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Balak: un prophète qui écoute

Dracha prononcée par Leila à l'occasion de sa Bat Mitsva le 10 juin 2025

Par Leila

La paracha de cette semaine, Balak, met en scène un roi moabite inquiet, un prophète non juif nommé Bilam, un âne qui parle et même un ange caché sur la route.

Balak, roi de Moav, a peur. Il voit les Bnei Israël approcher et demande à Bilam, un magicien célèbre, de les maudire. Mais chaque tentative de Bilam pour maudire se transforme… en bénédiction.

Pourtant, Bilam ne refuse pas directement. Il dit : « Je dirai uniquement ce que Dieu mettra dans ma bouche ». À première vue, cela paraît plutôt bien, non ? Un prophète qui consulte Dieu à chaque étape, qui ne prend pas d’initiative personnelle pour faire le mal, qui reconnaît la volonté divine.

Pourtant, les Sages du Talmud, dans la Michna Avot (5:19), sont très critiques : « Les disciples d’Abraham ont un bon œil, un esprit humble et une âme modeste. Les disciples de Bilam, un œil mauvais, un esprit hautain, une âme avide. »

Comment peut-on passer de « Bilam le prophète » à « Bilam le méchant » ?
Pourquoi une image si sévère d’un homme qui semble bien faire ?

Pour le comprendre, il faut regarder ce que fait Bilam quand il reçoit un non. Dieu lui dit explicitement : “Tu n’iras pas avec eux, tu ne maudiras pas ce peuple, car il est béni” (Nombres 22:12). C’est un triple non. Et pourtant, Bilam répond aux messagers de Balak : « Dieu refuse de me laisser aller avec vous » (sous-entendu : ce n’est pas vous, mais peut-être que si vous m’envoyez des messagers un peu plus prestigieux, ou que vous augmentez la récompense ça passera).

Et effectivement, c’est ce qu’il espère. Lorsque des émissaires de rang plus élevé reviennent, Bilam ne dit pas « J’ai déjà la réponse de Dieu », il leur demande de dormir sur place, « pour voir ce que Dieu dira encore ». Comme s’il attendait que Dieu change d’avis. Et finalement, Dieu finit par dire : « Va avec eux».

Le Ramban (Na’hmanide) commente ici que Dieu ne dit pas “Va” parce que c’est bien, mais parce que Bilam le veut vraiment. Dieu l’accompagne sur le chemin qu’il a choisi, même si ce chemin est mauvais. C’est ce que le Talmud dit : « Sur le chemin qu’une personne veut prendre, on la laisse aller ». Autrement dit, Dieu ne force pas. Il nous laisse la responsabilité.

À ce moment-là, en lisant le texte, on découvre le verset suivant :
« Bilam se leva le matin, sangla son ânesse, et partit avec les ministres de Moav » (22:21).

Cette histoire de partir tôt le matin avec l’âne et deux jeunes hommes, je l’ai déjà étudiée au Talmud Torah !
Ce verset est presque une copie de ce qu’on lit dans la ligature d’Isaac : « Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit deux jeunes hommes avec lui » (Genèse 22:3). Même action, mêmes objets, même nombre de compagnons.

Mais alors, pourquoi la Torah établit-elle ce parallèle ? Pour montrer une ressemblance ? Ou au contraire, pour faire un contraste ?

Abraham aussi reçoit une demande divine : « Prends ton fils, ton unique, et va l’offrir en sacrifice ». Et il y va. Il n’essaie pas de négocier. Il ne dit pas : « Je vais redemander à Dieu demain matin pour voir s’il a changé d’avis ». Il agit. Quand un ange intervient à la fin pour lui dire « Stop ! Ne touche pas l’enfant », Abraham écoute immédiatement.

Bilam, lui, entend « Tu n’iras pas », mais il tente quand même. Quand un ange se dresse sur son chemin, il ne le voit même pas. Son ânesse, elle, le voit. Elle s’écarte du chemin, elle s’arrête, elle se couche. Bilam, aveugle, frappe l’ânesse, jusqu’à ce qu’elle prenne la parole : « Qu’ai-je fait pour que tu me frappes ? » Et là enfin, les yeux de Bilam s’ouvrent, et il voit l’ange qui lui dit : « J’étais là pour te barrer la route, parce que ton chemin est pervers à mes yeux ».

Pervers ? Pourtant, Bilam avait dit qu’il suivrait la parole de Dieu ! Mais peut-être justement : pour suivre la parole de Dieu il faudra écouter vraiment Dieu. Bilam veut entendre le message qui l’arrange. Il veut aller avec Balak, il veut la gloire, il veut l’argent. Alors il écoute, mais de manière sélective. Il fait semblant de transmettre fidèlement le message de Dieu, mais il distord ce qu’il a reçu.

C’est ce que souligne le Rav Jonathan Sacks z’’l : le problème de Bilam n’était pas qu’il ne savait pas écouter, mais qu’il n’écoutait que ce qu’il avait envie d’entendre. Il reste enfermé dans ses désirs. 

La Michna dans Pirkei Avot oppose ainsi deux écoles : celle d’Abraham et celle de Bilam. Pas en fonction du talent, mais en fonction des qualités : œil bon contre œil mauvais, humilité contre orgueil, appétit mesuré contre avidité. On pourrait dire : Abraham entend une parole difficile, et il obéit avec foi. Bilam entend une parole claire, mais il n’écoute que lui-même.

Pourquoi la Torah nous raconte-t-elle cette étrange histoire d’un prophète engagé pour maudire Israël, et qui finit par bénir ?
Un vrai prophète, ce n’est pas seulement quelqu’un qui parle. C’est quelqu’un qui écoute. Quelqu’un qui sait faire taire ses propres désirs pour entendre ce qui est demandé.

Et ça, ce n’est pas réservé aux prophètes. Chacun de nous, au quotidien, peut être dans l’attitude d’Abraham : écouter, entendre ce qu’on ne voulait pas entendre, accepter, avancer. Ou dans celle de Bilam : faire semblant d’écouter, mais en fait essayer de garder le contrôle.

Alors, que veut dire écouter vraiment ?
Écouter, ce n’est pas seulement entendre les mots. C’est savoir se mettre en retrait. C’est entendre ce qui est dit, et aussi ce qui est sous-entendu. C’est prêter attention à ce que les autres ressentent, même s’ils ne le disent pas.

Et surtout, c’est parfois savoir entendre une voix plus discrète. Celle qui ne crie pas, mais qui demande quelque chose de nous, avec douceur.
Dans le judaïsme, l’écoute est au cœur. Nous récitons chaque jour : « Chéma Israël – écoute, Israël ». Pas « parle », pas « comprends », pas même « fais »… mais écoute.
C’est comme si Dieu nous disait : commence par tendre l’oreille, commence par faire de la place à une parole qui n’est pas la tienne.

Pour moi, cette idée de l’écoute me parle beaucoup. Peut-être parce que je suis plutôt quelqu’un de discret. Au lieu de parler toujours plus fort, il faut peut-être prêter attention aux silences.


Être Bat Mitsva, ce n’est pas devenir quelqu’un de spectaculaire. C’est plutôt apprendre à écouter les autres, à faire attention à ce que je dis, à prendre le temps. Parler peu, mais trouver la parole juste, au bon moment.

Et parfois, cette parole, elle vient d’une ânesse.
Ou même toute simplement d’une Bat Mitsva calme…

Retrouvez ici le commentaire de la paracha Balak 5785 par le rabbin Josh Weiner

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