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Construire une “Souccat Shalom”

Par Isabelle Urbah, professeure au Talmud Torah d'Adath Shalom

Hag Sameah’ à toutes et à tous ! 

Je suis Isabelle Urbah, professeure au Talmud Torah depuis 6 ans et fidèle d’Adath Shalom depuis maintenant plus de 20 ans.  

Hag Sameah’, c’est la formule consacrée pour se souhaiter joyeuse fête, mais  c’est encore plus approprié pour la fête de Souccot.  

En effet, Souccot c’est la fête par excellence à l’époque du second temple et aux temps  rabbiniques. Si on mentionne HaH’ag, La Fête, c’est qu’on parle de Souccot, qui donnait lieu à la fois: 

– au pèlerinage à Jérusalem,  

– à des processions dans les rues, en plus des Hochanot, 

– à la cérémonie de la libation de l’eau, une célébration un peu tombée dans l’oubli aujourd’hui 

– mais aussi à la décoration de tous les édifices – pas seulement des Souccot – avec  des branchages et autres fruits de la récolte. 

C’était un peu l’équivalent de Noël en termes de manifestation publique. C’était aussi  la seule fête durant laquelle on lisait une partie de la Torah publiquement. Les Yamim  Noraïm – jours terribles – de Tichri sont enfin passés, la récolte est engrangée, la fête  peut donc commencer. 

Souccot, c’est donc LA fête, et une fête joyeuse, H’ag Saméah, et d’autant plus joyeuse  que c’est le Z’man Simh’atenou, le temps de notre réjouissance. Cette dénomination  vient directement de la Torah où se réjouir fait partie des commandements de Souccot : 

 וּשְׂמַחְתֶּם לִפְנֵי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם שִׁבְעַת יָמִים

 ” Vous vous réjouirez devant l’Éternel votre Dieu pendant sept jours”  (Lévitique 23:40)

וְשָׂמַחְתָּ בְּחַגֶּךָ

 “Tu te réjouiras pendant la fête...” (Deutéronome 16:14)

Et surtout (Deutéronome 16:15):

וְהָיִיתָ אַךְ שָׂמֵחַ

l’Éternel ton Dieu te bénira… et  tu seras seulement dans la joie”  

Cette année, ce premier jour de Souccot coïncide cependant avec un sinistre  anniversaire. Depuis deux ans, les massacres du 7 octobre 2023 ont ravivé nos plus grandes  peurs, et pour certains nos pires souvenirs. Deux ans que des otages sont en captivité, deux ans que deux peuples, déjà traumatisés sur plusieurs générations par des décennies  d’affrontement ont repris l’assaut. Deux ans qui ont aussi bouleversé notre quotidien ici à  toutes et tous. Deux ans que certains ont rentré leur mezzouza, commandent un taxi ou réservent le restaurant sous un faux nom. Deux ans qui ont fait surgir dans nos vies  l’implacable constat que l’antisémitisme est bien vivant. Deux ans qui nous laissent  l’impression d’un éternel recommencement. « Rien de neuf sous le soleil » nous dit  l’Ecclésiaste, un des livres les plus déprimants de notre tradition, que nous lirons ce  Chabbat malgré d’ailleurs ce commandement de réjouissance.

Alors pourquoi et comment se réjouir dans ces conditions ? 

N’est-il pas indécent de célébrer Souccot sans aucune retenue alors que chaque jour, des  jeunes se lèvent pour aller au combat, et d’autres meurent de faim ou sous les  bombardements ?  

Car le commandement de la Torah ne laisse la place à aucun autre sentiment. Souccot  n’est pas un mariage où l’on briserait un verre pour rappeler que la joie ne peut être  entière. Non, au contraire, nous sommes priés de laisser nos soucis à la porte de la  Souccah pour entrer sous la houppa qui nous unit à l’Eternel. 

Quelle est cette joie de Souccot ? Le mot שמחה simḥa en hébreu désigne à la  fois la joie et l’événement festif lui-même.  

Ce n’est pas un sentiment personnel de satisfaction, de plénitude ou de bonheur mais un  moment communautaire de partage, de cérémonies publiques et expansives. Il y a  quelque chose d’exubérant dans la שמחה. 

A bien des égards, Souccot est une fête rayonnante, tournée vers l’extérieur, une fête de  l’union et de l’accueil.  

De l’union par ces quatre espèces, symboles de nos organes, des attributs de l’Eternel ou de  tous les Juifs, quel que soit leur attachement à la Torah et aux Mitsvot.  De l’accueil car la Soucca est faite de trois murs et donc ouverte sur l’extérieure, comme  une tente, comme la lettre Beth qui symbolise la maison. Le foyer n’est pas fermé mais  doit pouvoir permettre de voir l’extérieur et d’accueillir les amis, les gens de passages mais aussi les Oushpizzin, nos hôtes spirituels. 

Parmi nos hôtes de marque, nous invitons Abraham, le modèle de l’hospitalité dans le  judaïsme qui, malgré son état de convalescence après la circoncision, se place à l’entrée  de sa tente, en pleine chaleur et court à la rencontre des trois silhouettes qui s’avancent dans  les plaines de Mamré pour les inviter.  

Or, la Soucca où il faudrait se rassembler dans la joie, cette Soucca éphémère  que l’on doit décorer, la Soucca supposée représenter la protection offre en réalité un  maigre abris à celles et ceux qui y séjournent. Car je le rappelle, en plus d’être ouverte  aux quatre vents par sa porte, la Soucca l’est aussi par son toit qui doit être fait de branchages laissant passer aussi bien la lumière du soleil que les gouttes de pluie, assez habituelles  en cette saison. Si Pessah nous prive d’un confort alimentaire, Souccot va plus loin en  nous privant d’un toit ! 

Le défi est donc de taille : se réjouir malgré les épreuves de notre temps, accueillir en  s’exposant aux éléments, se réjouir finalement dans toute notre vulnérabilité.  C’est justement parce que le refuge de la Soucca est si fragile, que les conditions de  vie y sont plus rudimentaires, nous prenons conscience de notre vulnérabilité et de celle  de notre prochain que nous sommes peut-être alors plus enclins à accueillir.

Ce dénuement forcé nous fait sortir d’un rapport utilitaire pour entrer dans une véritable  relation avec l’autre. Selon les termes de Martin Buber, on passe d’un rapport avec le Cela (la chose) à un rapport avec le Tu (l’autre). Or, dans cette relation à l’autre, au Tu,  toute haine est impossible. La haine relèverait uniquement d’un rapport utilitaire. 

Ainsi, la Soucca, lieu de rassemblement, rassemblement des quatre espèces qui forment son toit, des amis, des visiteurs spirituels ou bien réels, devient alors une Souccat Shalom,  notre refuge de paix. Dans notre liturgie, nous l’évoquons lors de la prière Hashkivenou  où nous demandons à l’Eternel d’étendre sur nous la cabane de sa paix, « U-feros alénou souccat shlomékha ». Ce concept de Souccat Shalom évoque une paix universelle des  temps messianiques, et même si on ne croit pas au Messie, on peut espère malgré tout  un monde où règnerait la paix, où « l’on ne tirera plus l’épée contre un autre peuple et  où on n’apprendra plus l’art de la guerre » ainsi que le dit Isaïe, que nous citons à chaque  office dans notre prière pour la paix dans le monde et sur Israël. 

Comment transformer cette construction si sommaire, si vulnérable, en abri de paix ?  Comment s’y retrouver dans la joie malgré nos peines ? Comment s’y rassembler avec  celles et ceux qui malgré leurs vœux de paix nous semblent parfois éloignés ?  

Et bien, grâce à un principe talmudique très simple, bien connu de tous les enfants : on  va faire comme si, « Kehilou ». De même que l’on fait comme si on sortait d’Egypte à  Pessah, on fait comme si on sortait pour un temps de l’actualité brûlante pour rentrer  dans un espace hors du temps, dans la Soucca, un espace hors des conflits, un espace  peut-être pour renouer le dialogue. En anglais, on dit parfois « Fake it until you make  it », « fais semblant jusqu’à ce que ça marche ». Ça me fait penser à notre « Naassé  VéNishma », « Nous ferons et nous comprendrons ». Apprendre, guérir par l’action  devient nécessaire quand le corps et l’esprit sont habitués ou bloqués dans une spirale désespérante.  

Faire semblant, ce n’est pas se voiler la face, c’est s’extirper d’un réel qui nous semble  inéluctable pour se donner l’opportunité d’envisager le monde autrement, un autre futur  possible. Il y a un temps pour tout, un temps pour faire la guerre, un temps pour faire la  paix. Souccot est de ces temps-là, à la fois «èt », moment opportun, et « zman »,  moment consacré pour la paix. 

Réjouissons-nous pour réapprendre à être heureux, réjouissons-nous car nous sommes  vivants, réjouissons-nous car nous danserons encore et réjouissons-nous pour trouver le  chemin de la paix en nous, et la faire advenir avec celles et ceux qui la désirent  sincèrement. 

H’ag Sameah !

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