Par Oscar
Aujourd’hui, nous avons lu la paracha Ki Tavo.
Et pour moi, s’il fallait la résumer en un seul mot, ce serait : Bikourim.
Les Bikourim, ce sont les premiers fruits de la saison qu’on voit apparaître sur un figuier, un grenadier ou une vigne, ce sont les plus beaux, les tout premiers, ceux qu’on attend depuis des mois.
Et à l’époque du Temple, on ne les mangeait pas.
On les attachait avec un fil rouge pour les repérer, et lorsqu’ils étaient mûrs, on les apportait en offrande au Temple à Jérusalem. C’était une grande fête ! Les agriculteurs venaient par groupes, avec leurs paniers, accompagnés de musique, d’animaux décorés, et d’une déclaration solennelle qu’on récitait en arrivant devant le Cohen :
« Araméen errant était mon père… » (Deutéronome 26 : 5-10)
Cette déclaration racontait l’histoire de nos origines : l’exil, l’esclavage en Égypte, la sortie vers la liberté, l’entrée en terre promise. Et elle finissait par cette phrase magnifique :
« Et maintenant, j’apporte les prémices des fruits de la terre que Tu m’as donnée, Ô Éternel. »
Franchement, au début, je me suis dit : c’est bizarre.
Pourquoi ne pas manger le fruit soi-même, surtout à une époque où la nourriture était rare ? Et pourquoi ce discours sur les ancêtres, le passé, l’histoire ?
Et comme je suis passionné de robotique, une question encore plus folle m’est venue…
Et si les robots avaient existé à l’époque de nos ancêtres, pourraient-ils accomplir cette mitsva à notre place ?
Ayant déjà construit des robots, je peux vous dire que je m’y connais un peu. Techniquement, c’est faisable :
- Un robot pourrait cueillir les fruits avec des pinces articulées.
- Il pourrait les porter dans un panier, grâce à des chenilles motorisées.
- Il ne se perdrait pas : avec un GPS bien calibré, il irait droit à Jérusalem, tout en captant le satellite.
- Il pourrait reconnaître le Cohen grâce à la reconnaissance faciale, un peu comme Face ID. Il pourrait même différencier le Lévi du touriste.
- Il pourrait même parler : un module vocal pourrait lui faire réciter exactement la déclaration, sans faute.
- Et pour finir, il pourrait afficher un petit sourire sur son écran digital.
Et ce n’est même pas de la science-fiction !
Il existe déjà aujourd’hui des robots agricoles, comme le robot Tevel, un collecteur de fruits autonome créé par une entreprise israélienne. Il sélectionne les fruits mûrs, les cueille sans les abîmer. Il est précis, rapide, programmable.
Donc oui : un robot pourrait faire presque toutes les étapes des Bikourim.
Mais la vraie question est : est-ce que cela suffit pour accomplir la mitsva dans son sens profond ?
La halakha, la loi juive, répond clairement : les mitsvot ne se limitent pas à l’acte, elles exigent aussi une intention, la kavana.
Comme le dit le Rav Kook, l’acte est le corps, mais la kavana en est l’âme. Sans intention, la mitsva est un corps sans vie.
Le verset dit (Devarim 26,2) :
וְלָקַחְתָּ מֵרֵאשִׁית כָּל פְּרִי הָאֲדָמָה
« Tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre ».
Le Rambam explique que ce n’est pas seulement apporter les fruits, mais le faire avec intention et gratitude envers Dieu, en reconnaissant que tout ce que nous avons vient de Lui.
Il précise aussi que cet acte doit être accompli avec joie, en associant le geste, les paroles et le cœur. Pas si simple…
Dans le Chema Israël, par exemple, l’intention est indispensable. Si on lit le premier verset « Écoute Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est Un » sans réfléchir à ce qu’il veut dire, on n’accomplit pas vraiment la mitsva.
C’est pour cela que, quand nous récitons ce verset, nous avons l’habitude de nous couvrir les yeux : ce geste simple nous aide à écarter les distractions et à concentrer toute notre pensée sur ces mots.
Le mot Chema signifie « écoute », mais les commentateurs disent aussi que cela veut dire accepte et prends sur toi. Ce n’est pas seulement écouter, mais se relier consciemment à Dieu.
Le Rav Sacks souligne souvent l’importance de la mémoire dans le judaïsme. Selon lui, le Chema n’est pas seulement une déclaration de foi, mais un engagement à se souvenir de l’histoire, des commandements et de notre relation avec Dieu.
Ainsi, les Bikourim, comme le Chéma, sont un acte de mémoire : tout ce que nous avons aujourd’hui n’est pas seulement grâce à nous, mais à une histoire.
Donc, un robot peut cueillir, porter, réciter, mais il ne peut ni se souvenir, ni remercier, ni se réjouir. Il n’a ni intention, ni mémoire de l’Égypte, ni gratitude envers Dieu.
Pour comprendre pourquoi un geste seul ne suffit pas, pensons au Golem, une créature légendaire de la tradition juive. Selon la légende, le Maharal de Prague, au XVIe siècle, aurait créé un Golem pour protéger la communauté juive. Ce Golem, fait d’argile et animé par des versets sacrés, pouvait marcher, travailler et protéger les villageois, mais il n’avait pas de conscience ni de parole. Il ressemblait à un humain, mais il lui manquait l’essentiel : l’âme. Finalement, le Maharal l’aurait désactivé lorsqu’il devenait incontrôlable.
Comme le robot, le Golem pouvait accomplir des actions, mais il ne pouvait pas ressentir ou remercier. Il manquait ce qui fait de nous des êtres humains. Ces histoires ont même inspiré certains jeux et films d’aujourd’hui, où des créatures puissantes peuvent agir… mais sans conscience, ni cœur.
Par exemple, dans le jeu Minecraft sorti en 2009, il y a un immense golem de fer qui protège les villageois, un peu comme le peuple juif était protégé dans notre histoire.
De la même manière, le film de science-fiction Matrix décrit un monde apocalyptique où les hommes ont perdu le contrôle de leur technologie. Les humains sont réduits à l’esclavage, ayant oublié l’importance de l’intention et de la liberté.
Bref, ces histoires illustrent et nous aident à comprendre pourquoi un robot ne pourrait pas accomplir un commandement. La Torah n’attend pas de nous une efficacité parfaite, mais une joie sincère, profondément humaine.
Et ça, même le robot le plus intelligent… ne pourra jamais l’exécuter.
Retrouvez ici le commentaire de la paracha Ki Tavo 5785 par le rabbin Josh Weiner