Par le rabbin Josh Weiner
Quel est le concept le plus important de la Torah ? Rabbi Akiva cite un verset de la paracha de cette semaine, Kedochim, et dit : « Aime ton prochain comme toi-même » — c’est un grand principe de la Torah. Ce n’est pas forcément le plus important, il n’y a pas de compétition ici, mais c’est un klal gadol, un grand principe.
Quand on enseigne cette paracha, on est parfois tenté de passer les quelque cinquante autres commandements et d’aller directement à ce verset, parce qu’il est très humaniste et accessible, même si, lorsqu’on y regarde de plus près, il révèle une complexité plus sombre. Qui est inclus dans la définition du prochain, et qui en est exclu ? Quelles sont les conséquences et les limites de cet amour ? Je dirais qu’il ne faut pas lire ce verset hors de son contexte. Il fait partie de cette paracha, Kedoshim, les chapitres qui traitent de la sainteté. Le mélange des types d’obligations dans cette paracha est intentionnel. Certaines sont interpersonnelles (ne médisez pas, respectez vos parents, vous devez réprimander ceux qui font le mal). Certaines sont rituelles (ne pas manger les sacrifices après le moment prescrit, ne pas se raser les tempes comme les idolâtres, ne pas croire aux présages). Certaines concernent la création d’une société juste (honorer les personnes âgées, aimer l’étranger, ne pas tricher dans les affaires). Certaines concernent les institutions religieuses (respecter le Temple, ne pas sacrifier d’enfants à de faux dieux comme Moloch).
Cet ensemble de lois forme presque un microcosme de la Torah, une sorte de constitution spirituelle pour le peuple juif. Selon la tradition (Sifra Kedoshim 1:1), il était lu devant tout le peuple d’Israël une fois tous les sept ans, מפני שרוב גופי תורה תלוים בה — la plupart des questions abordées dans la Torah y sont incluses.
Pour répondre à ma question, je pense vraiment que le concept le plus important dans la Torah, c’est la sainteté. Maintenant, il faut juste comprendre ce que ça veut dire ! C’est un concept qui défie toute définition. Dans son livre sur le sujet, le théologien Rudolf Otto prévient le lecteur que s’il n’a jamais fait l’expérience de la sainteté, il ne devrait pas continuer à lire, car elle ne se laisse pas facilement exprimer par des mots. Mais son idée d’un Mysterium Tremendum qui inspire la crainte n’est pas exactement ce que je perçois dans cette paracha. « Soyez saints, car Je suis saint ». Ce refrain est répété plusieurs fois dans la parasha avec certaines variantes. À première vue, il semble que la sainteté soit un reflet : Dieu est saint, de manière permanente ; les prêtres, les sacrifices, le Temple et certaines autres choses sont saints parce qu’ils appartiennent à Dieu ; et nous avons le potentiel de devenir saints grâce à certains comportements. Mais il semble aussi que toutes les pièces de ce puzzle soient dynamiques. Un verset de la paracha de la semaine prochaine l’explique clairement :
וּשְׁמַרְתֶּם֙ מִצְוֺתַ֔י וַעֲשִׂיתֶ֖ם אֹתָ֑ם אֲנִ֖י יְ—הֹוָֽה׃ וְלֹ֤א תְחַלְּלוּ֙ אֶת־שֵׁ֣ם קׇדְשִׁ֔י וְנִ֨קְדַּשְׁתִּ֔י בְּת֖וֹךְ בְּנֵ֣י יִשְׂרָאֵ֑ל אֲנִ֥י יְ—הֹוָ֖ה מְקַדִּשְׁכֶֽם׃ הַמּוֹצִ֤יא אֶתְכֶם֙ מֵאֶ֣רֶץ מִצְרַ֔יִם לִהְי֥וֹת לָכֶ֖ם לֵאלֹהִ֑ים אֲנִ֖י יְ—הֹוָֽה
Gardez mes commandements et pratiquez-les: je suis l’Éternel. Ne déshonorez point mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d’Israël, moi, l’Éternel, qui vous sanctifie, qui vous ai fait sortir du pays d’Égypte pour devenir votre Dieu: je suis l’Éternel. (Leviticus 22:31-33)
Nous aussi, on peut sanctifier ! On peut rendre Dieu plus saint par certaines actions, de la même manière et en même temps que Dieu nous rend saints. Cette partie de la Torah introduit le concept de «sanctification réciproque », où les niveaux de sainteté perçus tant chez nous que chez Dieu peuvent varier selon la situation.
Cette lecture dynamique de la sainteté peut être un vaccin contre une alternative statique dangereuse. On est parfois tenté de chercher des absolus: parler d’un peuple saint avec des âmes saintes vivant dans une terre sainte, qui ne font rien pour le mériter mais qui mènent quand même des guerres saintes contre les impies. On rencontre de telles attitudes dans toutes les religions, qui fétichisent les objets et les lieux de cette manière. Dans le discours juif, par exemple, l’idée que la terre d’Israël est sainte est mentionnée dans notre tradition, mais pas de la manière dont elle est déformée aujourd’hui par des extrémistes fanatiques. La Michna (Kelim 1:6) dit que la terre d’Israël est plus sainte que toutes les autres terres. Pourquoi ? Parce qu’il y a quelques commandements rituels, comme l’offrande de l’Omer, qui ne peuvent être accomplis que là-bas. C’est tout. Pour moi, je suis plus attiré par l’idée que, d’un point de vue humain, le reflet de Dieu peut être plus concentré, plus tangible ou plus manifeste dans certaines situations, mais que c’est à nous de le rendre ainsi. Je trouve ça beaucoup plus riche et plus intéressant, et c’est une lecture plus authentique des textes.
Si vous avez déjà vu ma carte de visite ou un document officiel avec ma signature en hébreu, vous avez remarqué que je signe mon nom et que j’ajoute ensuite que je suis le rabbin de ק”ק עדת שלום — KK Adath Shalom. Cette abréviation signifie Kehila Kedocha, la communauté sainte, et est traditionnellement utilisée pour désigner les synagogues. J’aime bien ce terme parce qu’il insiste sur le fait que les rassemblements dans les synagogues ne consistent pas seulement à marmonner des mots et à grignoter des cacahuètes en buvant du jus de raisin, mais que notre rassemblement, s’il est fait correctement, révèle la sainteté potentielle inhérente au monde. C’est l’idée du minyan, la communauté juive minimale de dix personnes nécessaire pour accomplir les devarim chebikedoucha, les actions sacrées, telles que la lecture de la Torah ou la récitation de certaines prières. [Comment définit-on ces devarim chebikedoucha ? Ce sont des actions qui nécessitent un minyan !] Le verset considéré comme la source de la nécessité d’un minyan est celui que nous avons cité précédemment : « Je serai sanctifié au milieu du peuple d’Israël, moi, l’Éternel qui vous sanctifie. » La prière est une occasion de devenir saint et de sanctifier Dieu, et de remplir le bâtiment de la présence divine.
J’ai récemment étudié avec mes élèves un passage du Talmud qui parle de qui doit être inclus dans le minyan (Berakhot 47b). Il y a plein de propositions intéressantes : compter la Torah comme le dixième, compter le Chabbat lui-même, compter deux érudits qui étudient ensemble comme trois, ou compter neuf personnes qui semblent être dix comme dix. Même si ces propositions sont finalement rejetées comme halakha, l’idée sous-jacente de ces discussions est que la sainteté ne se mesure pas en chiffres, elle se vit.
Encore une fois, la définition de ce terme est tellement vague ! En lisant la liste des commandements dans la paracha, j’ai l’impression que la sainteté ne réside pas dans un acte en particulier, mais dans l’ensemble de ces systèmes rituels, sociaux, éthiques et spirituels qui fonctionnent ensemble. C’est un peu comme pour le Chabbat : aucun geste pris isolément — s’abstenir de cuisiner ou d’écrire, allumer des bougies, préparer un repas plus élaboré — n’est profondément spirituel en soi. Mais c’est l’ensemble de ces actes, mis bout à bout, qui façonne l’expérience que nous appelons Chabbat.
Parfois, quand je rends visite à des personnes en deuil, elles me disent à quel point la personne décédée était extraordinaire, et elles ont du mal à donner des exemples, car aucune anecdote ne peut exprimer la totalité de la personne et l’expérience de la vie avec elle. De même, la sainteté ne réside pas dans l’un des commandements de la paracha, même pas dans l’amour de son prochain comme soi-même, mais dans la construction d’une vie sainte avec tous ces exemples de la paracha et plus encore. Surtout plus encore. Ramban propose un commentaire célèbre en ouverture de cette paracha dans lequel il décrit ceux qui respectent tous les commandements et qui sont pourtant des gens répugnants. Pour être kadoch, il faudrait aller au-delà des catégories de permis et interdit, et vers celles du bien et du mal, qui ne peuvent pas toujours être écrites dans un livre. La Torah a une déclaration énigmatique :
וְהִ֨תְקַדִּשְׁתֶּ֔ם וִהְיִיתֶ֖ם קְדֹשִׁ֑ים כִּ֛י אֲנִ֥י יְ—הֹוָ֖ה אֱלֹהֵיכֶֽם׃
Vous vous tiendrez saints et vous serez saints, car moi, l’Éternel, suis votre Dieu. (20:7)
Je comprends le premier impératif comme une invitation à la rigueur religieuse au sens technique, en respectant les détails des lois, etc. Mais ça ne suffit pas : on nous demande d’être saints d’une manière sainte ! C’est ça le plus dur, ce qu’on essaie toujours d’atteindre et qu’on y arrive parfois presque. Mais cela vaut la peine d’essayer…
Chabbat shalom !