ’ שעז]. Quelqu’un a proposé que l’on tienne l’étrog dans la main droite et le loulav dans la main gauche. Or, la halakha enseigne exactement l’inverse: le loulav doit être tenu dans la main droite, et selon certains avis, si les espèces sont dans les « mauvaises » mains, la mitsva n’est pas accomplie. Ainsi, on pourrait, théoriquement, tenir l’étrog dans la main droite et le loulav dans la gauche, réciter la bénédiction, puis les échanger de main avant d’effectuer le balancement du loulav. Ce n’est pas une coutume répandue aujourd’hui, mais examinons de plus près cette idée selon laquelle le loulav doit être tenu dans la main droite.
De toute évidence, cette exigence repose sur l’idée que la main droite est la plus importante, et que le loulav — ainsi que les deux autres espèces qui y sont attachées — ont une valeur supérieure à celle de l’étrog. Cette association de la droite comme symbole de préférence apparaît dans le livre de Kohelet, que nous lisons aujourd’hui :
לֵ֤ב חָכָם֙ לִֽימִינ֔וֹ וְלֵ֥ב כְּסִ֖יל לִשְׂמֹאלֽוֹ׃
« Le cœur du sage est à sa droite, et le cœur du fou à sa gauche. » (Ecclésiaste 10:2)
Mais qu’en est-il d’une personne gauchère ? Le sujet fait l’objet d’un vif débat dans la littérature halakhique (Orah Haïm 651:3). La plupart des autorités séfarades estiment qu’un Juif gaucher doit malgré tout tenir son loulav dans la main droite, afin de se conformer à la pratique majoritaire de la communauté. La plupart des sources ashkénazes, en revanche, soutiennent l’opinion inverse : qu’une personne gauchère doit tenir le loulav beyemin didei, dans « sa propre main droite », c’est-à-dire dans sa main gauche !
On accuse souvent les Juifs d’être obsédés par les détails juridiques — et il est vrai que cela peut parfois sembler justifié — mais en réalité, les enjeux sont bien plus profonds qu’il n’y paraît. Cette discussion sur la place des gauchers dans un monde qui valorise la main droite a des répercussions sur notre manière de penser l’uniformité et la diversité au sein de toute communauté.
Le rabbin Ethan Tucker a écrit un essai remarquable sur la latéralité et la diversité, dont je cite ici quelques idées. Il y identifie cinq modèles selon lesquels la halakha envisage les Juifs gauchers. Je vais simplement les évoquer brièvement, sans entrer dans les détails.
- Exclusion — les gauchers sont exclus de certaines mitsvot qui exigent l’usage de la main droite. Par exemple, selon les lois du Temple, un cohen gaucher était entièrement disqualifié pour le service sacerdotal.
- Assimilation (Passing) — les gauchers sont inclus, mais doivent se conformer à la norme dominante et utiliser leur main droite pour ne pas se distinguer. C’est l’approche séfarade concernant la manière de tenir le loulav.
- Double contrainte — les gauchers sont considérés comme différents, tout en étant soumis aux exigences de la majorité. Ainsi, selon la Torah, il est interdit d’écrire de la main droite pendant chabbat. Mais d’après une opinion, un gaucher transgresse un interdit de la Torah s’il écrit aussi bien de la main gauche que de la main droite. En pratique, toute écriture est interdite pendant chabbat, mais c’est le principe qui importe ici.
- Image miroir — chaque fois qu’une halakha mentionne l’usage de la « main droite », elle fait référence à la main dominante des droitiers. Les gauchers accomplissent donc la même action avec leur main gauche. C’est la compréhension ashkénaze de la mitsva du loulav, et c’est également la logique appliquée aux téfilines : bras gauche pour les droitiers, bras droit pour les gauchers.
- Déconstruction — une fois que l’on reconnaît la diversité naturelle dans ce que signifie « main dominante », les notions absolues de droite et de gauche perdent leur pertinence.
De toute évidence, cette réflexion dépasse largement la question des mains dominantes. Chaque fois que nous sommes confrontés à des catégories absolues, il nous faut nous interroger sur la manière dont nous comprenons ceux qui n’y entrent pas. De nombreux textes talmudiques distinguent entre les obligations des hommes et celles des « non-hommes », catégorie souvent décrite comme regroupant les femmes, les esclaves et les enfants. Cette classification reflétait le monde antique d’il y a deux mille ans, mais elle ne correspond plus à notre réalité. La question de savoir comment la loi juive doit considérer la femme moderne, instruite et autonome, qui n’a rien de commun avec les esclaves ou les enfants dans les autres aspects de sa vie, occupe aujourd’hui une place centrale dans les débats du monde juif. Il est d’ailleurs intéressant de comparer ces différentes approches à celles que le rav Tucker décrit à propos des mains dominantes.
Ces réflexions ont également des implications pour l’inclusion des personnes en situation de handicap. Les restrictions traditionnelles concernant les sourds, les aveugles ou les personnes atteintes de déficience mentale pourraient être réexaminées selon la valeur que l’on identifie derrière la règle. De même que la même halakha est accomplie différemment par les personnes que Dieu a créées droitières ou gauchères — les amenant à mettre les téfilines sur des bras opposés —, peut-être que la manière dont une personne voyante et une personne aveugle « lisent » la Torah doit, elle aussi, être différente. D’ailleurs, à la fin de son étude, le rav Tucker propose d’ailleurs d’appliquer ce même modèle pour réfléchir à la diversité des orientations sexuelles au sein du monde juif.
Hier, j’ai parlé des bénédictions que nous récitons pour les bonnes nouvelles et pour les mauvaises, à la lumière de la possibilité — be’ezrat Hachem — que les otages soient libérés dans les jours à venir, et de la manière dont ces deux réalités sont liées. Les choses contiennent souvent une référence à leur contraire, et les bonnes et les mauvaises nouvelles ne sont pas toujours des catégories distinctes. Le fait que nous lisions le livre de Kohelet, avec son vertige existentiel et sa lucidité sur la mortalité, au cœur même des jours joyeux de Souccot, en est une autre expression.
Aujourd’hui, à Adath Shalom, nous marquons — en plus de la fête — le premier anniversaire du décès de Gabriel Gourvitch, ainsi que le mariage de Julie et Adam. Ce mélange d’émotions, en apparence opposées, incarne parfaitement l’esprit de la fête. La houppa de Julie et Adam, à l’image d’une soucca, exprimait à la fois l’ouverture et la vulnérabilité, la confiance et la conscience de la fragilité du monde qui nous entoure. La coutume de marquer un yahrzeit par un repas spécial témoigne de cette même tension: être conscients de la mort tout en affirmant la vie.
Nous disons dans nos préparatifs de chabbat :
יָמִין וּשְׂמֹאל תִּפְרֹצִי וְאֶת ה’ תַּעֲרִיצִי
« Va dans le monde, vers la gauche et vers la droite, et garde en toi la volonté de Dieu. »
Puissions-nous continuer à vivre avec les contraires, la diversité et l’unité.
Chabbat chalom !