Par le rabbin Josh Weiner
Cette paracha occupe une place centrale dans la Torah, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, selon une certaine tradition, si vous comptez les mots de la Torah, alors le point médian se trouve ici, dans cette paracha, entre les mots daroch et darach, que l’on peut traduire par « examiner-examiner », ou « interpréter-interpréter ». (Si vous comptez réellement les mots dans la Torah, vous trouverez probablement le point médian ailleurs, mais cela ne fait que renforcer l’urgence du message ici ; la centralité de la dracha n’est pas littérale, mais une valeur). Elle est centrale d’une autre manière également : lors de la dédicace du tabernacle après huit jours de cérémonies d’inauguration, un feu divin descend du ciel et consume l’offrande. Les versets décrivant cet incident sont dramatiques :
וַיָּבֹ֨א מֹשֶׁ֤ה וְאַהֲרֹן֙ אֶל־אֹ֣הֶל מוֹעֵ֔ד וַיֵּ֣צְא֔וּ וַֽיְבָרְכ֖וּ אֶת־הָעָ֑ם וַיֵּרָ֥א כְבוֹד־יְ—הֹוָ֖ה אֶל־כׇּל־הָעָֽם׃ וַתֵּ֤צֵא אֵשׁ֙ מִלִּפְנֵ֣י יְ—הֹוָ֔ה וַתֹּ֙אכַל֙ עַל־הַמִּזְבֵּ֔חַ אֶת־הָעֹלָ֖ה וְאֶת־הַחֲלָבִ֑ים וַיַּ֤רְא כׇּל־הָעָם֙ וַיָּרֹ֔נּוּ וַֽיִּפְּל֖וּ עַל־פְּנֵיהֶֽם׃
Moïse et Aaron entrèrent dans la Tente d’assignation; ils ressortirent et bénirent le peuple, et la gloire du Seigneur se manifesta au peuple entier. Un feu s’élança de devant le Seigneur, et consuma, sur l’autel, l’holocauste et les graisses. A cette vue, tout le peuple jeta des cris de joie, et ils tombèrent sur leurs faces. (Levitique 9:23-24)
Juste après, il y a deux autres mentions de feu, mais cette fois-ci tragiques.
וַיִּקְח֣וּ בְנֵֽי־אַ֠הֲרֹ֠ן נָדָ֨ב וַאֲבִיה֜וּא אִ֣ישׁ מַחְתָּת֗וֹ וַיִּתְּנ֤וּ בָהֵן֙ אֵ֔שׁ וַיָּשִׂ֥ימוּ עָלֶ֖יהָ קְטֹ֑רֶת וַיַּקְרִ֜יבוּ לִפְנֵ֤י יְ—הֹוָה֙ אֵ֣שׁ זָרָ֔ה אֲשֶׁ֧ר לֹ֦א צִוָּ֖ה אֹתָֽם׃ וַתֵּ֥צֵא אֵ֛שׁ מִלִּפְנֵ֥י יְ—הֹוָ֖ה וַתֹּ֣אכַל אוֹתָ֑ם וַיָּמֻ֖תוּ לִפְנֵ֥י יְ—הֹוָֽה׃
Les fils d’Aaron, Nadab et Abihou, prenant chacun leur encensoir, y mirent du feu, sur lequel ils jetèrent de l’encens, et apportèrent devant le Seigneur un feu profane sans qu’il le leur eût commandé. Et un feu s’élança de devant le Seigneur et les dévora, et ils moururent devant le Seigneur.
Les versets qui suivent sont énigmatiques, on a l’impression de regarder un film tremblant sans son avec des sous-titres dans une langue semi-étrangère, sentant seulement que quelque chose de crucial est en train de se passer mais incapable d’en comprendre tous les détails. Après la mort de ses deux fils, Aaron reste silencieux, Moïse se lance dans une diatribe sur un sujet apparemment obscur, à savoir si le sacrifice a été correctement mangé par les prêtres. Aaron corrige alors Moïse en disant que même s’il aurait dû le manger, en état de deuil, il ne le peut pas. Moïse accepte cette réinterprétation de la loi, « c’était bon à ses yeux ». Que se passe-t-il ici ?
Noam, en préparant sa bar mitsva, s’est débattu avec beaucoup de ces questions, et comme Moïse, il daroch et darach, il a examiné et interprété les textes jusqu’à ce qu’il trouve les réponses qui avaient du sens pour lui. Personnellement, j’ai été très ému par deux figures qu’il a citées dans sa dracha. La première est Rabbi Eleazer ha-Kappar, l’un des sages des Pirké Avot, un texte que j’étudie en ce moment avec des centaines d’autres personnes de notre communauté. Il disait que : « La jalousie, l’ardeur du désir, et la recherche des honneurs expulsent l’homme hors du monde. » (Avot 4:21)
Comme l’a montré Noam, si chacun de ces traits peut être utile dans la bonne mesure, une fois que quelqu’un perd son sens de soi dans sa soif d’être quelqu’un d’autre, il risque de ne pas retrouver la stabilité. Elle a perdu sa place dans le monde et ne gagne pas toujours quelque chose de valable en retour.
Mais une deuxième citation m’a particulièrement touché. Tu as dit : « Le rabbin Josh dit que la religion est comme le feu. Il peut être utilisé pour le bien comme pour le mal. » J’ai trouvé que c’était un très bel enseignement, qui mériterait peut-être de figurer dans une prochaine version des Pirké Avot. Mon seul problème est que je ne me souviens plus où je l’ai moi-même entendu. [Peut-être du rabbin Jonathan Sacks ?] Mais c’est une idée que j’exprime souvent de différentes manières parce que je la ressens souvent. Beaucoup des actes les plus violents, cruels, haineux et révoltants que je vois dans le monde sont justifiés par la religion. En même temps, une grande partie de ce qui me donne de la force, de l’encouragement, de la sérénité et de la joie vient de la religion. Il ne s’agit pas de deux religions différentes. Comme les deux feux célestes de notre paracha, l’un qui inaugure le tabernacle et l’autre qui prend la vie des deux fils d’Aaron, c’est le même feu avec des conséquences différentes.
Explorons un peu plus loin cette analogie du feu, car elle a beaucoup de potentiel et une longue histoire. Dans le livre de Jérémie, Dieu tourne en dérision les faux prophètes de Jérusalem qui prétendent avoir des rêves qui annoncent l’avenir. Crois-tu que ton petit rêve signifie quelque chose, dit-Il:
הֲל֨וֹא כֹ֧ה דְבָרִ֛י כָּאֵ֖שׁ וּכְפַטִּ֖ישׁ יְפֹ֥צֵֽץ סָֽלַע
« Voici, ma parole est comme un feu et comme un marteau qui brise le roc ! » Si tu avais réellement fait l’expérience de la prophétie, dit Dieu, tu l’aurais su ! Ce verset et cette image, des paroles enflammées de Dieu et du marteau qui brise le roc, sont souvent cités dans la littérature rabbinique.
תָּנֵי דְּבֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל: ״וּכְפַטִּישׁ יְפֹצֵץ סָלַע״, מָה פַּטִּישׁ זֶה נֶחֱלָק לְכַמָּה נִיצוֹצוֹת — אַף כׇּל דִּיבּוּר וְדִיבּוּר שֶׁיָּצָא מִפִּי הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא נֶחֱלַק לְשִׁבְעִים לְשׁוֹנוֹת
L’école de Rabbi Yishmaël a enseigné à propos du verset : « Voici, ma parole est comme un feu et comme un marteau qui brise le roc » (Jérémie 23:29). Tout comme ce marteau émet plusieurs étincelles, chaque parole sortie de la bouche du Saint, béni soit-il, s’est divisée en soixante-dix langues. (Shabbat 88b)
Rachi, lui aussi, à plusieurs reprises dans son commentaire, lorsqu’il donnera de multiples explications pour un même mot de la Torah, s’excusera en citant ce verset : Ce n’est pas que la première explication ou la deuxième explication soient fausses, dit-il, mais « Les mots de la Torah sont comme le feu, comme un marteau qui brise un rocher, se divisant en plusieurs significations. » (Voir Rachi sur Genèse 33:20 et sur Exode 6:9.) Mais si nous examinons attentivement la métaphore, nous constatons que la source du feu n’est pas claire. Nous avons dit que la voix de Dieu, ou la voix de la Torah, est comme un marteau, et que les étincelles qu’il dégage sont les multiples interprétations qui jaillissent de cette voix. Mais d’où viennent ces étincelles ? Du marteau ou du rocher ? J’ai fait quelques recherches, et la réponse est que cela dépend : les marteaux de fer donnent des étincelles enflammées, les marteaux de bronze non, mais les rochers qu’ils brisent oui. [Voir ici, et voir Tosafot, où Rashbam et Rabbeinu Tam débattent sur cette question]. « Rabbi Josh dit que la religion est comme le feu. Il peut être utilisé pour le bien comme pour le mal. » Parfois, ce feu vient du puissant potentiel de la religion elle-même, et parfois il vient de nous, frappés par la religion — nous pouvons remercier ou blâmer Dieu pour le bien et le mal dans le monde, mais plus souvent, nous devons remercier ou blâmer l’humanité.
Puissions-nous cultiver ce feu qui apporte chaleur, lumière et créativité.
Chabbat chalom !