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Le sept octobre (encore)

Dracha prononcée par notre rabbin lors de la commémoration du 7 octobre, le dimanche 5 octobre 2025 à Adath Shalom

Quelques mots pour une cérémonie improvisée

Il est difficile de définir exactement ce que nous faisons ici ce soir. D’une certaine manière, cela évoque une version collective des pratiques de deuil privées propres à chaque Juif : à la date anniversaire du décès d’un proche nous marquons le yahrzeit par des prières, des psaumes et des gestes précis. Les meurtres de plus de 1 200 personnes ce jour-là — Juifs et non-Juifs, soldats et civils, parents, grands-parents et enfants — ont provoqué chez le peuple juif du monde entier un choc profond, et avec lui,  le besoin de faire le deuil comme s’il s’agissait de membres de sa propre famille.

Mais c’est plus nuancé que cela. Les familles des otages avaient lancé un appel le 7 octobre dernier : ne soyez pas trop prompts à prononcer des éloges funèbres pour ceux qui sont encore en vie. Il est terrible de constater qu’un an plus tard,  cet avertissement reste tristement d’actualité. Nous ne pouvons pas faire uniquement le deuil tant qu’il reste une chance que certains des otages soient encore vivants, après sept cent trente jours d’enfer. Cette rencontre, ce soir, est aussi une prière ardente pour leur libération et leur guérison.

Et plus généralement, la confusion vient du fait que les cérémonies commémoratives marquent d’ordinaire l’anniversaire d’un événement achevé — or, sous bien des aspects, nous sommes encore au cœur de la tragédie déclenchée en ce jour sombre, il y a deux ans. Une cérémonie de souvenir aide à apprivoiser une expérience traumatique, à lui donner une forme, à la fois apaisée et ordonnée — à imposer un récit au chaos. J’ai le sentiment que nous n’avons pas encore les mots pour ce récit collectif, précisément parce que l’histoire n’a pas encore trouvé sa fin.

Les deux dernières années ont été épuisantes sur le plan émotionnel. Nos regards sont tournés vers Gaza. Dans notre mémoire collective, ce drame se divise en plusieurs chapitres : les premiers jours, les noms des disparus, les funérailles sans fin, l’identification des corps, le soutien international, puis les critiques venues du monde entier. Les otages libérés lors des opérations de sauvetage. Les otages tués par nos propres forces. Les otages assassinés dans les tunnels par le Hamas. Les missiles lancés depuis Gaza, depuis le Liban, depuis l’Iran, depuis le Yémen. Les cessez-le-feu, et les titres qui se répètent sans fin : « nous sommes proches d’un accord ». En avril 2024, Netanyahou promettait que nous étions « à un pas de la victoire absolue ».

Nous voyons les yeux fatigués des mères, des époux, des compagnes et des enfants des otages lors des manifestations hebdomadaires. Nous connaissons tous quelqu’un qui a été blessé, ou quelqu’un qui connaît quelqu’un, ou bien nous sommes ici ce soir parce que, au plus profond de nous, nous sentons que leur histoire est aussi la nôtre.

Kibboutz Be’eri

Un jeune Israélien a écrit un court poème quelques semaines après le 7 octobre, inspiré du verset qui décrit la rencontre de Jacob avec son frère Esau : « Jacob eut très peur et fut angoissé » (Genese 32,8). Pour expliquer ces deux termes apparemment redondants, Rachi cite le midrash :

ויירא ויצר. וַיִּירָא שֶׁמָּא יֵהָרֵג, וַיֵּצֶר לוֹ אִם יַהֲרֹג הוּא אֶת אֲחֵרִים

« Il eut peur d’être tué, et il fut angoissé à l’idée de devoir tuer ».

Je crois que ce verset donne le ton de ce que nous avons vécu ces dernières années. D’abord, il y a la peur. La douleur n’est pas seulement celle des milliers de morts de la première vague d’attaques, mais aussi celle de  la peur d’être soi-même pris pour cible — une peur malheureusement confirmée par les missiles venus de toutes parts, par les attaques au couteau, les attentats dans les bus, les fusillades qui se poursuivent depuis.

En dehors d’Israël aussi, la peur pour notre sécurité personnelle est devenue une réalité quotidienne : les attaques contre des synagogues à Berlin, à Rouen, à Melbourne et maintenant à Manchester. J’ai entendu d’innombrables récits d’enfants de notre communauté harcelés à l’école parce qu’ils sont juifs. Il existe, bien sûr, une critique légitime d’Israël qui a sa place dans le débat public ; mais pour beaucoup d’antisémites, la guerre à Gaza a servi de prétexte à des agressions verbales et physiques contre les Juifs du monde entier.

Jacob n’avait pas seulement peur d’être tué : il craignait aussi d’avoir à tuer. Cette guerre n’est pas une source de fierté pour nous ; c’est un mal nécessaire — très nécessaire, au départ, et profondément mal. Même si elle nous a été imposée, même si toute guerre fait des victimes civiles, même si l’infrastructure terroriste se cachait parmi les populations, l’ampleur de la violence qu’Israël a exercée en notre nom est une cicatrice que nous porterons à jamais. Il n’y a aucun honneur à minimiser ou détourner la mort de palestiniens innocents ; eux aussi doivent être pleurés aujourd’hui, même — et surtout — de la part de ceux qui soutiennent Israël et croient en sa mission.

Depuis octobre 2023, nous récitons une prière supplémentaire dans nos offices chaque chabbat. Et depuis la courte trêve et la libération partielle des otages, nous avons choisi d’adapter cette prière, qui demandait la guérison pour ceux qui reviennent vivants et le repos éternel pour ceux qui reviennent afin d’être enterrés. Depuis plusieurs mois, elle sonne un peu étrange, décalée, et certains m’ont demandé s’il fallait continuer à la dire.  Je tenais à ce qu’elle continue afin de maintenir notre attention sur la libération des otages et sur la fin de la guerre.

La rhétorique de la « victoire absolue », de la conquête, de la vengeance et de l’expansion des implantations, que l’on entend dans certaines parties du monde juif, est une rhétorique que nous refusons. La véritable victoire, ce serait de terminer la guerre et de reconstruire lentement nos vies,  en donnant à toutes les cicatrices le temps de commencer à se refermer. Nous ne savons pas ce que les jours, les semaines et les mois à venir nous réservent, et après tant de déceptions il est difficile de s’accrocher à l’espérance. Mais il nous est tout aussi interdit de la perdre : la fin de la guerre, et la guérison, viendront bientôt. Elles doivent venir.

יהי זכרם ברוך

Que la mémoire de toutes ces vies brisées soit une bénédiction, qu’elles soient reliées au faisceau des vivants. Nous ne les oublierons jamais.

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