Synagogue Massorti Paris XVe

Don

Adhésion

justice_reforme-judiciaire-israel-judaisme-massorti

Choftim, rechercher la justice

Par Claire Aboudi Schwartz

Aujourd’hui, cela fait 25 ans que j’ai fait ma Bat Mitzvah. À cette même téba, et certains d’entre vous étaient déjà là.

Ce jour-là, j’ai fait mon entrée officielle dans la communauté en lisant un passage de la paracha Choftim, celle que nous avons lue aujourd’hui. À l’époque, j’avais choisi de traiter dans ma dracha des villes refuges. Et quand j’ai proposé à Josh de refaire l’exercice ce Chabbat, il m’a dit : « D’accord, mais tu ne refais pas celle de ta Bat Mitsva. » 

Donc je m’étais dit que j’allais changer de sujet.

J’ai trouvé le texte de la paracha très difficile et je vous demande donc une extrême indulgence.
J’ai eu du mal à trouver quelque chose de pertinent et, à force de réflexion et de fil en aiguille, j’ai été amenée à me demander quelle aurait été ma paracha de Bat Mitsva si je l’avais faite à la vraie date (je suis née le 28 Tamouz). Eh bien, ma paracha aurait été la parasha Massei, qui traite elle aussi des villes refuges, entre autres choses. J’ai trouvé la coïncidence assez surprenante!

Dans la paracha Masei (Bamidbar – chapitre 35), l’Éternel parle à Moïse et lui indique que les enfants d’Israël devront choisir des villes propres à leur servir de cités d’asile : 

« Là se réfugiera le meurtrier, homicide par imprudence. Ces villes serviront, chez vous, d’asile contre les vengeurs du sang, afin que le meurtrier ne meure point avant d’avoir comparu devant l’assemblée pour être jugé. (…) » 

On a ensuite les détails du nombre de villes (6) et leur répartition sur le territoire. On nous explique les conditions dans lesquelles le meurtrier involontaire peut rejoindre cette ville, quand il peut en sortir, etc.

Dans la paracha Choftim, nous avons des explications complémentaires sur les villes refuges et on insiste particulièrement sur la notion d’intention. L’acte est important, mais l’intention tout autant.

Dans La Voix de la Torah, Elie Munk rapporte le commentaire de Rabbi Isaac Arama à propos du verset 4, chapitre 29 : « s’il frappe son prochain involontairement. » Rabbi Isaac Arama décrit comment la Torah, vers la fin (donc dans Devarim), juge les intentions de l’homme par rapport à l’action. Elle découvre de plus en plus la valeur de la bonne intention et met en lumière son importance particulière.
Finalement, cela montre que le jugement ne peut pas se faire froidement, c’est ce qui rend la recherche de la justice si complexe.

Je m’arrête là sur le sujet des villes refuges pour rentrer dans le sujet plus général de la justice.

Au début de la paracha Choftim, on lit :

צֶדֶק צֶדֶק תִּרְדֹּף לְמַעַן תִּחְיֶה וִירַשְׁתָּ אֶת־הָאָרֶץ אֲשֶׁר־יְהוָה אֱלֹהֶיךָ נֹתֵן לָךְ׃

La justice, c’est la justice que tu poursuivras afin que tu vives et que tu occupes le pays que le Seigneur ton Dieu te donne.

La répétition de tsedek (la justice) a évidemment fait couler beaucoup d’encre, et un des commentaires qui m’a le plus plu est celui de Rabbenou Bahya (commentateur du Moyen Âge), qui dit que la justice doit être la loi, mais toujours accompagnée d’amour, de compassion, de hessed. C’est le devoir des juges d’aller au-delà de la lettre de la loi et de trouver un sens intérieur. La justice doit être charitable. C’est intéressant, car cela intègre des notions éthiques, morales, presque émotionnelles dans la justice.

Dans la deuxième partie du verset, לְמַעַן תִּחְיֶה וִירַשְׁתָּ אֶת־הָאָרֶץ אֲשֶׁר־יְהוָה אֱלֹהֶיךָ נֹתֵן לָךְ : « afin que tu vives et que tu occupes le pays que le Seigneur ton Dieu te donne. » Cette justice et cette absence de corruption dont on nous parle avant sont la condition de l’État.

Pour Rachi, « la nomination de juges incorruptibles est une condition suffisante pour faire vivre et maintenir Israël sur sa terre ». La justice est l’axe principal de l’État : sans elle, l’État ne peut pas survivre.

Dans Bava Metzia, on peut également lire : « Jérusalem n’a été détruite que parce que la justice ne s’en tenait qu’à la loi tout court mais n’était pas charitable. » Je trouve que dans le contexte actuel, cette affirmation fait réfléchir. Mais je ne vais pas du tout faire de politique ici.

Ce lien entre justice et État est présent également chez Lévinas, qui écrit dans son ouvrage Être Juif : « La justice comme raison d’être de l’État, voilà la religion. »
Il y a un lien étroit entre souveraineté et justice. C’est la justice qui fonde l’État d’Israël.
Pour Lévinas, la véritable religion se manifeste dans l’engagement éthique et politique en faveur de la justice, et non dans des pratiques rituelles ou dogmatiques.

En même temps, la notion de « poursuite » de la justice laisse penser qu’on ne pourra jamais vraiment l’atteindre… et pourtant c’est la condition d’occupation de la Terre d’Israël. Alors comment faire pour être le plus juste, le plus charitable possible ? 

La suite de la paracha nous donne un certain nombre d’indications qui sont extrêmement modernes quand on y regarde bien. On nous parle :
• D’anti-corruption [– en France, la loi anti-corruption (en entreprise) c’est la loi Sapin II, et elle date de 2016]
• De la responsabilité des témoins
• De la protection des innocents avec les villes refuges
• De la protection des frontières (que l’on n’a pas le droit de déplacer)
• Du principe de peine dissuasive et exemplaire

Et puis, on voit aussi dans le texte certaines réponses à des cas de conscience qui peuvent se présenter à nous et où l’on choisira la vie sur la mort :

• L’exemption de faire la guerre pour celui qui vient de se construire une maison et n’en a pas encore profité ; celui qui a planté une vigne et n’en a pas encore cueilli les fruits ; ou celui qui a promis mariage à une femme.
• Par ailleurs, la paix doit être proposée avant de faire la guerre.
• Et enfin, ne pas abattre les arbres fruitiers qui nous nourrissent. On est aux prémices de l’écologie.

Bref… malgré certains passages très noirs qui, pris au pied de la lettre, font froid dans le dos, cette paracha est remplie de morale et d’éthique. Pour ma part, c’est en creusant le texte et les commentaires que je me suis réconciliée avec lui. Car de prime abord, je vous avoue avoir été un peu sceptique, car je ne retrouvais pas dans la première lecture basique le judaïsme moderne et éthique qui m’habite.

D’ailleurs, je vous partage un dernier commentaire qui a été absolument clé dans mon changement de regard sur le texte. Au chapitre XVII, versets 8 à 12, on lit : « Si tu es impuissant à prononcer sur un cas judiciaire, sur une question de meurtre ou de droit civil, ou de blessure corporelle, sur un litige quelconque porté devant tes tribunaux, tu te rendras à l’endroit qu’aura choisi l’Éternel ; tu iras trouver les pontifes ou le juge qui siègera à cette époque… »
Selon le Talmud, cela nous enseigne que les juges reconnus par la nation auront une autorité absolue et incontestable, même si la comparaison avec des juges d’une période antérieure leur est défavorable.

Cela me rassure de savoir que la Torah nous ordonne de vivre avec notre temps ! Et cela rend tellement compatible la cohabitation, dans nos vies, entre les lois juives et les lois nationales et internationales.
Et d’ailleurs, il me semble que cela nous rend extrêmement responsables dans le bon choix de ceux qui nous gouvernent. Mais l’idée n’était pas de faire de la politique ou de l’éducation civique…

J’aimerais, avant de conclure, vous partager une petite expérience que j’ai faite.
Il se trouve qu’après le 7 octobre, et suite à une discussion que j’ai eue avec un collègue très juif et très libéral, je me suis posé la question : « C’est quoi, être juif ? ». 

Et j’ai posé la question à mes proches : « C’est quoi, être juif, pour toi ? ». J’ai demandé à des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes, des enfants, des religieux et des non-pratiquants, et j’ai eu une foule de réponses formidables.

Je vous en donne une petite sélection :
« Pour moi, c’est faire partie d’un peuple qui a reçu une responsabilité particulière, celle d’apporter une dimension morale au monde terrestre. » (Clarisse)
« Être juif, c’est faire partie d’un peuple qui veut faire le bien et qui aspire à être un modèle de bien et une lumière pour les autres peuples. » (Aura – 11 ans)
« Être juif, c’est un devoir de comportement éthique. » (Elya)
Et je vous cite mon fils Ethan, pour lui faire honneur. Il avait 7 ans et demi à l’époque, et il m’a dit : « Être juif, c’est faire les prières pour Dieu, avoir une kippa, faire Chabbat, aller à la synagogue, respecter les lois. Ah ! c’est aussi être bienveillant et être gentil avec les autres. »

J’étais assez surprise et fière de voir qu’il mettait naturellement une dimension émotionnelle et relationnelle dans sa définition du judaïsme. Et comme, dans les témoignages des plus grands, il y a cette dimension sociale et d’exemplarité. Je trouve assez puissant que ces valeurs soient si imprégnées dans l’identité juive et je crois que c’est bien cela qu’il faut poursuivre et transmettre à nos enfants. C’est la leçon que je retire pour moi de cette paracha, 25 ans après ma première étude.

J’ai découvert et je retiendrai également, comme je le disais au début de cette dracha, que c’est cette justice qui nous donne le droit d’habiter la Terre d’Israël. Alors, attachons-nous à la poursuivre.

Chabbat Chalom

Partager cet article