Par Zoëlle
Bonjour à tous,
Si vous cherchez à en savoir plus sur Pessah, Chavouot, Souccot, ou même sur le jour du repos, alors vous êtes sur la bonne paracha: Emor, Parachat HaMoadim, la paracha des fêtes. Elle fait un vrai tour de toutes les grandes fêtes bibliques.
Mais au milieu de cette liste bien organisée, une phrase, un intrus, attire mon attention :
« Et vous compterez pour vous, à partir du lendemain du Chabbat, depuis le jour où vous aurez apporté l’omer… sept semaines complètes… jusqu’au cinquantième jour. » (Vayikra 23:15-16)
On apporte l’offrande de l‘Omer au Temple, une mesure d’orge qui va autoriser à consommer les céréales de l’année, le lendemain du Chabbat et on commence à compter 49 jours.
Je me suis alors posé une première question : de quel chabbat parle-t-on ? Nos ancêtres spirituels, les pharisiens, expliquent que “chabbat”, ici, c’est en fait le premier jour de Pessah, car c’est un jour de repos. On commence donc à compter l’Omer dès le deuxième soir de Pessah.
Cette année, au 2ème sedder, j’étais déjà bien fatiguée (après le guefilté fish, plusieurs marathons de chants et une consommation excessive de matsa), quand on m’a dit : “On commence à compter l’Omer!” Et voilà que nous sommes déjà au 33ème jour. Lag BaOmer.
Mais pourquoi compte-t-on ? Pourquoi le Omer est-il si central dans notre Paracha, alors que ce n’est pas une fête ?
Le Omer commence avec l’offrande d’orge, on commence enfin à goûter aux nouvelles récoltes, et prend fin au 50ème jour, le jour de Chavouot, avec l’offrande de deux pains levés avec la farine de blé. C’est tout un chemin, une transformation.
Le Ramban nous dit que ce chemin relie la liberté de Pessah à la révélation de Chavouot en formant une unité. Le compte devient alors un pont symbolique entre la sortie d’Égypte et le don de la Torah, entre la libération du corps et l’élévation de l’âme.
Chaque soir, on ajoute un jour. Aujourd’hui on dira : “Aujourd’hui, c’est le 33ᵉ jour , soit 4 semaines et 5 jours de l’Omer.” Ce n’est pas juste une formule. C’est un rappel, comme si on se murmurait : “Encore un pas de plus vers le Sinaï.”
Mais la Torah ne nous dit pas : “Chavouot, c’est le 6 Sivan, jour du Don de la Torah.” Non. Elle dit : “Tu compteras 49 jours… et le 50ème, ce sera une convocation sacrée.” Comme si la date importait moins que le chemin. Comme si Chavouot n’était pas un jour, mais un aboutissement.
On pourrait penser le Omer comme une attente comptée, comme une montée presque laborieuse vers un sommet invisible.
Pour moi, c’est comme attendre les vacances : je regarde le calendrier, je compte les semaines, puis les jours. Et ça me prépare… ça me met déjà dans l’ambiance. L’attente fait partie du voyage. Le Omer, c’est un peu ça : une attente qui transforme.
C’est commencer à changer un peu, chaque jour. C’est se préparer intérieurement, pas à pas, à recevoir quelque chose d’unique.
Sforno, commentateur italien du XVIème siècle, explique que compter les jours, c’est refuser de vivre dans l’indifférence. C’est donner à chaque jour sa valeur, comme s’il comptait vraiment. Le compte de l’Omer, c’est comme un rappel : les jours, on les habite. Même si c’est un jour normal, il compte. Parce qu’on le compte, on grandit.
De nos jours, on court tout le temps : entre les devoirs, les cours, les activités non-stop… c’est un peu la course ! Mais le compte du Omer nous dit : “Respire un peu.” Il propose un arrêt quotidien, pour réfléchir, et avancer doucement… mais sûrement.
Il est clair qu’à l’époque du Temple ce rituel avait un côté très concret : une récolte, une mesure d’orge. Mais aujourd’hui, on ne remplit pas nos cuisines avec des tasses à mesurer appelées “omer”… alors, pourquoi continuer à le faire ?
Pour approfondir ma réflexion, j’ai essayé d’avoir une compréhension plus large du mot “omer” dans la Torah. Ce terme apparaît dans deux autres contextes différents. Dans le livre de Chemot, alors que les Israélites s’inquiètent de leur survie dans le désert, Dieu envoie la manne, et Moïse ordonne au peuple “d’en recueillir, un omer par personne” (16 :17-18). Rachi enseigne que même ceux qui en recueillaient trop ou pas assez constataient qu’ils n’avaient qu’un seul omer par personne.
Plus loin, le livre de Devarim énumère les lois pour créer une société juste et bienveillante. On peut lire le commandement suivant : “Lorsque tu feras la moisson et que tu y auras oublié une gerbe, un omer, tu ne retourneras pas la prendre ; elle sera pour l’étranger, l’orphelin et la veuve.” (29 :19). Elle est pour ceux qui en ont besoin.
Ainsi, les trois mentions bibliques du mot “omer”, qu’il s’agisse d’une offrande au Temple, d’un don de Dieu ou d’un don aux nécessiteux, sont liées par un thème commun de gratitude, de justice et de générosité.
Donc, revenons à ma question initiale : pourquoi ces lois sont au cœur de l’énumération des fêtes ?
Je pense qu’elles sont la condition même de la fête. Il ne suffit pas de marquer le temps. Il faut marquer aussi l’espace : les coins de nos champs, nos choix, nos gestes.
Finalement, Pessah, le Omer, le Shabbat, les fêtes, tous nous rappellent quelque chose d’essentiel : ce qui compte vraiment, ce ne sont pas seulement les prières ou les rituels, mais notre manière de vivre. Savoir s’arrêter, partager, reconnaître que tout ne nous appartient pas.
Et peut-être que c’est pour ça que la Torah ne donne pas de date précise pour Chavouot. Parce que Chavouot se construit. Jour après jour. Geste après geste. Comme un chemin qu’on trace petit à petit.
Alors, en ce jour spécial pour moi, entre Pessah et Chavouot, entre l’histoire de la libération et l’espérance de la révélation, je ressens ce temps du Omer comme un chemin qui me prépare : à grandir, à apprendre, à recevoir, et à transmettre à mon tour.
Et cette année, pour moi plus que jamais, recevoir la Torah ne se résume pas à une date précise. Comme il est écrit dans le livre de Josué : “Ce livre de la Torah ne quittera pas ta bouche, tu le méditeras jour et nuit” (Josué 1:8).
À travers ma Bat Mitsva, je reçois la Torah pas seulement comme un texte ancien, mais comme un héritage vivant, transmis par mes parents, mes grands-parents, ma famille et ma communauté.
Et jour après jour, en comptant, j’apprends à avancer. Avec patience. Avec conscience, et surtout avec gratitude.
Retrouvez ici la dracha du rabbin Josh Weiner sur la paracha Emor 5785