Par le rabbin Josh Weiner
Il est difficile d’écrire ces mots quelques heures avant la libération espérée des otages, et de les prononcer ensuite, car tant de choses peuvent se produire d’ici là, et j’ignore quel sera l’état d’esprit mardi matin… Cela me rappelle sans doute la pire dracha que j’aie jamais donnée ici, le matin de Chemini Atseret, le 7 octobre 2023. On m’avait dit qu’il s’était passé quelque chose en Israël, mais je n’avais pas encore saisi l’ampleur de la situation, ce tournant historique qui ne m’est apparu clairement que deux jours plus tard, lorsque j’ai rallumé mon téléphone. J’ai donc prononcé quelques mots vagues pour dire que nos pensées allaient aux victimes, puis j’ai enchaîné avec un sermon complètement déplacé, hors de propos, sur les prières pour la pluie dans les hémisphères nord et sud.
Dans les semaines qui ont suivi, la lecture de la Torah m’a servi de clé pour comprendre le monde : en lisant le récit de la création, je réfléchissais au chaos. Quand nous avons lu l’histoire de Noah, j’ai médité sur la description de la destruction, et sur l’emploi du mot hébreu Hamas, qui est traduit là, de façon unique, en araméen par hatoufin, « enlèvements ». Et ainsi de suite. Parfois, la Torah devenait pour moi un refuge, un lieu d’évasion ; alors que les nouvelles devenaient de plus en plus folles, la lecture hebdomadaire des récits bibliques apportait un point de stabilité dans nos vies.
Aujourd’hui, deux ans plus tard, je ne suis toujours pas certain d’avoir les mots justes pour exprimer ce que traverse notre monde. Il y a de la joie, mais aussi de l’inquiétude quant à la suite des événements, car nous savons que l’histoire n’est pas terminée. Une fois encore, je ne suis pas connecté à l’actualité, et je me demande même s’il existe des mots capables de décrire fidèlement notre réalité. La Torah demeure à la fois un miroir et un refuge.
La fête que nous célébrons aujourd’hui est Chmini Atséret. Dans la diaspora, elle est observée pendant deux jours, et, avec le temps, le second jour s’est associé au renouveau du cycle de lecture de la Torah, prenant le nom de Sim’hat Torah. En Israël, où il n’y a malheureusement qu’un seul jour de fête, cette tradition de Sim’hat Torah a fini par être adoptée également, au point d’éclipser Chmini Atséret, pourtant célébré le même jour. Le fait d’avoir deux jours distincts nous permet de savourer le sens propre à chacune de ces célébrations si différentes.
Mais que célèbre-t-on exactement en ce jour ? L’un de mes midrachim préférés apporte une réponse surprenante : rien. Ce jour est vide de sens particulier. Après tant de journées lourdes de sens — Roch Hachana, Yom Kippour, et les autres — voici enfin un jour où l’on se réjouit simplement pour la joie elle-même. Le midrach s’appuie sur l’idée que les soixante-dix taureaux offerts en sacrifice durant les sept premiers jours de Souccot correspondent aux soixante-dix nations du monde : elles reçoivent ainsi leur expiation. Je cite :
אַתְּ מוֹצֵא בֶּחָג יִשְׂרָאֵל מַקְרִיבִין לְפָנֶיךָ שִׁבְעִים פָּרִים עַל שִׁבְעִים אֻמּוֹת, אָמְרוּ יִשְׂרָאֵל רִבּוֹן הָעוֹלָמִים הֲרֵי אָנוּ מַקְרִיבִין עֲלֵיהֶם שִׁבְעִים פָּרִים וְהָיוּ צְרִיכִין לֶאֱהֹב אוֹתָנוּ וְהֵם שׂוֹנְאִין אוֹתָנוּ, שֶׁנֶּאֱמַר: תַּחַת אַהֲבָתִי יִשְׂטְנוּנִי. לְפִיכָךְ אָמַר לָהֶם הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא עַכְשָׁו הַקְרִיבוּ עַל עַצְמְכֶם, בַּיּוֹם הַשְּׁמִינִי עֲצֶרֶת תִּהְיֶה לָכֶם. (במדבר כט, לו): וְהִקְרַבְתֶּם עֹלָה אִשֵּׁה רֵיחַ נִיחֹחַ לַה’ פַּר אֶחָד אַיִל אֶחָד, מָשָׁל לְמֶלֶךְ שֶׁעָשָׂה סְעוּדָה שִׁבְעַת יָמִים, וְזִמֵּן כָּל בְּנֵי אָדָם שֶׁבַּמְדִינָה בְּשִׁבְעַת יְמֵי הַמִּשְׁתֶּה, כֵּיוָן שֶׁעָבְרוּ שִׁבְעַת יְמֵי הַמִּשְׁתֶּה, אָמַר לְאוֹהֲבוֹ כְּבָר יָצָאנוּ יָדֵינוּ מִכָּל בְּנֵי הַמְדִינָה, נְגַלְגֵּל אֲנִי וְאַתָּה בַּמֶּה שֶׁתִּמְצָא, לִטְרָא בָּשָׂר אוֹ שֶׁל דָּג אוֹ יָרָק. כָּךְ אָמַר הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא לְיִשְׂרָאֵל: בַּיּוֹם הַשְּׁמִינִי עֲצֶרֶת תִּהְיֶה לָכֶם, גַּלְגְּלוּ בַּמֶּה שֶׁאַתֶּם מוֹצְאִים, בְּפַר אֶחָד וְאַיִל אֶחָד
“Vous offrirez un holocauste, un sacrifice consumé par le feu, d’une agréable odeur pour l’Éternel : un taureau, un bélier” — on compare cela à un roi qui fit un festin de sept jours et y invita tous les habitants de la province. Lorsque les sept jours du festin furent passés, il dit à son ami proche : « Nous avons rempli notre devoir envers tous les habitants du royaume. Toi et moi, improvisons avec ce que tu trouveras — un morceau de viande, de poisson, ou même de légumes. » Ainsi, le Saint, béni soit-Il, dit à Israël : “Le huitième jour sera pour vous une assemblée” — improvisez avec ce que vous trouverez : un taureau et un bélier.” (Bamidbar Rabbah 21:24)
J’aime particulièrement ce clin d’œil : toute la gravité et toutes les règles de cette fête sont en réalité une « improvisation ». Et, en tant que végétarien, j’aime aussi l’idée que ce n’est pas la viande qui compte, mais l’intimité partagée. Cela me rappelle une discussion que j’ai eue avec quelques personnes après Roch Hachana : on m’a demandé pourquoi je mentionne les sacrifices dans ma prière de Moussaf.
Notre sidour massorti propose deux formulations : soit on évoque les sacrifices « qui furent offerts », au passé, soit ceux « qui seront offerts », au futur. Dans l’ensemble, je comprends et partage en partie la position de ceux qui n’ont pas apprécié mon choix du futur. Je ne rêve pas vraiment de la reconstruction d’un gigantesque abattoir sacré ; et même si j’imagine bien que l’offrande d’un animal puisse être une expérience viscérale et bouleversante, je ne pense pas que ce soit la seule manière d’entrer en relation avec Dieu. Comme celles et ceux qui ont posé la question, je me sens plus proche des idées exprimées par Maïmonide (Guide des égarés III:32), selon lesquelles les sacrifices représentaient une forme de technologie spirituelle adaptée à une certaine époque de l’histoire humaine — de même que les générations suivantes furent mieux disposées à offrir des prières verbales, et que peut-être les générations à venir seront capables d’offrir seulement une méditation silencieuse. Dans le même esprit, le Rav Kook suggérait que, dans les temps messianiques, lorsque le Temple sera reconstruit, il n’y aura plus besoin de sacrifices d’animaux : seules la farine, l’eau et le vin suffiront.
Mais alors, si je pense tout cela, pourquoi conserver dans nos prières le langage des sacrifices ? Ceux qui me connaissent savent que je suis plein de contradictions, mais qu’en matière de liturgie, je suis plutôt conservateur. Supprimer les mentions de sacrifices, changer une ligne dans ce système, c’est comme toucher au code source d’un programme sensible : on ne sait pas toujours ce qu’on casse. Où s’arrêterait-on ? Faudrait-il sauter les lectures de la Torah qui en parlent ? Réécrire le Talmud rétrospectivement ?
Bien sûr, si j’inventais aujourd’hui une nouvelle religion, la prière de Moussaf n’aurait sans doute pas la forme qu’elle a. Mais il n’est pas si simple de reconstruire une tradition reçue, et chaque changement a un coût.
Mais tout cela reste secondaire par rapport à la véritable raison pour laquelle je ne choisis pas de mettre toutes les mentions de sacrifices au passé. Je ressens profondément que la prière doit toujours être tournée vers l’avenir : elle doit concerner le présent et le futur, non le passé. C’est pourquoi je suis prêt à « sacrifier » le sens littéral de ce que je dis et à le voiler sous des symboles et des métaphores, tant que les verbes restent conjugués au futur.
C’est sur cette compréhension que nos prières sont construites. Quand nous disons Rofé ‘holé amo Israël, nous affirmons notre conviction en une guérison toujours possible — ce n’est pas un événement révolu. Quand nous disons que Dieu est Noten haTorah, « Celui qui donne la Torah », nous proclamons que la révélation n’a jamais cessé, que la Torah est donnée et reçue sans relâche, à chaque génération. Même lorsque nous disons Hamotsi lé’hem min haarets, « Celui qui fait sortir le pain de la terre », nous reconnaissons que les merveilles de la création continuent aujourd’hui encore, et que nous en sommes reconnaissants à chaque repas.
Laissons de côté, pour une autre fois, la question des sacrifices. Mais je tiens à souligner cette dimension temporelle de la prière. C’est le même principe dans la bénédiction que l’on récite en entendant la nouvelle de la libération des otages — bénédiction qui, comme je l’ai récemment soutenu (d’après Mishna Berura 222:1), doit être dite au moment même de la libération : Baroukh hatov vehametiv, « Béni soit Celui qui est bon et fait le bien. » Non pas « qui fit le bien », même si, bien sûr, nous sommes reconnaissants pour tout le bien que nous avons reçu dans nos vies et dans celles de nos ancêtres. L’essentiel de notre regard doit être dirigé vers le présent et l’avenir : le bien est en train de se réaliser et continuera de le faire — c’est cela que nous voulons affirmer.
Ken yehi ratson,
Puisse cela continuer ainsi !
‘Hag saméa‘h !