Par Juliette
Nous sommes au 4ᵉ livre de la Torah : Bamidbar, qu’on appelle aussi le livre des Nombres.
Et effectivement, on commence par des listes, des chiffres, des noms… mais rassurez-vous, ce n’est pas qu’un tableau Excel géant !
Le début de Bamidbar nous présente deux grands recensements. Le premier est un peu militaire : il concerne l’ensemble des tribus d’Israël, à l’exception d’une seule. On compte les hommes en âge de combattre, on organise les troupes.
Mais ensuite, on change complètement de ton : on compte la tribu des Lévites. Et là, c’est un tout autre projet.
La paracha Bamidbar s’attarde particulièrement sur la famille de Kehat, l’une des trois grandes familles lévitiques, qui reçoit une mission très délicate : transporter les objets les plus sacrés du sanctuaire.
Dans la paracha Nasso, ce sont les deux autres familles lévitiques, Guershon et Merari, qui entrent en scène. Chacune reçoit une tâche bien définie : Guershon s’occupe des tentures, tapis et couvertures du sanctuaire, tandis que Merari se voit confier le transport des structures plus lourdes : piliers, bases, barres et cordages.
Chacun porte un morceau du Mishkan. Chacun a sa tâche. Et c’est grâce à cette répartition précise que la demeure divine peut avancer avec le peuple, étape par étape, dans le désert.
Mais d’abord, qui étaient les Léviim, cette tribu, pour qu’on la compte à part ?
Leur ancêtre, Lévi, est le 3ᵉ fils de Jacob et Léa. À sa naissance, Léa dit :
“Cette fois, mon mari m’accompagnera ” Yilavé Elay (Béréchit 29,34).
Elle nomme donc son fils Lévi, un nom qui évoque un lien, une proximité.
Et le Midrash nous offre une autre perspective. Dans Bamidbar Rabba, on lit :
“Ce Lévi est destiné à accompagner les enfants d’Israël vers leur Père céleste.”
Une sorte de GPS vers la présence divine.
Leur nom est déjà une mission : créer du lien entre le peuple et Dieu. Et dans le désert, cette mission devient très concrète. La Torah nous dit :
“Ils porteront le Tabernacle avec tous ses ustensiles, ils en assureront le service, et camperont autour de lui. Lors des déplacements, ce sont les Lévites qui le démonteront, et lors des haltes, ce sont eux qui le dresseront.” (Bamidbar 1:50–51)
Le Mishkan, c’est un peu le camping-car de Dieu. Une résidence divine mobile, qu’on déplie à chaque étape, toujours placée au centre du campement.
Mais pourquoi au centre ? Pourquoi pas devant, comme un chef de file ?
Hafets Haïm répond que le Mishkan représente la Torah, et que la Torah doit être au centre de tout : pas à l’écart, pas réservée à une élite. En étant au milieu, elle est à égale distance de chaque tribu, de chaque personne. Elle est pour tout le monde.
La Torah va jusqu’à nous décrire en détail l’organisation du campement, comme un grand puzzle : douze tribus autour, les Léviim au milieu, et le Mishkan au cœur. Une belle image d’une société où chacun a sa place.
Mais les Léviim ne font pas que porter des poutres. Ils ont aussi une autre mission : garder le sanctuaire. Garder ? Genre vigiles du Mishkan ? Avec des talkies-walkies et des lunettes de soleil ? Pas vraiment.
Rambam, dans le Sefer HaMitsvot, nous explique que cette garde est là pour montrer l’importance du lieu :
“Un palais entouré de gardes, ce n’est pas la même chose qu’un palais vide. La garde exprime l’honneur dû à la maison de Dieu.”
La présence de gardiens montre que ce qui est là est précieux.
Les Léviim ne sont pas juste comptés, ils sont nommés, désignés, investis d’une mission. D’ailleurs, ce qui est remarquable, c’est que lorsque la Torah décrit ce recensement, deux mots reviennent encore et encore, comme un refrain discret mais insistant.
Ces mots, sont PAKAD et NASSA, ou plutôt, ces racines. Et le mot PAKAD m’a particulièrement intéressée.
On le trouve, par exemple, ici :
“פְּקוּדֵיהֶם, בְּמִסְפַּר כָּל-זָכָר מִבֶּן שְׁלשִׁים שָׁנָה וָמַעְלָה–עַד בֶּן-חֲמִשִּׁים שָׁנָה”
“Leur dénombrement, selon le nombre de tous les mâles âgés de trente à cinquante ans…” (Nasso – Bamidbar 4:47)
On pourrait croire que « PAKAD » signifie juste compter. Mais en réalité, ce mot Pakad, qu’on traduit ici par “dénombrer”, cache bien plus qu’un simple comptage administratif.
C’est un mot aux multiples sens.
Un peu plus loin, on lit :
עַל פִּי ה’ פָּקַד אוֹתָם בְּיַד מֹשֶׁה אִישׁ אִישׁ עַל עֲבֹדָתוֹ
“D’après l’ordre de l’Éternel, on leur assigna, sous la direction de Moïse, à chacun son service” (4 :49)
Ici, le mot Pakad ne signifie pas “compter”, mais confier une mission précise, une responsabilité. Un pikadon, en hébreu, c’est un objet précieux qu’on vous confie, on vous le donne pour que vous le gardiez avec soin.
Eh bien, c’est exactement ce que fait Dieu avec les Léviim. Il leur donne un pikadon, un trésor : le service du Mishkan, le cœur battant de la spiritualité du peuple.
Et là, on comprend qu’être compté, ce n’est pas juste une formalité. Ce n’est pas juste “1, 2, 3, suivant !”
C’est être reconnu, investi d’une mission, digne de confiance.
Quand Dieu te compte, ce n’est pas juste qu’Il sait que tu existes. C’est qu’Il te confie quelque chose.
Je me suis alors demandé :
Qu’est-ce qui me fait sentir que je compte, moi, dans ma communauté ?
Et justement, c’est cette idée que j’ai une responsabilité. Que je ne suis pas là par hasard, mais parce qu’on me fait confiance. C’est aussi pour ça, je crois, que beaucoup de gens rejoignent une communauté. Ma famille, par exemple, s’est rapprochée d’Adath Shalom il y a plus de quinze ans, pour faire partie d’un projet qui nous dépasse. Pour agir, pour transmettre, pour se sentir utile.
Et moi, en lisant cette paracha, je me suis dit : j’aimerais bien, moi aussi, être “pakadée”. Pas juste être là, mais qu’on me fasse confiance, avoir un rôle, une mission.
Et j’ai déjà une idée ! J’aimerais devenir animatrice à Adath, comme mes sœurs, être là pour transmettre, faire rire les plus jeunes, créer du lien. Une petite Lévi moderne, version 2025 !
Pas besoin d’être parfaite. Il suffit d’être prête à prendre sa place, à porter un morceau du Mishkan, chacun à sa manière. Et peut-être que le sens se trouve là : dans la responsabilité qu’on accepte, dans l’attention qu’on reçoit, dans la place qu’on prend.
Pas pour briller, mais pour contribuer. Pour accompagner ma communauté d’Adath Shalom, en chemin, et avancer avec elle, vers quelque chose de plus grand que soi.